Les médecins français ne seraient pas assez à l’écoute de leurs patients. 23 secondes, c’est le temps qu’ils leur accorderaient pour exposer les motifs de consultation, avant de les interrompre pour rediriger leur parole.
Ce chiffre, pour le moins éloquent, s’est peu à peu imposé comme une vérité attachée aux praticiens français, généralement pour dénoncer leur manque d’écoute. Les Drs Anne Révah-Lévy et Laurence Verneuil le mentionnent dans un ouvrage intitulé « Docteur, écoutez ! », consacré à la relation patient-médecin. Martin Winckler y fait aussi référence dans son livre « Les Brutes en blanc », dans lequel il décrit des praticiens peu empathiques à l’égard des malades. Ce chiffre ressurgit régulièrement sur le Web et les réseaux sociaux, comme ici. Mais sans jamais mentionner clairement son origine...
Mais d’où sort-il ? Les médecins français sont-ils à ce point « avares » envers leurs patients ? Pas si sûr. Ceux qui invoquent ce temps de parole de 23 secondes font en fait référence à une étude américaine publiée en 1999, il y a dix-huit ans, et relative à des médecins… nord-américains (voir ce billet du Dr Lehmann). Elle s’appuie sur l’analyse de 300 consultations réalisées entre 1995 et 1996 par 29 médecins exerçant essentiellement en zone semi-rurale, dans le Colorado. Le temps de parole accordé aux patients avant interruption par leur praticien y est évalué à 23,1 secondes en moyenne. Ceux qui ne sont pas interrompus poursuivent leur déclaration 6 secondes de plus en moyenne.
Extrapoler ces résultats à la pratique des médecins français en 2017 est audacieux. Dans leur ouvrage, les Drs Anne Révah-Lévy et Laurence Verneuil ne citent cette étude qu’en annexe, sans la mentionner dans le corps du texte. Seuls les lecteurs les plus attentifs ne feront pas l'amalgame...
Une thèse se penche sur le temps de parole des patients français
Les médecins français font-ils mieux que leurs homologues américains ? Les études récentes mentionnant le temps de parole des patients en France ne sont pas nombreuses.
Le Dr Hélène Stéphan s’est pourtant penchée sur la question au cours de sa thèse en médecine générale, qu’elle a soutenue en 2012. Dans ces travaux, elle révèle que le temps de parole des patients, c’est-à-dire le temps dont ils disposent pour expliciter le (ou les) motif(s) de leur consultation, est en moyenne de 85 secondes, soit environ 11 % de la durée de la consultation. Ce délai varie plus ou moins selon le médecin, l’âge et le sexe du patient et le nombre de motifs de consultations.
Pour une question de moyen, l’auteure a restreint son étude à 5 médecins et a retranscrit 47 consultations seulement. Difficile par ailleurs de déterminer dans quelle mesure le temps de parole affecte la qualité des soins. Les patients les plus bavards sont-ils les mieux soignés ?
Pratique libérale : la chirurgie en cabinet, sillon à creuser
Le déconventionnement tombe à l’eau ? Les médecins corses se tournent vers les députés pour se faire entendre
Mélanie Heard (Terra Nova) : « Une adhésion massive des femmes à Kamala Harris pour le droit à l’avortement »
Et les praticiens nucléaires inventèrent la médecine théranostique