Pour valoriser l’engagement des praticiens qui s’engagent à exercer à temps partiel dans les zones sous-dotées, la proposition de loi portée par le groupe LR sur l’accès aux soins, adoptée mardi soir (13 mai) au Sénat, avait prévu initialement d’autoriser ces médecins à pratiquer « des tarifs spécifiques applicables dans tout ou partie des zones sous-denses ». L’idée était que ces tarifs à la carte soient négociés dans la convention médicale et pris en charge, conjointement, par l’Assurance-maladie et les complémentaires. Mais cette piste des honoraires variables a soulevé un tollé de la part d’une partie des sénateurs, craignant une hausse du reste à charge pour les patients sans complémentaire.
Lors de l’examen du texte en séance mardi soir, afin de calmer les inquiétudes, le gouvernement a fait voter son propre amendement afin de remplacer ces tarifs spécifiques (ou d’éventuelles rémunérations calculées en fonction de l’activité réalisée) par une « rémunération forfaitaire » modulée selon la part de patientèle traitée en zone sous-dense. Il s’agit ici de favoriser l’« activité pérenne » des praticiens mobilisés dans ces territoires fragiles. L’activité ponctuelle étant indemnisée dans le cadre de la mission de solidarité territoriale du gouvernement, dont les modalités restent à définir. Un micmac législatif, réglementaire et conventionnel dans lequel il est difficile de s’y retrouver.
Choquant
Cette évolution sénatoriale (des tarifs variables vers les forfaits) n’a pas convaincu tous les sénateurs, loin s’en faut. « Le principe même d'une rémunération forfaitaire… alors qu'on invoque la solidarité, cela me choque. A-t-on oublié le serment d'Hippocrate ? On doit soigner tout le monde, riche ou pauvre, sans différence », a tancé la sénatrice socialiste Émilienne Poumirol. Sa collègue, Anne-Marie Nédélec, apparentée au groupe LR a enfoncé le clou. « Il est très désagréable de s'entendre dire qu'il faut inciter les médecins à venir soigner les habitants des zones rurales C'est comme s'il fallait défricher notre pampa à la machette. C'est insultant. » « S'il y a de telles zones, c'est parce qu'on a tout misé sur la liberté d'installation et l'autorégulation, qui ne fonctionnent pas, a renchéri la sénatrice communiste Céline Brulin. J’ai donc l'impression que certains tirent argument des pénuries de médecins pour exiger des rémunérations supplémentaires. »
“C'est comme s'il fallait défricher notre pampa à la machette. C'est insultant
Anne-Marie Nédélec, sénatrice de la Haute-Marne
Compensation
Face aux critiques de ses collègues sénateurs, Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales a défendu l’esprit et la lettre de son texte de compromis. « La mesure prévue à l'article 3 [le fait de subordonner l’installation en zone bien dotée à un engagement d’exercice à temps partiel en zone sous-dense] est perçue par les médecins comme une contrainte qui minore leur liberté d'installation. Il est donc bien normal de prévoir une compensation », a justifié le sénateur LR des Deux-Sèvres. Le ministre de la Santé, Yannick Neuder, a aussi tenté de calmer le jeu, en saluant la valorisation de « l’effort du médecin qui sortira de sa zone de confort de son cabinet, pour aller exercer à 30 km deux jours par mois. C'est un aller-vers qui entraîne divers frais ».
Reste à savoir comment le gouvernement compte articuler ces évolutions avec les dispositions… déjà prévues dans la nouvelle convention médicale. Ce contrat signé en juin 2024 prévoit justement une valorisation de l’activité en zones sous-denses avec des forfaits complémentaires aux majorations du forfait médecin traitant à compter de janvier 2026 (10 000 euros pour les médecins primo-installés en Zip, 5 000 euros pour les primo-installés en ZAC, 3 000 euros pour la création d’un cabinet secondaire et 200 euros par demi-journée pour les consultations avancées en ZIP). Sans compter que le nouveau forfait médecin traitant unique prévoit des majorations spécifiques pour les médecins primo-installés ou installés en Zip.
Auditionné ce mercredi matin par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, Thomas Fatôme, DG de la Cnam a reconnu de son côté que, « sur les consultations avancées portées dans la convention, le gouvernement va plus loin en poussant cette solidarité territoriale avec une dose d'obligation ». « L’Assurance-maladie sera partie prenante du dispositif », a-t-il assuré. De l’art de s’adapter aux règles du jeu mouvantes, au gré des initiatives du Parlement et de l’exécutif.
Les principales mesures en résumé
Adoptée à 190 voix pour et 29 contre au Sénat, la proposition de loi Mouiller met en place plusieurs leviers pour améliorer l’accès aux soins dans les zones fragiles. Florilège.
– Création d’offices départementaux d'évaluation chargés d'identifier les besoins en professions de santé sur les territoires et renforcement de la participation des élus locaux à la définition de la stratégie nationale en santé
- Conditionner l'installation des médecins généralistes libéraux en zone sur-dense à un engagement d'exercice à temps partiel en zone sous-dense
- Extension de l’encadrement des installations aux médecins salariés exerçant dans un centre de santé ;
- Mission de solidarité territoriale obligatoire dans des zones considérées comme « prioritaires » par les ARS (article du gouvernement) avec jusqu’à deux jours de consultations par mois dans les territoires concernés ; pénalité financière en cas de refus ;
- Suppression de la majoration du ticket modérateur pour les patients n’ayant pas pu désigner de médecin traitant pour cinq ans
- Examen spécifique pour les praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) ayant exercé en France
- Favoriser les partages de compétences entre professionnels de santé en développant les coopérations entre eux
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