Présentée lors du congrès de l’American Diabetes Association (Philadelphie, États-Unis), l’étude ORIGIN montre que l’insuline peut être utile dans le diabète de type 2 récent et dans le prédiabète à haut risque cardiovasculaire, mais l’hygiène de vie reste fondamentale. Tour d’horizon avec le Pr Paul Valensi (hôpital Jean Verdier, Bondy).
L’étude ORIGIN (Outcome Reduction with an Initial Glargine Intervention), une grande étude internationale, a été le moment incontournable de l’édition 2012 du congrès de l’American Diabetes Association. Il s’agit d’une étude qui s’est intéressée à une population de 12 537 patients avec un diabète de type 2 connu depuis 5,5 ans en moyenne ou nouvellement diagnostiqué ou avec un prédiabète, avec antécédents cardio-vasculaires ou à haut risque cardiovasculaire. Initialement, l’objectif était de montrer si l’insuline basale glargine ferait mieux que le traitement conventionnel sur le risque cardiovasculaire. Au final, le verdict est « neutre » c’est-à-dire après un suivi moyen de 6,2 ans, le taux d’événements cardiovasculaires est de 16,6 % dans le groupe recevant la glargine contre 16,1 % dans le groupe traité de manière conventionnelle. Idem pour les autres critères comme la mortalité totale, les infarctus, les décès de cause cardiovasculaire, les hospitalisations pour insuffisance cardiaque et les revascularisations coronaires.
En substance, il n’y a pas d’inconvénient à utiliser l’insuline basale glargine en phase précoce de diabète de type 2 et c’est une nuance sémantique qui mérite d’être soulignée pour la mise en pratique de ces résultats. Considérées par certains comme une vraie révolution conceptuelle, les conclusions d’ORIGIN vont dans le sens des tenants de l’hypothèse de l’insulinothérapie précoce. Pour ceux-ci, il vaut mieux utiliser tôt l’insuline avant que l’HbA1c se dégrade trop fortement et que le diabète soit trop déséquilibré. Cette mise au repos des cellules bêta des îlots de Langerhans sur-sollicitée par l’insulino-résistance et l’hyperglycémie prolongée serait favorable sur le contrôle glycémique du diabète de type 2 et sur la transition entre prédiabète et diabète, du moins sur le suivi dont on dispose.
Pas de risque augmenté de cancer
Côté tolérance, l’étude montre aussi qu’il n’y a pas d’excès de cancers, une bonne nouvelle après les soupçons émis depuis 2009 sur un risque augmenté de cancer avec la glargine. L’étude ORIGIN nous enseigne qu’on peut débuter l’insulinothérapie précocement avec une insuline basale telle que glargine en toute sécurité sur le plan cardiaque et elle lève le doute sur les conséquences éventuelles d’un effet pro-athérogène de l’insuline. L’incidence des hypoglycémies sévères se limite à un cas pour 100 patients-années (contre 0,31 dans le bras contrôle) alors que l’objectif glycémique était exigeant puisque la cible de la glycémie à jeun à atteindre et maintenir sous glargine était inférieure à 0,95 g/l . Au moins un épisode d’hypoglycémie symptomatique non sévère était rapporté chez 57 % des patients sous glargine contre 25 % des patients sous traitement usuel.
Au total, le sur-risque d’hypoglycémie avec l’insuline s’avère finalement peu élevé et la prise de poids suffisamment modérée, de 1,6 kg en moyenne, pour que le profil de tolérance soit admissible.
Pour autant, l’insuline ne relève pas de la deuxième intention systématique dans le diabète de type 2. Même les partisans les plus fervents avouent qu’on ne peut pas la proposer à tous les patients en échec de la metformine. Et tout le monde de la diabétologie n’adhère pas à cette stratégie d’insulinothérapie précoce en seconde intention. « Cette population n’est pas un bon témoin de la population globale des diabétiques de type 2 à haut risque cardiovasculaire car elle a inclus des diabétiques plutôt bien équilibrés (HbA1c en moyenne à 6,4 % à l’inclusion) et des prédiabétiques » a expliqué le Pr Valensi (Hôpital Jean Verdier, Bondy). De plus, le spécialiste rappelle que « Le but initial de l’étude était de savoir si l’insuline était susceptible de réduire l’incidence des évènements cardio-vasculaires». Mais il ajoute, plus rassurant : « L’étude ACCORD a montré que les hypoglycémies étaient associées à une surmortalité et on pouvait imaginer que l’insuline en augmentant les hypoglycémies pourrait avoir les mêmes conséquences mais cela ne sort pas du tout». Il faut rappeler que dans ACCORD la surmortalité prédite par les hypoglycémies sévères affectait sans doute surtout chez des sujets fragiles. Mais, la population de l’étude ORIGIN est différente avec des sujets ayant un diabète nettement moins ancien et moins déséquilibré. « On est rassuré sur le surcroît de risque avec le suivi de 6,2 ans. C’est vrai que c’est un peu court pour le risque de cancer mais le point positif est qu’il s’agit d’une étude d’intervention, bien contrôlée avec une méthodologie rigoureuse » a commenté le Pr Valensi. « Un résultat impressionnant est l’amélioration de l’HbA1c qui s’est maintenue en moyenne entre 5,9 et 6,3 % au long de l’étude alors que le niveau de base moyen était déjà satisfaisant. Si l’insuline est protocolisée, ça se passe bien », a affirmé le Pr Valensi.
Ne pas pousser à l’insuline
« L’aspect pratique est que même un diabétique récent peut être mis à une insuline basale si on pense que l’insuline peut apporter un avantage sur l’équilibre glycémique. Quant au bénéfice de l’insuline chez le patient prédiabétique à haut risque cardiovasculaire son bénéfice à plus long terme, en particulier à distance de l’arrêt de l’insuline, doit être confirmé, a nuancé le spécialiste. Tout cela ne veut pas dire qu’il faut pousser à l’insuline ! » En tout cas, l’étude ORIGIN ne clôt pas la controverse entre les pros et les opposés de l’insulinothérapie même si elle valide a posteriori les opinions favorables des partisans de l’insuline précoce et leur donne des arguments solides pour promouvoir cette position. Une des grandes inconnues est l’acceptabilité d’un traitement injectable par un patient au tout début de son diabète.
Chez les prédiabétiques, la glargine permet de réduire de 28 % l’incidence des nouveaux cas de diabète. « Là encore, le recul est très court pour affirmer quoi que ce soit ». Mais si le concept d’insulinothérapie précoce peut se concevoir sur la base de ces résultats, l’appliquer en pratique courante dans cette situation parait abusif et n’est pas chose facile. ORIGIN soulève la question légitime de la prévention chez les sujets prédiabétiques puisque 10 % de l’effectif de l’étude ORIGIN étaient constitués de prédiabétiques. Les Etats Unis compteraient environ 79 millions de prédiabétiques, soit 35 % de la population des plus de 20 ans. « On peut prévoir que 25 % d’entre eux vont devenir diabétiques dans les sept ans à venir selon les données des études de suivi dont on dispose», a souligné le Pr Valensi. L’amélioration de l’hygiène de vie est fondamentale avec des preuves convaincantes. Les données complémentaires de l’étude DPP (Diabetes Prevention Program) montrent que plus on atteint d’objectifs intermédiaires tels que la perte de poids ou l’augmentation de l’activité physique, plus on évite le passage de l’état pré-diabétique au diabète. L’étude Diabetes Prevention Program Outcomes Study (DPPOS) montre qu’aucun patient intolérant au glucose qui redevient normotolérant au glucose après modification de son style de vie ne devient pas diabétique, même plusieurs années après la phase d’intervention, une observation qui se rapproche de la mémoire glycémique suggérée par l’étude UKPDS à long terme. En revanche, si les intolérants au glucose restent dysglycémiques malgré la modification de l’hygiène de vie, ils ont plus de chances de devenir diabétiques. D’où l’importance de suivre l’évolution de la tolérance au glucose et de recourir à d’autres démarches chez ceux qui sont résistants aux modifications hygiéno-diététiques. Mais il faut souligner qu’il n’y a aucune AMM dans le prédiabète. Dans les grands essais de médicaments, les glitazones s’avèrent très efficaces sur ce terrain mais l’exception française fait qu’elles ne sont plus disponibles en pratique. Un point récent de l’ANSM indique que « de nouvelles études confirment l’augmentation du risque de cancer de la vessie associée au traitement par pioglitazone ». Du fait d’un rapport bénéfice/risque défavorable, l’utilisation des médicaments contenant de la pioglitazone a été suspendue en France au mois de juillet 2011.
Dépister l’intolérance au glucose
Si le « lifestyle » semble si bénéfique qu’en est-il en réalité ? « Plusieurs études montrent que ça donne de très bons résultats dans les programmes structurés tels que celui que nous avons mis en place dans notre département avec le soutien de l’ARS» a indiqué le Pr Valensi mais dans la pratique du généraliste, l’association éducation physique et alimentation reste souvent un vœu pieux. « Il faut savoir dépister l’intolérance au glucose. Le test de charge en glucose (avec dosages de la glycémie à jeun et deux heures après prise orale de 75 g de glucose) est le test qui offre la plus forte sensibilité pour dépister les anomalies glycémiques prédiabétiques» a souligné le spécialiste. Il faut aussi tenir compte de la perception du patient de son propre état de forme. Les tests d’évaluation qui déterminent la capacité physique sont particulièrement prédictifs de maladies cardio-vasculaires chez les obèses. Les exercices physiques ne s’entendent pas uniquement en endurance mais doivent comporter une composante d’exercices contre résistance pour recueillir le maximum de bénéfice métabolique.