Syndrome de fatigue chronique, fibromyalgie, troubles fonctionnels intestinaux... autant de constructions nosographiques qui sollicitent, chez le médecin, des ressources de créativité pour leur prise en charge au long cours. Car malgré les échecs thérapeutiques, ces « fonctionnels » souvent reviennent, autant en quête de relation avec nous que de science médicale.
Il est loin le temps où l'interprétation (sauvage) du langage du corps laissait l'espoir de voir disparaître ces symptômes fonctionnels par la seule (toute) puissance de la parole. « En dehors de la conversion hystérique et de la théorisation proposée par la psychanalyse, il serait vain voire contreproductif de vouloir repérer une quelconque valeur métaphorique à ce langage du corps que constituent les symptômes fonctionnels » explique le Pr Consoli*. En contrepoint, vouloir à tout prix faire rentrer ces symptômes médicalement inexpliqués dans des cadres nosographiques appartenant à l'univers de la science médicale fait courir le risque d'une inflation d'examens complémentaires, parfois délétères et toujours coûteux, de prescriptions médicamenteuses inadaptées mais surtout de passer à côté de ce qui est la quête de la plupart de ces patients : celle d'une écoute, d'un regard, d'une parole juste...
Les modèles explicatifs
Nombreux sont les modèles explicatifs qui veulent rendre compte de l'étiologie de la somatisation et des symptômes fonctionnels mais aucun individuellement n'est satisfaisant pour donner une cohérence à ces manifestations. Pour autant ces divers modèles ne sont pas antinomiques car ils se situent à des niveaux d'analyse différents. Le modèle biologique fait la part belle à l'activation du système sympathique, aux tensions musculaires liées au stress, à l'hyperventilation, aux dettes de sommeil, l'inactivité physique, la douleur chronique. L'approche systémique des systèmes familiaux évoque un apprentissage, par identification à des personnes signifiantes de l'entourage, de la manière d'être malade et de le faire savoir. Les traumatismes, maltraitances et évènements de vie sont sources aussi de « somatisations » par le biais de l'anxiété réactionnelle et la dépression liée aux pertes successives (deuils, échecs, handicaps...).
Les troubles de l'attachement liés à des carences affectives précoces peuvent aussi éclairer cette quête à l'âge adulte de recherche de soins, d'attention, réassurance. Les troubles de la personnalité avec, par exemple, une incapacité à verbaliser ses émotions (alexithymie) ou les troubles somatoformes tels que décrit par le DSM-IV peuvent aussi rendre compte des conduites de somatisation. Les concepts freudiens de la conversion hystérique donne une conceptualisation cohérente des facteurs psychodynamiques qui conduisent du conflit névrotique au symptôme corporel. Les approches comportementales et cognitives de la somatisation par le biais de (mauvais) conditionnements ou d'un traitement cognitif (pathologique) de l'information donnent aussi un modèle pour la mise en place des somatisations mais surtout des approches éducatives et des attitudes thérapeutiques utilisables de façon pragmatique en soins primaires par le médecin traitant. Enfin les facteurs culturels, sociaux, ethniques rendent compte des différences d'expression des émotions, de la détresse psychique et des somatisations selon les cultures ou les classes sociales.
Une prévention de la somatisation chronique
Bien souvent les objectifs thérapeutiques des troubles fonctionnels se réduisent à réduire les coûts de santé et les risques iatrogènes, sans véritable espoir d'améliorer la qualité de vie des malades. Mais c'est au niveau des soins primaires « qu'une véritable prévention de la somatisation chronique pourrait être mise en place » estime le Dr Pascal Cathébras, avant que la somatisation ne soit inscrite définitivement dans le corps, à un moment où les symptômes ne sont pas encore organisés. L'évaluation attentive d'un problème de santé par le médecin dans le cadre d'une relation personnalisée et d'une approche centrée sur le patient est un acte à la fois préventif et thérapeutique de ces symptômes fonctionnels. Elle permet de ne pas passer à côté d'une pathologie organique (pour rassurer à la fois le patient et le médecin) mais aussi d'éviter de trop se fixer sur une hypothétique étiologie organique pour changer de registre de soins. « Avoir affaire à des patients fonctionnels, c'est pour tout médecin déjà accepter l'idée d'un pouvoir limité sur la santé de tels patients... C'est aussi accepter que le symptôme fonctionnel soit une sorte d'objet transitionnel circulant de l'un à l'autre... » poursuit le Pr Silla Consoli pour conclure : « L'ouvrage de Pascal Cathébras constitue un plaidoyer pour un maintien du lien à l'égard des patients fonctionnels... ».