Le point de vue de Carine Milcent*

La situation industrielle française ouvre la voie à une réflexion pour le futur. 

Publié le 19/03/2021
Article réservé aux abonnés

Les grandes entreprises pharmaceutiques françaises ont bien pris le virage des biotechnologies. Mais le soutien financier public et les partenariats universitaires sont  encore insuffisants, estime cette économiste de la santé.

Crédit photo : DR

Nous sommes aujourd’hui entrés dans une ère de diplomatie sanitaire où chaque État met la découverte de vaccins par des entreprises nationales ou multinationales au service de ses propres intérêts à des fins d’influence économiques et politiques. La France, par l’absence de vaccins étiquetés « français », est aujourd’hui en dehors de cette course. Évoquer les causes de la situation industrielle française actuelle sur les vaccins ouvre la voie à une réflexion pour le futur. L’apparition de variants au virus Covid-19 suggère que la crise sanitaire pourrait prendre une forme plus larvée que celle premièrement envisagée. Il importe donc de comprendre les causes du retard observé pour ce qui se présente désormais davantage comme un demi-fond qu’un sprint.

Des questionnements s’élèvent sur la capacité des entreprises pharmaceutiques à avoir pris le virage des biotechs. Or, tous les grands groupes pharmaceutiques mondiaux se lient depuis plusieurs années à des start-ups innovantes spécialisées dans la biotechnologie. La multinationale Pfizer, en 2016, annonçait l’acquisition de Medivation, une entreprise de biotechnologie spécialisée dans le cancer. Sanofi, en 2016, signait un accord de collaboration avec la biotech Translate Bio. Ainsi, le rapprochement des big pharma avec des start-up spécialisées en biotechnologie s’observait avant la crise sanitaire actuelle.

En outre, la mise au point rapide de vaccins ne nécessite pas obligatoirement la mobilisation de biotechnologies. Ainsi, le vaccin Astra-Zeneca ne s’appuie pas sur la technologie de l’ARN-messager, il utilise une méthode plus « classique », tout comme le vaccin développé par un laboratoire russe, le Spoutnik V. Plus récemment, le vaccin Valneva d’une entreprise de biotech française se distingue encore par une technologie différente.

Valneva fait couler beaucoup d’encre, non seulement par la promesse d’un nouveau vaccin contre le covid, mais également par le manque d’appui financier qu’elle a trouvé en France. Ses essais cliniques ont été financés par le Royaume-Uni et les premières doses de vaccins qui pourraient en découler iront directement chez nos voisins britanniques. L’Union Européenne s’est maintenant positionnée et a déjà commandé 60 millions de doses pour début 2022. Comment expliquer que cette start-up innovante, en pleine crise sanitaire, n’a pas obtenu de support financier français ?

Lourdeurs et lenteurs à déplorer

D’après un rapport du Conseil d’Analyse Economique (CAE), une des causes de la situation française est à trouver dans les lourdeurs administratives, la faiblesse des liens entre les universités et les entreprises ainsi que des mauvais ciblages. Tout d’abord, le recours à la biotechnologie implique des coûts de recherche et développement plus importants. Le coût moyen de développement d’un médicament a triplé en 15 ans tandis que les subventions à la recherche et développement en santé ont été réduites de 28 % en dix ans. Par ailleurs, le CAE estime que les chercheurs français auraient un salaire moyen qui représenterait 63 % de la rémunération moyenne de leur équivalent au sein des pays de l’OCDE [1].

La question du financement de la recherche pharmaceutique dépasse les frontières françaises. La crise sanitaire actuelle a montré l’importance d’une agence capable de débloquer rapidement des fonds. Aux États-Unis, la BARDA [2] a cette fonction auprès du département de la santé. Cette agence a autorité pour le financement de la recherche et développement avancés, notamment concernant les essais cliniques. La médiatisation de l’opération « Warp speed » qu’elle a menée pour le vaccin contre le Covid-19 a permis une réflexion sur l’importance d’une action européenne. Ainsi, la mise en place d’une agence dans l’esprit de la BARDA est désormais évoquée ainsi que les outils nécessaires à une véritable efficacité.

Dans la vision d’une Europe qui serait propulsée par un duo franco-allemand, l’absence de vaccin dit « français » résonne encore plus fortement. Outre-Rhin, BioNTech, start-up innovante se distingue par sa réussite et sa nouvelle notoriété. L’entreprise Curevac s’affiche également comme prometteur avec un vaccin à venir pour la fin de cette année 2021, en collaboration avec le géant Bayer.

Dans une vision d’une Europe collaborative sur les questions de santé, il est indispensable que la France puisse présenter ses pions sur l’échiquier des entreprises performantes en matière sanitaire. La technologie de l’ARN-messager ne concerne pas uniquement le Covid-19 et ses variants actuels et potentiellement à venir. Il s’agit également d’une réponse possible pour des pathologies comme le cancer ou les maladies cardio-vasculaires. Une Europe sanitaire ne peut s’envisager que si les pays leaders y contribuent à part importante.

[1] Organisation de Coopération et de Développement Économique _ OCDE
[2] Biomedical Advanced Research and Development Authority
Exergue : La mise en place d’une agence européenne dans l’esprit de la BARDA américaine est désormais évoquée

* Carine Milcent, professeur à l’Ecole d’économie de Paris (PSE) et chercheuse au CNRS

Source : Le Quotidien du médecin