Au contraire du risque micro-angiopathique du diabétique de type 2, les études qui chiffrent l’intensification du contrôle glycémique sur le pronostic cardiovasculaire se font très discrètes. Jusqu'où faut-il baisser l'HbA1c, pour quels bénéfices macro-angiopathiques… l'ALFEDIAM 2009 (Association de langue française pour l’étude du diabète et des maladies métaboliques, Strasbourg, 17-20 mars) a plongé les experts dans la littérature.
ALFEDIAM 2009
Chez le diabétique non insulinodépendant (DT2), un contrôle suffisamment strict de la glycémie permet de prévenir ou inverser les anomalies de la microcirculation. Le taux d'HbA1c est classiquement accepté comme critère de substitution avec, pour un point en plus ou en moins d'HbA1c, 30 % en plus ou en moins de rétinopathies, néphropathies et neuropathies. Mais la macroangiopathie, de mécanisme autrement plus complexe, multifactorielle, débute pour des glycémies très basses. De ce fait, le contrôle de la glycémie a un effet moins marqué, comme le montrent de longue date de nombreuses études telle UGDP (University group diabetes programm) puis, plus récemment, UKPDS Post trial (United kingdom prospective diabetes study) (1), ACCORD (Action to control cardiovascular risk in diabetes) (2), ADVANCE (Action in diabetes and vascular desease : preterax and diamicron MR controlled evaluation) (3), VADT (Veterans Affairs diabetes trial) (4). D'où les résultats globalement décevants de ces grandes études tant attendues qui ont secoué l'année 2008 et ce début 2009, car négatifs quant à leur critère premier, soit l'effondrement attendu du risque de survenue des complications macroangiopathiques au moyen d’une intensification du contrôle glycémique (HbA1c < 6 ou 6,5 % versus <7 à 7,5 %).
Lower, ever better ?
La stratégie d'intensification du traitement hypoglycémiant selon le principe « lower is better » en vue d'impacter favorablement la morbi-mortalité cardiovasculaire du DT 2 a reçu un coup d'arrêt avec les études d’intervention ACCORD et VADT, tempérés par ceux d'ADVANCE. Si l’on considère l’essai UKPDS à la fin de la période d’intervention, la réduction du risque d’infarctus du myocarde (IDM) était à peine significative et de faible amplitude (-16 %, p =0,052) et nulle concernant le risque d’AVC et pas plus de bénéfice significatif de la réduction de la glycémie dans ADVCANCE ou VADT. En revanche dans l’étude DCCT (6) dans le DT1, puis de DCCT/EDIC (7), cet infléchissement glycémique impactait positivement le risque cardiovasculaire, déjà en 1993 puis en 2005, dates de publications, un bénéfice devenu enfin significatif les participants vieillissant. Le parallèle est instantané avec le phénomène de « mémoire glycosique » mis en lumière par le suivi post-UKPDS, où le caractère significatif de la réduction du risque d’IDM apparaît enfin. L'étude UKPSD follow-up a en effet confirmé le bénéfice rémanent d'un équilibre glycémique correct et précoce en prévention primaire, illustrant la mémoire du glucose ou -plus justement- la mémoire d'un mauvais équilibre glycémique. « Les artères conservent la mémoire d’un mauvais équilibre du diabète, et la facture sera à payer, prévient André Grimaldi (service de Diabétologie-Métabolisme, GH Pitié-Salpêtrière, Paris). A l’inverse, un bon équilibre glycémique procure un bénéfice rémanent plus d’une décennie après. C’est miser sur le long terme. Un patient mal équilibré ajoute la durée de son diabète à son âge d’état civil. A la clé, un vieillissement prématuré de ses artères, l’artériosclérose, facteur de risque cardiovasculaire majeur. A cela s’ajoutent deux autres enseignements de ces études de stratégies thérapeutiques: il est possible de stabiliser l’évolution du diabète et de limiter l’échappement glycémique. Pour cela les associations médicamenteuses sont souhaitables dès le début de la maladie. Ces études apportent beaucoup pour définir et optimiser les stratégies thérapeutiques. »
Jusqu'où faut-il abaisser l’HbA1c ?
Ces grands essais sèment le trouble. « Depuis 1998, rappelle le diabétologue Gérard Slama, les publications internationales affichent des objectifs atteints d’hémoglobine glyquée, à 12 %, 10 % puis désormais 7,5 %, voire 7 %. La mortalité globale des diabétiques est passée de trois fois supérieure à la norme à 1,5 et même en dessous. Cette amélioration considérable brouille l’analyse du pronostic macrovasculaire. » « L’étude post-UKPDS nous apprend qu’un point d’HbA1c en moins, c'est 10 à 15 % de bénéfice cardiovasculaire sur une période longue, 10 ans, et c’est d’autant plus avantageux que l’HbA1c est élevée, rapporte André Grimaldi. Toutes ces études convergent : vis-à-vis du risque cardiovasculaire, dans le choix des molécules, il ne faut pas prendre en compte seulement leur action sur l'HbA1c, mais aussi la prise de poids et les hypoglycémies potentielles, ces dernières n’étant peut-être pas dénuées de risque chez un patient coronarien. » Cette récente littérature, ajoute le Pr André Scheen, (service de Diabétologie, Nutrition et Maladies métaboliques et unité de Pharmacologie clinique, CHU Sart Tilman, université de Liège, Belgique) « conforte la metformine comme molécule de premier choix. Le suivi post-UKPDS a clairement montré son efficacité à prévenir les complications cardiovasculaire dix ans plus tard, les patients ayant conservé ce bénéfice sur le plan de la protection cardiovasculaire. Comparant la metformine à un sulfamide et la rosiglitazone sur 4 ans, l’étude ADOPT a montré qu’elle était un très bon compromis en termes de sécurité, d’efficacité et de coût ». Cette absence d’impact observé sur la morbi-mortalité cardiovasculaire serait due, confirme André Scheen, au recul insuffisant (5 ans) d’ACCORD et ADVANCE, alors qu’il faut probablement patienter une dizaine d’années au minimum. Dans UKPDS, chez les patients sous sulfamide et insuline où aucun effet significatif n’avait été chiffré sur la morbi-mortalité CV, en ont eux aussi tiré bénéfice en post-UKPDS. »
Les hypoglycémies, un rôle délétère dans le pronostic cardiovasculaire ?
L’étude ACCORD visait une HbA1C < 6 % afin de réduire les événements macrovasculaires (IDM et AVC non fatals, mortalité CV), au sein d'une population particulièrement à risque CV. L'approche intensifiée a atteint 6,5 % d'HbA1c. ACCORD a été stoppée prématurément début 2008 après 3 ans et demi pour surmortalité toute cause. « Nous ne disposons pas d’argument fort pour inculper les hypoglycémies, modère André Scheen, mais d’une thèse soutenue par des éléments indirects. Par exemple, dans ADVANCE, où n’apparait pas de surmortalité CV, on trouve aussi moins d’hypoglycémies sévères par rapport aux autres études. Dans VADT, ceux qui avaient fait des hypoglycémies sévères récentes étaient à plus haut risque cardiovasculaire (mortalité cv multipliée par 4, mortalité toutes causes doublée), mais la cohorte était assez faible. On ne peut affirmer qu’intensifier le traitent accroît vraiment le risque cv, néanmoins les hypoglycémies graves pourraient aggraver le risque cv. La chute de l’HbA1c, brutale dans ACCORD, progressive dans ADVANCE ne peut non plus expliquer cette surmortalité, les décès auraient dû pour cela intervenir dans les six premiers mois et non pendant toute la durée de l’étude ».
Repérer les hypoglycémies
Pour le Dr Jean-Louis Chiasson, endocrinologue à l’hôpital Hôtel-Dieu et professeur à la Faculté de médecine (université de Montréal), « si l'on reprend la VADT dans des résultats non publiés présentés à l'ADA 2008, le facteur prédictif le plus fort des événements cardiovasculaires était les hypoglycémies sévères, beaucoup plus que les événements cardiovasculaires antérieurs. Par ailleurs, la durée du diabète semble influencer le traitement intensif de la glycémie sur les événements cardiovasculaires. Les patients diabétiques dont la maladie évolue depuis plusieurs années et sujets à des hypoglycémies pourrait probablement ne pas les ressentir pleinement (réponses physiologiques contre-régulatrices bien connues chez le DT1 ) et être sujets à des arythmies et à d'autres facteurs d'ischémie, augmentant ainsi la mortalité. ». Cette culpabilité en demi-teinte n’est pas partagée par Michel Marre. « Ca n'est pas totalement exact, réfute celui-ci, dans le registre des décès cardiovasculaires en excès dans ACCORD, un ou deux cas pourraient ressembler à une régurgitation pulmonaire et donc on peut imaginer que ça c'est produit chez quelqu'un en grande hypoglycémie, sans que ce soit certain. Les autres causes de décès sont plus banales. Quand on se réfère aux essais, d'une part le DCCT (6) dans le diabète de type 1, et UKPDS dans le type 2, il y a eu des hypoglycémies sévères en excès dans les groupes où la glycémie a été abaissée expérimentalement et la réponse est qu'il n'y a pas eu de relation en particulier en les morts d'origine cardiovasculaire et les hypoglycémies. Dans ADVANCE, l'excès d'hypoglycémies sévères représente trois cas pour 1 000 personnes traitées pendant un an. Il faut souligner que dans ACCORD, l'incidence des ennuis cardiovasculaires a été deux fois plus faible que dans d'autres études comme ADVANCE. Le comité de surveillance ACCORD a été extrêmement frileux. J'attends les méta-analyses regroupant UKPDS-ADVANCE-VADT-ACCORD et j'espère que le bénéfice cardiovasculaire des traitements intensifs glycémiques sortira au grand jour. Cependant, il aura logiquement une amplitude plus faible que le contrôle des lipides ou la pression artérielle. » Une baisse trop rapide de l'HbA1c pourrait-elle expliquer cette surmortalité CV ? « Nous n'avons aucune base pour l'étayer, poursuit-il. Mais je pense qu'il faut pratiquer un fond d'œil des diabétiques en début de traitement. Si comme pour 90 % d’entre eux il est négatif, vous ne craignez rien à l'abaisser très vite. Dans le cas contraire, mon intime conviction est de mettre le patient sous forte dose d'IEC, la microcirculation étant alors protégée. »
Objectifs moins sévères
« On clôturera probablement l’ALFEDIAM, imagine le Pr Michel Pinget, chef du service d'endocrinologie aux hôpitaux universitaires de Strasbourg, et président du comité d’organisation strasbourgeois, avec l’idée d’objectifs glycémiques un peu moins sévères, se rapprochant de 7, peut-être même 7,5 % pour les DT2 à haut risque cv, soit 80 % d’entre eux ! C’est revenir dix ans en arrière et retomber sur le bon sens. » Mais le devoir et le bénéfice d’un traitement intensif de tous les facteurs de risque cardiovasculaire, comme l'a montré Post-Steno 2 (5), publiée en 2008, qui confirme le bénéfice de l'approche multifactorielle, puisqu'avec 14 ans de suivi, on obtient une diminution de 59 % des événements cardiovasculaires et une diminution significative de la mortalité totale de 46 %. C’est devenu la règle, indépendamment d'une dyslipidémie, une statine s'impose, avec l'objectif d'un taux de LDL-c<100 mg/dl, idéalement 75 mg/dl. Le bras « lipides » d'ACCORD répondra bientôt sur le bien-fondé de la combinaison statine-fénofibrate. La pression artérielle doit impérativement être inférieure à 130/80 mm Hg (<125/75 mm HG si néphropathie débutante) au moyen des IEC, ARA2 ou sartan et/ou inhibiteur direct de la rénine (aliskiréne) avec souvent l'association à un diurétique thiazidique à faible dose et/ou un antagoniste calcique. De faibles doses d'acétylsalicylique semblent logiques également chez le DT2, comme chez tout patient coronarien, même si la littérature n'est pas prolifique sur le sujet chez ces malades DT2.
« L’étude ORIGIN, menée chez des patients DT2 à haut risque CV dont l’HbA1c est peu élevée et chez les pré-diabétiques, teste la mise sous insuline très précoce, ajoute André Grimaldi. Elle mettra un point final au débat sur l’impact de l’insuline en soi indépendamment de l’équilibre du diabète, et son action vis-à-vis de l’artériosclérose. » D’autres études évaluent la GPP et le bénéfice clinique d’un contrôle strict, ainsi que la thèse de démarrer très précocement avec des associations d’antidiabétiques ne provoquant pas d’hypoglycémies (metformine-glitazones-incrétines) sur le gain de morbi-mortalité cv. Une question qui tombera sous le coup du bénéfice /risque mais de fait, sous celui du bénéfice/coût. L’évaluation de l’association insuline-analogues du GLP-1 est attendue tout aussi impatiemment.
Une prévention cardiovasculaire multirisque
Un diabétique a un risque CV double voire triplé. La prise en charge du DT2, multifactorielle, globale, reste on ne peut plus d'actualité, au prix d'une stratégie médicamenteuse ultra-complexe intégrant des objectifs glycémiques individualisés, de nouvelles molécules (incrétino-mimétiques et incrétino-potentialisateurs, les inhibiteurs du DPPIV et les analogues du GLP1), différents sons de cloche quant à la prise en charge (recommandations HAS 06, ADA-EASD 09..), et la surveillance de l'ensemble des facteurs de risque cardiovasculaire. Le tout de façon extrêmement précoce, dès le diagnostic, en fonction d’objectifs stricts, afin de ne pas arriver après la bataille, lorsque l'insulinorésistance et l'insulinopénie sont bien avancées et leurs dégâts irréversibles. L’équilibre glycémique est primordial en début de maladie. Une glycémie modérément élevée est un signal de risque cardiovasculaire. « Le sur-risque dû au diabète est probablement dû au risque microvasculaire, résume Michel Marre. Une protéinurie multiplie le risque cardiovasculaire par huit. La glycémie est un objectif aussi important que les autres facteurs de risque cardiovasculaire. La différence ? C’est un placement sur le long terme. »