Il est contre le secteur optionnel et plaide pour un « strict encadrement» des dépassements. Il se dit opposé à la coercition, mais estime nécessaire de limiter le conventionnement en zones surdotées. François Hollande se montre aussi convaincu de la nécessité de diversifier encore davantage la rémunération des généralistes. Et, sur la fin de vie, il se prononce en faveur « d’une assistance médicalisée pour mourir dans la dignité ».
Le Généraliste. Quel diagnostic faites-vous concernant le système de santé français ? Est-il, selon vous, malade ? Et si oui, de quoi ?
François Hollande. Nous pouvons compter sur de formidables professionnels, mais notre système de santé se dégrade, faute d’investissements. La santé n’est pas une priorité de ce gouvernement : le taux de remboursement par la sécurité sociale diminue, il est seulement de 55% pour les soins courants. Près de 10 millions de personnes renoncent à des soins pour des raisons financières, je pense par exemple aux étudiants. Nicolas Sarkozy porte une lourde responsabilité du fait de la multiplication des franchises, forfaits et déremboursements qui pénalisent les ménages, sans même parler du dérapage déraisonnable des dépassements d’honoraires. Les déserts médicaux se développent ; les inégalités face à la santé se creusent : l'espérance de vie d’un cadre est supérieure de 7 ans à celle d’un ouvrier ; l’obésité, par exemple, frappe davantage les familles modestes. Quel gâchis quand on pense à la qualité des professionnels et l’excellence de notre recherche !
Vous avez déclaré qu’il fallait considérer la santé « comme un investissement et non comme un coût ». Et, en même temps, vous insistez sur la nécessité de résorber les déficits, à commencer par le « trou » de la Sécu dont il faut « impérativement rétablir les comptes,» selon vous. Comment concilier les deux ?
F.H. La résorption des comptes sociaux s’impose d’abord pour ne pas pénaliser les générations futures, ensuite parce que sinon notre système s’effritera : on voit la tentation de la droite de s’en remettre de plus en plus aux assureurs privés. Il faut donc engager des réformes de structure, car investir dans la santé c’est d’abord investir pour l’amélioration de la qualité de vie de nos concitoyens ! Des populations en bonne santé sont aussi un atout pour l’économie et la santé est par ailleurs un secteur d’investissements d’avenir, à travers les biotechnologies ou la recherche clinique.
L’insuffisance de l’offre médicale dans certaines zones de l’Hexagone est un motif récurrent de préoccupation. Pour y remédier, faut-il supprimer la liberté d’installation ou plutôt jouer l’incitation ?
F.H. Les Français doivent pouvoir compter partout sur un service public de santé. Le creusement des « déserts médicaux », dans les zones rurales mais aussi certains quartiers urbains, n'est pas acceptable. Le maintien des hôpitaux de proximité est à cet égard nécessaire à la bonne irrigation de notre territoire. Le système français s’est construit sur deux jambes, celle du secteur public et celle de la médecine libérale. C’est un fait. Les Français sont attachés au libre choix de leur médecin, de leur dentiste… Je suis convaincu que les mesures coercitives d'installation ne marchent pas. Pour autant, je ne veux pas transiger sur l’objectif : l’égalité d’accès aux soins. Il faut engager le dialogue autour de mesures qualitatives, répondant aux attentes des jeunes professionnels : développement des maisons, centres et réseaux de santé, meilleure coordination des soins, transferts de compétences. Le conventionnement des professionnels dans les zones surdotées doit être limité. Je suis convaincu que les professionnels de santé sont conscients de leurs responsabilités.
Autre frein à l’accès aux soins : l’importance des dépassements d’honoraires. Pensez-vous qu’il faille les interdire ? Ou les plafonner ? Avez-vous le sentiment qu’on peut résoudre le problème en mettant en place un nouveau secteur conventionnel à honoraires régulés ?
F.H. Les dépassements d'honoraires atteignent des niveaux qui sont insupportables. Dans ces conditions, la liberté de choix est assez théorique ! Je dis nettement que je veux un strict encadrement et un plafonnement des dépassements d'honoraires, car ils dénaturent l'esprit de la sécurité sociale. Les partenaires sociaux devront négocier, mais je ne peux transiger sur l’objectif. Cela implique la remise à plat des honoraires pour les actes qui sont sous-cotés. La solution proposée d’un secteur optionnel, qui prétend limiter les dépassements en échange de leur meilleure prise en charge par les complémentaires, n’est pas convaincant : il revient à généraliser les dépassements et à accepter qu’une part croissante des dépenses soit assumée par les patients eux-mêmes. Je refuse que les dépassements deviennent la règle.
Les médecins généralistes sont-ils, selon vous, suffisamment payés ? Faut-il forfaitiser davantage leur rémunération ? Le paiement à l’acte doit-il, à terme, être réduit à une «place résiduelle » comme le préconisait le « projet pour l’égalité réelle » adopté par le PS en novembre 2010 ?
F.H. Le revenu imposable des médecins généralistes en 2010 a baissé. Je regrette, plus largement, que les spécialités techniques soient largement mieux rémunérées que les spécialités cliniques (généralistes, pédiatres, psychiatres, endocrinologues …). Les généralistes doivent être le pivot du système, de véritables médecins référents. Pour cela, il faut revoir les mécanismes mêmes de leur rémunération en introduisant une part forfaitaire, dans le cadre d’un exercice pluridisciplinaire, qui permettrait de mieux valoriser les actes de prévention. Faut-il que la rémunération à l’acte devienne résiduelle ? Le débat ne se pose pas en ces termes : aujourd’hui, c’est la diversification des modes de rémunération qui est intéressante car elle permet de sécuriser les médecins et de mieux répondre aux besoins de santé publique.
Les pouvoirs publics viennent d’introduire une part de paiement à la performance pour les généralistes. Est-ce une bonne idée ?
F.H. Je n’aime pas ce terme de performance, parlons plutôt d’exigence de qualité. L'accord conventionnel de juillet 2011 a notamment été signé par les généralistes. Si cela permet vraiment d’améliorer le juste soin et les bonnes pratiques, c’est une bonne chose. Si c’est le faux-nez d’une simple maîtrise comptable des dépenses, cela ne marchera pas. Mais oui, il faut encourager les médecins à développer la prévention, à moins prescrire de médicaments par exemple.
Le projet socialiste évoque la nécessité de « remettre l’hôpital au coeur du système». En quoi ce rôle central pourrait-il modifier les rapports ville-hôpital ?
F.H. C’est le service public de santé qu’il faut remettre au cœur du système, à la fois l’hôpital public et la médecine de proximité. L’insuffisante coordination entre hôpital et médecine de ville est problématique. Chacun doit trouver sa place dans le cadre d'une coordination territoriale des soins. Je prends deux exemples : après une hospitalisation, les médecins de ville doivent pouvoir prendre le relais plus facilement qu’aujourd’hui ce qui suppose que l’hôpital se recentre sur ses missions propres. A l'inverse, les urgences hospitalières sont encombrées de patients qui pourraient être pris en charge en ville. L’hôpital a beaucoup souffert ces dernières années d’être assimilé à une entreprise : je rends hommage aux praticiens hospitaliers, à tous ses personnels soignants et non soignants, qui se sont souvent sentis humiliés. L’hôpital public a des contraintes propres, des missions propres, qui doivent être reconnues.
On entend souvent dire que le système Français pêche par son abord trop exclusivement curatif de la santé ? Partagez-vous ce point de vue ? Sur quels acteurs s’appuyer pour améliorer la prévention ? Ecole, médecine du travail, hôpital, médecine de ville...
F.H. La prévention est regardée avec une condescendance déplorable, elle fait l’objet de grandes déclarations mais les actes ne suivent pas : le gouvernement devait présenter une loi de santé publique en 2009, nous l’attendons encore ! Quant au volet santé publique de la loi HPST, il est vide. Médecine scolaire, du travail, de l'enfance doivent être développées. Ma proposition de recruter 12 000 personnels scolaires par an pendant 5 ans renvoie aussi à cela. Je n’ai pas parlé seulement d’enseignants : nous avons besoin de médecins et d’infirmières dans les écoles, de psychologues.
Deux questions de société font débat dans l’opinion et semble-t-il aussi au sein du PS : dépénalisation du cannabis et légalisation de l’euthanasie. Quel est votre sentiment sur ces deux sujets ?
F.H. Je suis opposé à la dépénalisaion de l'usage du cannabis pour des raisons de santé publique, il faut donc clairement fixer la règle et la faire appliquer. En même temps, la loi de 1970 condamnant cet usage jusqu’à un an d’emprisonnement n’a pas de sens et ne règle pas le problème grave des réseaux de trafiquants. C’est la question des dépendances qui doit être posée, plus largement. Pour l’euthanasie, soyons prudents quant aux mots employés et aux situations concernées. Je suis favorable à une loi permettant à une personne en fin de vie, confrontée à une souffrance, morale ou physique, de bénéficier d'une assistance médicalisée pour mourir dans la dignité. Cela suppose de recueillir son avis de manière indiscutable, ainsi que celui d'un collège de soignants.