Particulièrement évoquées durant la campagne aux URPS, les bisbilles entre généralistes et caisses sont-elles en progression actuellement ? De récentes affaires montrent qu’en tout cas ce n’est pas une vue de l’esprit. Nous proposons cette semaine un tour d’horizon sur le terrain, depuis les courriers pour défaut de télétransmission, en passant par les mises sous tutelle de prescripteurs. Et jusqu’à ce praticien du Rhône pris au cœur d’un trafic de médicament qui a subi les rigueurs de la garde à vue. Récits.
Soixante-dix médecins généralistes du Rhône qui reçoivent un courrier de leur cpam les invitant à s’expliquer sur leurs prescriptions d’arrêts maladie. À MG-France, ce sont une centaine de confrères qui ont pris contact avec le syndicat depuis le début de l’année pour des différends avec leur caisse, ou pour faire part de leur sensation de harcèlement. Et les prescriptions d’arrêt-maladie ne sont pas seules en cause. En la matière, tout y passe : de la demande de remboursement d’indu au médecin pour un trop perçu par le patient, au litige sur le calcul des abattements kilométriques. Le nouveau motif de relance à la mode ces derniers temps ? Des courriers ou des appels des cpam concernant les taux de FSE alors même que, petit rappel, la taxation des feuilles de soins n’est pas prévue avant janvier 2011. Quel zèle ! Y aurait-il des consignes nationales pour renforcer « la traque aux abus » chez les généralistes ?
Selon le président de l’Unof, le Dr Michel Combier « s’il existe bien des cas de harcèlement de la part des caisses, certains syndicats, en période de campagne pour les élections aux URPS, ont tendance à surjouer cette carte de la défense de la médecine de proximité ». Son de cloche analogue au SML, dont le vice-président, le Dr Eric Henry lâche : « autant MG-France a une réelle légitimité à se positionner en défenseur traditionnel des confrères en bisbille avec leurs caisses, autant l’agitation qu’entretient un syndicat comme Union Généraliste sur ce sujet peut relever davantage de l’opportunité »… Ambiance, ambiance.
Reste que sur le terrain, Maître Di Vizio, l’avocat spécialiste des dossiers de harcèlement pour Union généraliste justement, a décidé de contre-attaquer. Comment ? En portant neuf affaires qu’il qualifie d’abus de droit devant les tribunaux des affaires sociales (TASS). En l’occurrence, ceux de Reims, Nanterre, Montpellier, Lyon, Vannes, Toulouse, Saint-Quentin, Seine-et-Marne et Boulogne-sur-Seine.
D’impressionnantes sommes en jeu
Le montant des sommes en jeu dans certaines de ces affaires est impressionnant. 80 000 euros pour une consœur « à qui il est reproché d’avoir facturé en C des actes de psychothérapie, sans y être autorisée.
« Vous imaginez dans quel état d’esprit je me trouve, indique le Dr Nicole Almar. « Inquiète, parce que je ne sais pas où je vais trouver une telle somme. Mais je suis aussi très en colère. Comment reprocher quelque chose à quelqu’un sans jamais l’avoir prévenu que sa démarche n’était pas la bonne ? », s’insurge le Dr Almar depuis son cabinet de Montpellier. En effet, cette dernière n’a jamais été auditionnée dans le cadre d’une entente préalable, et parmi les griefs que lui a formulés la surveillante des soins de sa Cpam, le Dr Almar a relevé celui-ci qu’elle trouve plutôt savoureux : « on m’a reproché de ne pas prescrire de médicaments à l’issue de mes consultations… ». Voici pour le fond. Mais la forme de la procédure la révolte tout autant. « La période incriminée court de l’année 2008 à 2009. Avant que je reçoive le premier courrier, les services de l’assurance-maladie ont contacté une partie de mes patients. C’est l’une d’entre elles qui me l’a rapporté. Absente de son domicile lorsque la préposée est venue, elle a dû répondre à une convocation en bonne et due forme de sa cpam. Elle était furieuse et leur a dit tout le bien qu’elle pensait de leurs méthodes ».
« Le décret invoqué par les services d’assurance-maladie pour contester la facturation, non content d’être étranger au sujet, date de mai 2010 et ne peut être applicable aux actes antérieurs à sa publication », rassure Maître Di Vizio. Qui conseille au passage aux médecins généralistes de ne pas s’aventurer à prêter leur CPS à leur remplaçant, même lorsqu’ils sont malades. « La caisse pourra vous demander de rembourser ses honoraires, même si vous n’en avez perçu qu’un faible pourcentage ». Valeur du litige en cours dans le sud-est de la France : 30 000 euros.
« Bouffer » du généraliste
« Où est la logique ? », s’interroge le Dr Alain Frédéric Luvrat. Ce praticien a tenu à apporter son témoignage personnel face à la situation du généraliste incriminé. « J’ai dû me faire remplacer en urgence par des confrères pour des raisons personnelles. Un mois et demi après mon retour, j’ai été contacté par les services de la caisse qui me demandaient pourquoi mon taux de télétransmission de FSE qui d’habitude avoisine les 95 % était descendu pendant un mois à 70 % environ. J’ai répondu que je m’étais absenté et que j’avais conservé ma CPS. Ce à quoi, mon interlocutrice m’a suggéré, de façon voilée certes, que « après tout si j’avais confiance en mes remplaçants »… pourquoi ne pas leur laisser ma carte. Je suis loin d’être un anti-sécu, mais en l’occurrence, je trouve un peu fort de café qu’on vienne poursuivre un confrère pour ce motif. Nous exerçons dans des régions différentes. À l’évidence, les consignes de l’assurance-maladie peuvent varier d’une caisse à l’autre. »
« Certains directeurs de Cpam tiennent à bouffer du généraliste. Il y a une volonté de faire du chiffre qui est indéniable. Mais cela dépend aussi des régions. Il y a quand même des endroits où les relations ne sont pas aussi conflictuelles », analyse le Dr Claude Bronner, le co-président d’Union Généraliste.
Surtout quand les généralistes montrent les dents ? Dans l’Eure, par exemple, le Dr Philippe Mauboussin se souvient ne plus avoir été inquiété par sa cpam depuis le « courrier de réponse bien senti », qu’il a retourné au service médical. « Ca avait mal commencé. Je reçois un avis débutant par : « j’ai le regret de vous informer que j’ai émis un avis défavorable… », sur la durée d’un arrêt de travail que j’avais rédigé. Le seul problème, c’est que l’avis défavorable était en définitive totalement en accord avec l’IJ prescrite, l’auteur de la missive s’étant mélangé les crayons dans les dates. Depuis, pas de nouvelles. Autrement, chez nous, je n’ai pas eu de remontées d’affaires particulières », conclut le praticien. Idem, dans l’Essonne, selon le témoignage du Dr Dominique Dreux, qui suggère de poser la même question à (ses) « confrères du Nord-Pas-de-Calais ». Sollicité, le Dr Jérémie Caudin raconte ce cas, récent : « c’est l’histoire d’un généraliste à qui la cpam reproche de prescrire trop d’actes de kiné et trop d’arrêts de travail. Il reçoit un premier courrier. Un second. Il appelle, prend rendez-vous avec la personne en charge des relations avec les médecins. Lorsqu’il arrive, il se retrouve face à trois personnes. Pendant une heure et quart ses prescriptions sont disséquées. Des séances de kinésithérapie ou de balnéo pour les personnes âgées ? Cela ne sert à rien. Sa réponse ? Je travaille six jours sur sept, la médecine générale est mon métier, que voulez-vous, prescrire en fait partie ». « Au sortir de cette rencontre il était laminé. Il a fait les frais de trois mois d’observation, dans le cadre de la mise sous tutelle. Nous nous sommes relayés dans le voisinage pour nous assurer qu’il tenait le choc. Ce généraliste a une petite quarantaine d’années. Le vrai problème avec ce type d’agissements, c’est que ça peut entraîner de la casse humaine. Difficile ensuite d’aller mobiliser pour encourager des jeunes médecins à venir s’installer dans les campagnes ».