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Dossier

Au-delà du Covid, des spécialistes au chevet des catastrophes de demain...

Publié le 25/09/2020
Au-delà du Covid, des spécialistes au chevet des catastrophes de demain...


AFP, PHANIE

Et demain, quelle prochaine catastrophe ? Et quels scénarios de gestion ? Notre enquête montre que les retours d’expérience dessinent de magnifiques schémas. Mais la prochaine crise cochera-t-elle bien leurs cases ? Le monde de la santé est appelé aussi à se repenser. Après les retours d’expérience, la culture du risque progressera-t-elle enfin ? Illustrations, au-delà du Covid, dans les domaines de la sécurité nutritionnelle, sanitaire ou nucléaire.

Crise après crise, les RETEX (retour d’expérience, en novlangue technocratique) apportent les réponses aux questions qu’on ne s’était pas posées avant la survenue de la dernière catastrophe. Pour la Covid-19, on n’a pas tardé à tirer les leçons de ce qu’il faut bien considérer, de l’avis général, comme une situation d’impréparation -certains diront un ratage- avec en particulier manque de matériels et communications erratiques. Trois enseignements en particulier sont proposés aujourd’hui par les experts et les politiques.

Indispensable coopération médecins-vétérinaires

Directeur général délégué de l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), Gilles Salvat, supervise les travaux des neuf labos qui assurent la recherche, la référence et la surveillance des zoonoses et des maladies animales. L'agence anime également des dispositifs de veille, comme la nutrivigilance au sein de sa direction d'évaluation du risque. « Nous surveillons aussi bien les virus, qu’ils soient zoonotiques comme les virus aviaires H5, ou non, la fièvre catarrhale ovine, aussi bien chez les animaux d'élevage qu'au sein de la faune sauvage. En effet les chauves souris, hérissons, campagnols, mustélidés, hamsters sont autant d’espèces qui peuvent être porteuses des virtus zoonotiques comme l’ont été très probablement en Asie la chauve-souris rhinolophe, et peut-être le pangolin dans l’émergence du SARS-Cov-2. Nos laboratoires collaborent avec des chercheurs médicaux, à l’Institut Pasteur, ou aux Hospices civils des Hôpitaux de Lyon, par exemple. C’est l’un des enseignements majeurs de la crise du Coronavirus, les vétérinaires et les médecins doivent collaborer plus étroitement, car la santé humaine et la santé animale sont intriquées. »

Pour Gilles Salvat, « au-delà de la recherche, on devrait aussi mutualiser les ressources et les réseaux vétérinaires aussi bien pour les tests que pour la vaccination. Et au-delà de la démarche one-health, c’est une perspective eco-health qui doit s’ouvrir : si des virus zoonotiques émergent, c’est parce qu’on est allé perturber des écosystèmes où ils étaient silencieux de longue date. »

L’inertie du système étatique

Les scénarios de gestion des prochaines crises devront aussi être moins étatiques et plus proches des territoires. « Les plans nationaux sont des coquilles vides qui traitent les régions comme la cinquième roue du carrosse et qui entretiennent l’illusion qu’il suffit d’appuyer sur des boutons pour régler les problèmes, assure Philippe Bas, ancien ministre de la Santé et président de la commission des lois du Sénat. C’est la grande leçon à tirer : la décentralisation des décisions avec une autonomie des décisions en matière de soins, d’école et de police entre les mains des préfets, qui sont eux-mêmes en lien avec les responsables des collectivités locales. Tandis que l’Etat a montré qu’il était victime de sa propre inertie, les départements sont plus agiles, plus réactifs, plus opérationnels. » Le Premier ministre Castex a-t-il intégré le message ? M. Bas veut l’espérer mais reste « méfiant face à un système étatique qui n’a de cesse de tisser sa toile. »

Tout en soulignant que les différents niveaux dans les plans de crise – départemental, régional ou zonal – doivent se compléter et pas entrer en concurrence – et en reconnaissant qu’il est nécessaire de territorialiser plus finement certaines actions, le Dr Michel Gentile (département défense et sécurité de l’ARS – IDF) prêche quant à lui « pour la planification régionale, telle que la loi HPST du 21 juillet 2009 l’a consacrée avec les ARS et le dispositif opérationnel unique ORSAN articulé avec le dispositif ORSEC, quitte à ce qu’il donne lieu à une déclinaison départementale. Qu’il s’agisse de risque épidémique et biologique, d’accueil massif de victimes, de volet climatique, c’est la gouvernance régionale qui s’applique autour de ses quatre éléments indissociables : les indicateurs de suivi, les mesures de gestion dans le cadre d’un plan, le pilotage en temps réel avec une cellule d’appui et les échanges réguliers avec les préfets ».

Pour le Dr Gentile, « les ARS ont donc un rôle essentiel à jouer en matière de proposition et d’animation des acteurs dans le cadre des crises sanitaires et des crises à volet sanitaire qui génèrent un grand nombre de victimes et les préfets ont un rôle d’exécution qui doit s’appuyer en règle générale sur l’expertise des ARS dans les domaines de la santé. » Transmis à Philippe Bas, lequel ne dénie pas les prérogatives des ARS pour le système de soins, mais rappelle que pour toutes les autres manettes publiques, c’est le préfet qui doit garder la main.

Une nécessaire adhésion populaire.

«La crise de la COVID a encore permis de tirer beaucoup d’enseignements pour la sûreté nucléaire, confie Christophe Quintin, inspecteur en chef de l’ASN (Autorité de sureté nucléaire) et qui fut HFDS (Haut fonctionnaire de défense et de sécurité), nous avons formalisé nos méthodes d’inspection et de pilotage à distance avec le télétravail aussi bien pour le gros nucléaire (centrales EDF) que le petit nucléaire (hôpitaux et laboratoires). A EDF, c'est la Force d’action rapide nucléaire (FARN) qui tient le volant à distance en évitant d’exposer ses équipes aux risques de contamination, radiologiques ou viraux et sans désorganiser les systèmes vitaux ».

Mais un paramètre demeure essentiel pour les scénarios des prochaines crises, insiste M. Quintin, « ils doivent absolument intégrer les réactions populaires. Il faudrait pr'endre en compte les réactions des gens. On l’aura noté avec la polémique sur les masques, sans adhésion du public, on ne peut élaborer une stratégie vraiment efficace. Les experts doivent pour cela travailler non pas seulement avec les sachants et les décideurs, mais ils doivent convaincre les vraies gens. L’incendie de Lubrizol, à Rouen en 2019, a montré que sans cette adhésion, on pouvait toujours mettre en œuvre une bonne gestion de crise, ce qui fut le cas à Rouen. Elle sera vécue et ressentie comme un échec sans le soutien du grand nombre. Il faut donc mettre à contribution anthropologues et sociologues, aux côtés des scientifiques, pour intégrer le facteur humain et le vecteur de confiance. Sur le plan nucléaire, c’est indispensable d’intégrer les réactions des anti-nucléaires comme de la population générale. »

« Il y va de toute culture de crise, résume Patrick Lagadec, ex-directeur d’études à Polytechnique. Nous sommes un vieux pays cartésien habitué depuis des siècles à élaborer des réponses à toutes les questions, pour déclencher des plans parfaitement huilés et intégrés. Or, la prochaine catastrophe mondiale nous contraindra à sortir brutalement et violemment de nos cadres intellectuels pour affronter et gérer l’inconnu. Elle fera voler en éclats nos plans comme autant de murailles de Troyes. Cette prise de conscience du risque majeur en amont du pilotage des crises est évidemment extrêmement dérangeante et même paniquante. Elle nous fait sortir du connu pour affronter l’inconnu. Mais nous n’échapperons pas à la révolution culturelle de la catastrophe ».