Alors que la crise liée au Covid-19 a mis en lumière de manière inédite les questions (et tensions) éthiques qui parcourent notre société, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) rend public ce 7 juillet deux avis qui travaillent, à l'échelle individuelle et collective, les principes de la démocratie en santé.
Le premier, l'avis 136, porte sur les enjeux éthiques du consentement dans le soin. Depuis la loi du 4 mars 2002, qui consacre le « consentement libre et éclairé » du patient, la donne a changé, explicite le Pr Régis Aubry, spécialiste des soins palliatifs à la faculté de Besançon. « La médecine contemporaine, à mesure qu’elle progresse, produit des situations de grande complexité et/ou de grande vulnérabilité où consentir devient compliqué », poursuit-il. En outre, le consentement, quoiqu'inscrit dans les textes, n'est pas toujours recherché en pratique : « Il y a parfois une façon d’escamoter cette complexité qui consiste à informer, expliquer, laisser la personne cheminer, puis recueillir son consentement. »
Consentement dynamique, assentiment, personne de confiance
Le CCNE retrace donc les contours du consentement. Loin d'être l'expression binaire et tranchée d'un vouloir, encore moins une case à cocher sur un questionnaire, celui-ci doit être considéré comme un « processus évolutif et dynamique qui, fondé sur une relation de confiance réciproque, s’adapte au gré du cheminement de la personne et de l’évolution de ses choix », en fonction de sa capacité à prendre conscience de son état de santé. Par conséquent, le patient doit pouvoir changer d'avis et se rétracter dans le temps. « Parler de consentement, c'est aussi parler de la capacité à refuser », souligne le Pr Aubry.
Lorsque le patient peine à exprimer sa volonté - comme lors de la première vague de Covid, lorsque des soignants ont eu à faire des tests PCR, invasifs, à des âgés en perte d'autonomie dans les Ehpad -, le CCNE invite à rechercher d'autres formes d'expression « plus subtiles et moins formelles », comme l'assentiment. « Plus une personne est en difficulté, plus nous devons l'informer de façon claire et loyale, et chercher à recueillir des signes verbaux ou non (enregistrements sonores, vidéos) d'un consentement », commente le Pr Aubry.
Enfin, lorsque la personne n'est plus du tout capable de décider pour elle-même, le CCNE suggère d’accroître le rôle de la personne de confiance au titre de la « volonté prolongée » de la personne vulnérable.
Renforcer la formation des soignants
Selon le CCNE, ces recommandations doivent s'intégrer dans une réflexion plus globale pour redonner toute leur place aux « humanités » dans le soin. « Il y a une carence dans la formation sur la communication et sur le droit des patients dans les facultés de médecine », déplore le Pr Aubry.
Aussi, le CCNE demande le renforcement de la formation initiale et continue des professionnels de santé et du social à l’information. « L’aide à l’élaboration du consentement devrait être reconnue comme un acte de soin à part entière », lit-on.
Le CCNE met l'accent sur plusieurs dispositions déjà existantes : l'importance de fonder une décision sur une argumentation plurielle, la valorisation des formes non écrites des directives anticipées, la traçabilité du cheminement de la personne pour aboutir à son consentement ou refus, parfois via certains outils numériques (dossier personnel informatisé, par exemple). Et de proposer des actions grand public, comme une « Journée nationale des personnes de confiance ».
Plus largement, la pandémie a mis en lumière l'intrication entre maladie individuelle et dimension collective. Elle fut la démonstration vivante que la santé publique ne peut se limiter au seul champ sanitaire, mais doit inclure les autres dimensions sociales, culturelles, économiques, environnementales…
« Il faut prendre deux fois du recul pour répondre aux défis révélés par la crise », suggère le philosophe Frédéric Worms (École normale supérieure), en présentant l'avis 137. Le premier geste consiste à s'entendre sur une définition de la santé publique : le CCNE lui donne comme objectif « de préserver et d’améliorer la santé, prise dans toutes ses dimensions, de la population présente sur le territoire, en mettant en place un ensemble cohérent de mesures et de moyens, mobilisant des compétences multidisciplinaires (au-delà du sanitaire stricto sensu) et constituant une politique publique ».
Appel à des États généraux pour une éthique de la santé publique
Dans un second temps, il s'agit d'explorer les problèmes éthiques posés par la santé publique, à trois niveaux : d'abord, entre les grands principes de la bioéthique qui prennent l'individu comme horizon (liberté, dignité, consentement, respect de la personne) et les dimensions plus collectives (notions d’intérêt général, de bien commun, d’équité et de justice). Puis, au sein même de la santé publique et du collectif, quand il s'agit de prioriser entre des populations vulnérables. Enfin, se pose la question de la participation des acteurs à la santé publique : « La consultation est à la démocratie sanitaire, ce que le consentement est au soin individuel », observe Frédéric Worms.
Très concrètement, le CCNE appelle à l'organisation d'états généraux pour définir ensemble une éthique de la santé publique. Et concilier différentes échelles spatiales (local et international) et surtout temporelles : de l'urgence (à anticiper), jusqu'au long terme, avec notamment l’intégration des repères éthiques dans l’éducation.
Autant de perspectives qui devraient être prises en compte dans le cadre de la mission de refondation de la santé publique confiée au Pr Franck Chauvin, président du Haut Conseil de la santé publique.
« La santé publique ne doit pas être vécue comme une contrainte, un souci, mais comme la condition d'un progrès collectif », conclut Frédéric Worms.
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