« Nous ne sommes pas des bourreaux. » L'exclamation vient de « jeunes (et moins jeunes) gynécologues-obstétriciens » qui dénoncent dans un appel « le harcèlement dont-(ils) sont la cible » alors qu'ils ont « choisi d'aider les femmes à donner la vie et de les accompagner de leur puberté jusqu'à leur maturité ». Plus de 450 gynécologues-obstétriciens de tous horizons (hôpitaux, cliniques, ville), qui se sont retrouvés sur un groupe privé de Facebook, l'ont signée, dont une majorité de femmes, « reflet de notre profession aujourd'hui », explique au « Quotidien » le Dr Solène Vigoureux, co-auteur de l'appel et chef de clinique au Kremlin-Bicêtre (AP-HP). « Nous partageons le message du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) mais nous souhaitons donner une autre image, montrer que notre profession ne se résume pas à des chefs de service, seniors, hommes… », poursuit le Dr Vigoureux.
Sur le fond, les signataires jugent « choquante » la sortie de Marlène Schiappa, secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, qui, lors de son audition par le Sénat le 20 juillet, avait évoqué un « taux d’épisiotomie à 75 % » et des « pratiques obstétricales non consenties, particulièrement sur les femmes étrangères, très jeunes, et handicapées ». Le CNGOF avait immédiatement réagi en rappelant que « la dernière évaluation officielle et publique réalisée en 2010 en rapportait 27 % avec une réduction de moitié depuis le décompte précédent qui était de 55 % en 1998 ». L'enquête nationale périnatale 2010 relevait aussi que pour les primipares, le taux d'épisiotomie avait été réduit d'environ un tiers depuis 1998 (de 71 % à 44 %).
« Cette déclaration a provoqué un déferlement médiatique de gynéco-bashing sur les réseaux sociaux et dans certains médias », regrettent les signataires. Avec pour conséquence, « un climat de phobie collective qui discrédite notre profession », lit-on dans la lettre. « La perte de confiance dans les professions médicales qui en résulte peut avoir des conséquences graves pour les femmes qui risquent d'hésiter voire de renoncer à être prises en charge correctement. Cela ne contribue pas à l'égalité entre les sexes », continue le texte. « En septembre, lors d'une garde, deux patientes pour lesquelles j'avais toutes les indications de faire une épisiotomie m'ont dit : "Non, pas moyen" », illustre le Dr Vigoureux.
Questionnements et rupture avec le paternalisme
« Les jeunes praticiens que nous sommes ne sont ni naïfs, ni malfaisants. (...) Nous avons conscience que la médecine paternaliste d'hier n'est plus adaptée à la société actuelle et nous essayons de nous départir de l'image de profession patriarcale et misogyne qui l'accompagne parfois », écrivent ces gynécos, qui voient d'un bon œil la remise en cause. Mais refusent l'amalgame entre actes médicaux indispensables, et maltraitance.
« Cela fait quelques années qu'on se pose des questions, on se rend compte que des femmes peuvent ressentir des actes gynécologiques comme violents, surtout lorsque la vision idyllique de l'accouchement maternel, démédicalisée, est répandue ; la réflexion a du bon », assure le Dr Vigoureux, qui n'oublie pas les précédents buzz, comme « #payetonutérus », fin 2014. « Moi-même, dans ma pratique, j'ai l'impression d'avoir un peu changé mon information à l'égard des patient(e)s », témoigne-t-elle. « Et j'apprends aux externes, lors de mon premier cours, à respecter les patientes, grâce à des choses basiques : leur demander de se déshabiller à moitié, s'assurer qu'un paravent les protège, etc. », précise la chef de clinique.
Moyens supplémentaires
Des initiatives reflètent la volonté des soignants de faire évoluer les choses : « Nous réfléchissons avec une interne sur une thèse sur les violences obstétricales. Nous nous demandons si nous ne pourrions pas faire des "portes ouvertes" à la maternité », évoque le Dr Vigoureux. L'appel des gynécos invite d'ailleurs Marlène Schiappa et les médias à venir « découvrir leur métier ».
Les médecins demandent enfin des moyens supplémentaires : du temps pour les consultations, des médecins en plus, pour les urgences, et des structures de suivi pour les patientes. « L'idéal serait d'expliquer en amont aux femmes les actes que nous pouvons faire en urgence lors d'un accouchement (épisiotomie, césarienne, forceps…) mais c'est difficile en 15 minutes une fois par mois, dans le cadre du suivi de grossesse. Et seulement la moitié des primipares suivent les 8 séances de préparation remboursées par l'assurance-maladie », déplore le Dr Vigoureux.
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