C’est une étude inédite par son ampleur et sa méthodologie que lancent ce 10 juin 2025 Santé publique France (SPF) et l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement (Anses), avec le soutien des ministères de l’Écologie, de la Santé, du Travail et de l’Agriculture. Associant collecte de données cliniques détaillées et examens biologiques, l’enquête baptisée « Albane » vise à établir « une photographie à date » de la santé de la population, a expliqué la Dr Caroline Semaille, directrice générale de SPF, lors d’une conférence de presse.
Tous les deux ans, un échantillon de 3 150 personnes (150 bébés de 0 à 2 ans, 1 000 enfants de 3 à 17 ans et 2 000 adultes de 18 à 79 ans) tirées au sort dans plus d’une centaine de « zones » (regroupements de communes) réparties sur le territoire (hors Drom dans un premier temps) sera inclus. Cette méthode d’enquête avec « un échantillonnage permanent et cyclique », déjà utilisée aux États-Unis et au Canada, est « inédite » en Europe, souligne la Dr Semaille. L’étude sera répétée tous les deux ans sur des échantillons différents de la population.
Identifier les déterminants individuels et environnementaux de la santé
Les participants s’engagent à suivre un parcours pour documenter habitudes alimentaires, activité physique, modes de vie et expositions à une quinzaine de familles de substances présentes dans l’environnement (métaux, polluants organiques persistants, plastifiants, pesticides, etc.).
Ce parcours démarre par un questionnaire rempli à domicile avec un enquêteur, avant de répondre à un autoquestionnaire détaillé. Les participants devront de plus préciser leur consommation alimentaire (sur trois fois 24 heures), mesurer leur activité physique via le port d’un accéléromètre pendant 7 jours et se soumettre à un examen clinique (taille, poids, force musculaire, pression artérielle…) et des prélèvements biologiques (urines et cheveux chez les plus de 3 ans et prélèvements sanguins pour les plus de 6 ans).
Cette « approche exposomique » doit permettre d’identifier des « déterminants individuels et environnementaux » de la santé dans un « esprit “une seule santé” », souligne le Pr Benoît Vallet, directeur général de l’Anses. C’est une « fusion » des travaux menés au sein des deux agences, ajoute Loïc Rambaud, chef de projet de l’enquête Albane à SPF : à savoir l’étude individuelle nationale des consommations alimentaires (INCA) de l’Anses, l’étude nationale nutrition santé (ENNS), l’étude longitudinale française depuis l’enfance (Elfe) et l’étude de santé sur l’environnement, la biosurveillance, l’activité physique et la nutrition (Esteban) de SPF.
L’enquête doit permettre une biosurveillance des expositions (mesures des niveaux d’imprégnation de la population pour définir des valeurs d’exposition et les déterminants des expositions), mais aussi une mesure de la prévalence des maladies chroniques, des facteurs de risque et la part non diagnostiquée de certaines pathologies, ainsi qu’une estimation des apports nutritionnels (aliments et compléments alimentaires) et des expositions via l’alimentation. Associées aux données du système national des données de santé (SNDS), les informations collectées pourraient permettre de montrer « les maladies développées en fonction des expositions, des habitudes alimentaires et des caractéristiques de l’environnement décrites ou mesurées », expliquent SPF et l’Anses.
L’intérêt est de « coupler » les données liées à l’environnement, à l’alimentation et à la santé, mais aussi d’« objectiver » certaines estimations tirées d’enquêtes déclaratives, précise au Quotidien la Dr Semaille. « On sait par exemple que les femmes ont tendance à déclarer un poids inférieur et les hommes une taille supérieure », rappelle-t-elle. Le bénéfice sera aussi de disposer de données sur des enfants et des adultes « apparemment sains, mais qui restent parfois longtemps dans une zone infraclinique », ajoute auprès du Quotidien le Pr Vallet. L’enquête donnera ainsi des informations sur « la sous-estimation de facteurs de risques de certaines pathologies », précise-t-il.
Plus globalement, Albane doit permettre d’explorer l’impact des facteurs environnementaux sur l’épidémiologie, d’avancer en matière de métrologie (capacité à mesurer un certain nombre de déterminants de santé) et, au final, de faire émerger de nouvelles hypothèses de recherche. « Derrière Albane, il y a énormément de projets et d’ambitions pour la pleine exploitation des données massives nationales en matière de santé », résume le Pr Vallet.
Sensibiliser les médecins à la notion d’exposome
Pour cette étude, les deux agences comptent sur la mobilisation des médecins généralistes, alors que l’adhésion des participants au protocole est un « élément clé » de la réussite de l’étude. Au-delà d’un défraiement (40 euros) des dépenses de transport pour se rendre au laboratoire d’analyses biologiques, leurs patients en tireront un bénéfice individuel, avec un bilan complet et un potentiel dépistage de pathologies. « La participation prend du temps, mais c’est aussi un effort de recherche pour les générations futures », encourage la Dr Semaille.
L’étude est un moyen d’éveiller la communauté médicale à la notion d’exposome dans l’optique d’une « prise en charge préventive individualisée en fonction des expositions spécifiques, des déterminants individuels ou les deux », espère le Pr Vallet. Les praticiens vont être confrontés à un nombre croissant de questions de leurs patients, anticipe la Dr Semaille. SPF travaille à la mise à disposition des ressources « fiables » pour « armer » les médecins.
Après ce premier cycle, un deuxième est prévu dès 2026 avec une publication des résultats attendue pour 2028. Les données seront mises à disposition de la communauté scientifique en France et en Europe, notamment dans le cadre du Partenariat européen pour l'évaluation des risques liés aux substances chimiques (Parc). « Albane préfigure d’autres recherches », insiste le Pr Vallet. La meilleure caractérisation des liens entre santé, environnement et alimentation devrait permettre d’orienter des politiques publiques telles que le Programme national nutrition et santé, le Plan national de l’alimentation ou la Stratégie nationale de biosurveillance.
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