L’assemblée Nobel de l'Institut Karolinska a attribué, le 6 octobre, le prix de médecine 2025 aux Américains Mary E. Brunkow (Institut de biologie des systèmes, Seattle) et Fred Ramsdell (Sonoma Biotherapeutics, San Francisco) et au Japonais Shimon Sakaguchi (université d’Osaka) pour leurs découvertes sur la tolérance immunitaire périphérique.
Les recherches de ce trio ont permis d’identifier les cellules T régulatrices, « gardiennes du système immunitaire », et le gène Foxp3, régisseur du développement de ces cellules. « Le prix Nobel de médecine de cette année porte sur la manière dont nous contrôlons notre système immunitaire afin de pouvoir lutter contre tous les microbes imaginables tout en évitant les maladies auto-immunes », a détaillé la Pr Marie Wahren-Herlenius, membre du jury et spécialiste en rhumatologie à l’Institut Karolinska, lors de l’annonce du prix. « C’est un outil fondamental pour étudier les lymphocytes T », a précisé au Quotidien Jacqueline Marvel, professeure émérite au CNRS.
La communauté scientifique voulait davantage de preuves avant de croire à la découverte de Sakaguchi
Jury du prix Nobel de médecine
Leurs découvertes portent ainsi de grands espoirs pour la compréhension et le traitement des maladies auto-immunes, mais aussi du cancer, ainsi que pour la prévention des complications après greffe d’organes ou de cellules souches. Elles donnent aujourd’hui lieu au développement de candidats médicaments faisant l’objet d’essais cliniques. « J'espère sincèrement que cette récompense sera l'occasion de développer davantage ce champ de recherche pour qu'il puisse trouver des applications concrètes », a réagi le co-lauréat Shimon Sakaguchi lors de sa nomination.
Une découverte en huit années
C’est en 1995 que Shimon Sakaguchi, alors chercheur en immunologie à l’Institut de recherche sur le cancer d’Aichi à Nagoya, a mis en évidence l’existence putative d’une sous-population de lymphocytes T CD4+ : les lymphocytes T régulateurs (Treg). Sakaguchi devine alors que ces cellules protègent l’organisme des maladies auto-immunes, contrairement à ce qui était établi. « De nombreux chercheurs étaient convaincus que la tolérance immunitaire ne se développait que grâce à l'élimination des cellules immunitaires potentiellement dangereuses dans le thymus par le processus de tolérance centrale », décrit le jury dans un communiqué de presse.
La découverte des Treg a été un moment clé dans la biologie des lymphocytes T, c’est un changement de paradigme
Bruno Lucas, directeur de recherche CNRS à l’Institut Cochin (Paris)
Dans The Journal of Immunology (1), le chercheur présente ainsi une nouvelle classe de cellules T qui se caractérisent par la présence de protéines CD4 et CD25 à sa surface. Cet article avait cependant laissé la communauté scientifique sceptique. « Ils voulaient davantage de preuves avant de croire à la découverte de Sakaguchi », commente le jury. « Avant Sakaguchi, des chercheurs soupçonnaient l’existence de cellules dites T suppressives », explique au Quotidien Bruno Lucas, directeur de recherche CNRS à l’Institut Cochin (Paris) spécialisé sur la thématique de la régulation des fonctions effectrices des lymphocytes T. Mais cette hypothèse avait été délaissée, « voire remise en doute », faute de preuves, jusqu’aux travaux du Japonais. « Je me réjouis que ces travaux soient récompensés, la découverte des Treg a été un moment clé dans la biologie des lymphocytes T. C’est un changement de paradigme », s’est exclamé le directeur de recherche.
De l’autre côté du Pacifique, des chercheurs américains, Mary E. Brunkow et Fred Ramsdell, de l’entreprise de biotechnologie Celltech Chiroscience (Bothell, État de Washington), travaillaient sur le modèle murin « scurfy ». Née par hasard dans un laboratoire situé dans le Tennessee dans les années 1940, cette souche de souris présentait une peau desquamée, une rate et des ganglions lymphatiques extrêmement hypertrophiés, et ne vivait que quelques semaines. Brunkow et Ramsdell ont alors découvert, en 2001, que les souris scurfy étaient porteuses d’une mutation sur un gène jusqu’alors inconnu, Foxp3, ce qui les exposait aux maladies auto-immunes. En parallèle, ils ont montré que chez l’humain cette mutation était liée à un trouble auto-immun rare, le syndrome d'immunodérégulation, de polyendocrinopathie et d'entéropathie lié au chromosome X (Ipex). Ces travaux sont relatés dans une publication de Nature Genetics de 2001 (2).
Deux ans après, Shimon Sakaguchi a réussi à faire le lien entre ses découvertes et celles de Brunkow et Ramsdell. Son équipe démontra alors que le gène Foxp3 régit le développement des Treg : Foxp3 est exprimé de manière sélective dans les lymphocytes T CD4+CD25+ et le transfert rétroviral du gène convertit les cellules T CD4+ conventionnelles en cellules Treg. De manière indépendante, peu après cette nouvelle avancée, l’équipe de Ramsdell confirme que les Treg sont bien inexistantes chez les souris scurfy ; à l’inverse, les souris qui surexpriment Foxp3 présentent plus de Treg (3). « Il était nécessaire que plusieurs cerveaux différents travaillent ensemble sur ce sujet pour le faire avancer », a résumé Marie E. Brunkow.
Du maintien de l’auto-tolérance à la prévention du rejet fœtal
Les applications de ces découvertes en médecine sont nombreuses, « du maintien de l’auto-tolérance et de la prévention de l'auto-immunité à la prévention du rejet fœtal pendant la grossesse, en passant par le contrôle de l'inflammation chronique et la régulation des réponses immunitaires dans les maladies infectieuses », lit-on dans l’un des communiqués du jury. « À l'heure actuelle, plus de 200 essais cliniques portant sur les cellules T régulatrices sont en cours dans le but de traiter des maladies fréquentes ou d'améliorer les résultats après une transplantation d'organe ou le traitement du cancer », estime le jury.
À l'heure actuelle, plus de 200 essais cliniques portant sur les cellules T régulatrices sont en cours dans le but de traiter des maladies fréquentes
Jury du prix Nobel de médecine
« Si nous arrivons à booster cette population – en nombre et en capacité fonctionnelle –, nous pourrons lutter contre l’auto-immunité, en préventif ou en curatif », commente Bruno Lucas. « Les recherches s’intéressent notamment à l’administration d’IL-2 ou encore la stimulation des CD25 pour provoquer l’expansion des Treg », a déclaré le Pr Olle Kämpe, président du comité Nobel. « Le TNF (tumor necrosis factor) peut également booster les Treg », complète Bruno Lucas. De plus, des travaux (4) ont suggéré que le facteur de transcription Foxp3 contrôle les Treg d’une façon dépendante de l’environnement : pour maintenir la fonction des Treg, l’activité de Foxp3 doit être plus soutenue en contexte inflammatoire (infection virale, cancer, auto-immunité) qu’à l’état normal.
Le cancer détourne les cellules T régulatrices à son avantage
Dans les maladies auto-immunes, les allergies ou le rejet de greffon, favoriser la formation d’un plus grand nombre des cellules T régulatrices (Treg) est le levier thérapeutique. Mais, dans le cancer, c’est le mécanisme inverse qui est visé. En effet, l’étude des tumeurs a montré qu'elles pouvaient attirer un grand nombre de cellules Treg afin de se protéger du système immunitaire. Les chercheurs tentent de démanteler ce bouclier. Ces stratégies visent donc à renforcer l'immunité anti-tumorale en éliminant ou en désactivant les cellules Treg infiltrant la tumeur. Cependant, le risque de pathologie immunitaire est à prendre compte. « Ce Nobel, dans la lignée de celui de 2018 sur les inhibiteurs de checkpoint, récompense une voie d’intérêt dans le traitement du cancer », estime Jacqueline Marvel, professeure émérite au CNRS.
(1) S. Sakaguchi et al., The Journal of Immunology, 1995 ; 155 : 1151-64
(2) M.E. Brunkow et al., Nature Genetics, 2001 ; 27 : 68-73
(3) R. Khattri et al., Nature Immunology, 2003 ; 4 : 337-42C
(4) Jäger et al., Science Immunology, 2025 ; vol 10, n° 108
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