C’est une charge contre les « dérives du marché pharmaceutique » que porte l’UFC-Que choisir. Face à un système qu’elle juge « dévoyé, marqué par la financiarisation de l’innovation, l’opacité tarifaire et des monopoles prolongés », l’association de défense des consommateurs réclame une « transparence totale sur les prix réels » des médicaments et la mise en œuvre de négociations au niveau européen « pour peser plus fort face aux laboratoires ».
Pour appuyer son argumentaire, l’UFC-Que choisir détaille, dans une enquête mise en ligne ce 18 septembre 2025, le cas du pembrolizumab (Keytruda), l'anticancéreux qui a coûté le plus cher à l'Assurance-maladie l'an dernier. Lancé en 2014 sur le marché pour traiter le mélanome avancé, l’anticorps monoclonal est désormais approuvé dans 13 cancers.
Des indications élargies pour un médicament innovant
« L’évolution des indications de ces traitements, souvent élargies après leur inscription, contribue également à la hausse des dépenses », souligne l'Assurance-maladie dans son rapport annuel « charges et produits ». Ces dépenses justifient, selon elle, « d’étudier le prix de ces nouveaux médicaments en oncologie au regard de la plus-value qu’ils apportent ».
« La Haute Autorité de santé a reconnu à de très nombreuses reprises ce caractère innovant en accordant 16 ASMR 3 (amélioration du service médical rendu modérée) » au Keytruda, qui représente 45 % du chiffre d'affaires mondial du laboratoire et qui est breveté jusqu’en 2031, rappelle le laboratoire MSD, qui le commercialise, interrogé par l'AFP. « En outre, ce médicament a obtenu, depuis 2021, 10 accès précoces pour des patients qui n’avaient plus d’options thérapeutiques », ajoute le groupe.
En France, son prix affiché s'élève à 2 380 euros, mais il ne prend pas en compte les remises confidentielles négociées entre l’État et l'industriel dont le brevet lui assure un monopole jusqu’en 2031, selon l’association. En 2024, son remboursement a coûté plus de 2 milliards d’euros, soit 5,2 % des dépenses de médicaments remboursables, souligne-t-elle.
« Nous exigeons une transparence sur le prix de ce médicament, et des médicaments en général, insiste Marie-Amandine Stevenin, présidente de l’UFC-Que Choisir. Cette transparence est d’autant plus nécessaire que des analyses indépendantes estiment qu’un prix équitable du Keytruda pourrait se situer entre 52 et 885 euros, très loin des montants facturés à l’Assurance-maladie. »
Des médicaments anciens essentiels délaissés
Autre cheval de bataille de l’association, le système de financement de la recherche. « Les citoyens paient deux fois : une première fois pour financer la recherche fondamentale largement publique, et une deuxième fois via l’Assurance-maladie, qui rémunère en plus les opérations financières attachées à ces innovations », dénonce-t-elle dans un communiqué.
C’est ici le cas du Zolgensma contre l’amyotrophie spinale qui est cité. « Une large part de la recherche fondamentale sur ce traitement vient du CNRS et de l’AFM Téléthon, mais le traitement n’en reste pas moins commercialisé en accès précoce à un prix affiché proche de 2 millions d’euros (pour une injection unique) », souligne l’UFC-Que choisir.
Le cas du pembrolizumab est similaire, estime le Pr Jean-Paul Vernant, vice-président de la Ligue contre le cancer et hématologue à la Pitié-Salpêtrière (AP-HP). « Le pembrolizumab est un anti-PD1. Pour cette molécule, la recherche a été d’abord été menée dans le public par un Japonais et un Américain, tous deux récompensés d’un prix Nobel, avant qu’un laboratoire ne se saisisse de l’avancée et assure son développement. L’efficacité était telle que l’autorisation de mise sur le marché (AMM) a été accordée dès la phase 1. Le prix n’a ainsi pas été fixé en fonction des coûts de R&D, mais de l’efficacité et de la capacité des États à payer. C’est un système pervers, dénonce-t-il. Aujourd’hui, les indications se sont élargies, sans que le traitement n’affiche une aussi bonne efficacité dans chacune d’elles. Le prix n’a pourtant pas été adapté selon les indications ».
L’association met en parallèle le coût du remboursement de ces traitements innovants et les ruptures d’approvisionnement, qui ont concerné près de 400 médicaments en France en 2024. « Ces pénuries ne sont pas anecdotiques : elles concernent parfois des traitements vitaux pour l’hypertension, l’épilepsie ou certains cancers, est-il souligné. Autrement dit, les blockbusters surpayés ne menacent pas seulement la soutenabilité financière, ils fragilisent dès aujourd’hui l’accès aux médicaments essentiels. »
Un parallèle partagé par Yann Mazens, conseiller produits et technologies de santé de France Assos Santé. Le cas du Keytruda « illustre une fois de plus la propension des laboratoires à s'orienter vers les marchés les plus lucratifs au détriment des médicaments plus anciens, relève-t-il auprès du Quotidien. Ça ne veut pas dire qu'il faut payer plus cher les médicaments anciens. On l’a fait avec les antibiotiques en 2023-2024, sans avoir accès à plus de médicaments ».
Des prix à renégocier
Plusieurs leviers sont disponibles, selon l’UFC-Que choisir, et notamment la mise en place de négociations européennes avec les laboratoires. Pour le Pr Dominique Deplanque, président de la Société française de pharmacologie et de thérapeutique (SFPT), une telle organisation pourrait pénaliser la France, qui parvient actuellement à accéder aux innovations à des prix inférieurs à la moyenne européenne. « Passer par une structure européenne pourrait nous forcer à nous aligner sur des prix plus élevés encore, nous obligeant peut-être à faire des choix drastiques pour l’accès à ces nouveaux traitements ». Il suggère plutôt de privilégier une renégociation « dure » des prix lors de l’introduction de nouvelles indications qui allongent la durée des brevets.
À côté de son appel à la transparence et à des négociations européennes, l’UFC-Que choisir plaide aussi pour l’activation de licences d’office « pour casser les monopoles en cas de prix abusifs », indique-t-elle. Yann Mazens avance aussi la piste d’une prise en compte des coûts de production, qui restent méconnus. « Les laboratoires ont désormais la possibilité de demander des hausses de prix lorsque les coûts des matières premières augmentent. Mais, l’inverse n’est pas vrai et c’est un problème. »
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