La médecine nucléaire est à la croisée des chemins, selon le rapport annuel de l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR). Le constat est formel : la culture de la radioprotection se dégrade dans les services de médecine nucléaire français. En cause, l’augmentation de l’activité avec le développement de la radiothérapie interne vectorisée.
En temps normal, les radionucléides utilisés dans le domaine médical ont une demi-vie de seulement quelques heures, ce qui ne pose pas de problème de contamination lors de leur excrétion par le patient. Mais depuis quelques années, de nouveaux radionucléides, tels que le lutétium-177, l’actinium-225 ou l’holmium-166, utilisés dans le cadre de la thérapie interne vectorisée, sont plus puissants et dotés d’une demi-vie bien plus importante, d’une à dix journées.
« Il faut évaluer l’impact de ces innovations sur la radioprotection, prévient la Dr Géraldine Pina, commissaire de l’ASNR, issue de la fusion le premier janvier 2025 de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Il y a toute une réflexion à avoir sur l’évacuation et le traitement des déchets. Par ailleurs, les indications de ces traitements sont de plus en plus nombreuses, ce qui implique une augmentation de l’activité qu’il va falloir gérer du point de vue de la protection des personnels, des patients et de l’environnement. »
Empilement de nouvelles exigences
Des adaptations réglementaires sont déjà en cours d’adoption. Les services de radiothérapie interne vectorisée devront tous, à terme, disposer de cuves de décroissance pour stocker les urines des patients et de zones de décroissance pour stocker les autres types d’excrétion (vêtements imbibés de sueur, vomissements...). Cette obligation, relativement nouvelle, n’est pas encore généralisée : « Seuls les services qui lancent des travaux de rénovation ou d’agrandissement ont l’obligation de se doter de ces équipements s’ils veulent conserver leur agrément », précise la Dr Pina.
De plus, le développement de la téléconsultation impose des contraintes techniques et organisationnelles supplémentaires, « sous-estimées par les établissements » estime l’ASNR, qui publiera courant 2025 une étude menée spécifiquement sur ce sujet. Enfin, l’ASNR déplore « la complexification des organisations avec des mutualisations de moyens et le risque de dilution des responsabilités, dans un contexte de réformes des autorisations de soins et de rachat de centres. »
Les éboueurs en remettent une couche
Le rapport cite un incident survenu en août 2024, emblématique des problématiques posées par ces nouveaux produits. Cinq conteneurs contaminés par des radiomédicaments ont déclenché l’alarme des portiques lors de leur réception en centre de traitement. Faute d’un respect des exigences réglementaires de gestion des déchets par décroissance, ils n’avaient pas suffisamment perdu en radioactivité pour passer sous le seuil de détection. « L’analyse de ces événements a mis en évidence, d’une part, un dysfonctionnement du système de détection fixe d’un établissement ; d’autre part, des écarts aux procédures d’élimination », indique le rapport.
À Marseille, la détection répétée de radioactivité émise par des couches imbibées d’urine contenant des radiomarqueurs à demi-vie longue a incité les éboueurs municipaux à exercer leur droit de retrait : les poubelles de la rue où vit le patient n’ont pas été ramassées pendant plus d’une semaine. De retour de radiothérapie, le patient et ses proches auraient dû stocker les couches pendant une période de 70 jours. « Compte tenu de la croissance forte des prises en charge de patients pour des traitements en radiothérapie interne vectorisée et de la préférence donnée aux modalités ambulatoires, et de la difficulté à mettre en place des dispositions de collecte des déchets radiomarqués produits par certains patients à domicile, la fréquence de ces événements tend à augmenter », peut-on lire dans le rapport annuel de l’ASNR. Un groupe de travail chargé de la radioprotection des patients (GT RPP) élabore en ce moment des recommandations pour harmoniser les pratiques des services de médecine nucléaire et les informations à transmettre aux patients et à leurs proches.
Un sérieux manque de moyens
Plus globalement, les exigences en matière de radioprotection sont mal respectées par des services embourbés dans les problèmes d’effectifs. L’ASNR dresse d’ailleurs un constat d’amoindrissement généralisé des ressources, de difficultés de recrutement, de développement de l’intérim et de glissement des tâches. Des problèmes évoqués par l’intégralité des 69 services de médecine nucléaire inspectés en 2024.
La totalité des 69 services de médecine nucléaire inspectés en 2024 ont fait part de problèmes d’effectifs et de moyens
Seulement 77 % des services inspectés respectent les exigences en matière de suivi et d’analyse des expositions des professionnels, contre 90 % les années précédentes. La diminution de conformité observée ces dernières années s’est confirmée en 2024, puisque seuls 64 % des services inspectés pouvaient justifier des vérifications réalisées à la fréquence réglementaire pour toutes les sources et tous les équipements. En outre, seulement 38 % des services inspectés avaient mis en place les travaux demandés de mise en conformité. « Les inspections de 2024 ont confirmé les signaux faibles déjà relevés en 2023 », résume la Dr Pina.
Des retombées bien au-delà de l’hôpital
« Ce ne sont plus seulement les personnels hospitaliers et les patients qui sont exposés aux déchets radioactifs de la médecine nucléaire, mais aussi les travailleurs des stations de traitement des eaux, les personnels chargés du traitement des déchets ou encore les aides à domicile, poursuit la Dr Pina. C’est un nouveau public qu’il faudra sensibiliser et protéger. » Avant que les deux entités ne fusionnent, l’ASN avait saisi l’IRSN afin de proposer un protocole de mesure et une méthode d’exploitation en vue de définir localement des niveaux guides dans les autorisations de déversements.
Seuls 38 % des services inspectés avaient mis en place en 2024 les travaux demandés de mise en conformité
Rendu en 2023, le rapport doit servir de base à une révision prochaine de la décision n° 2008-DC-0095 du 29 janvier 2008 de l'ASN fixant les règles techniques auxquelles doit satisfaire l'élimination des effluents et des déchets contaminés par les radionucléides. Des outils existent déjà pour évaluer l’exposition des publics non médicaux. Ainsi, le Cidrre (calcul d’impact des déversements radioactifs dans les réseaux) permet aux services d’estimer les valeurs d’exposition des personnels des systèmes d’assainissement des eaux.
L’ASNR veut sensibiliser les promoteurs d’essais cliniques portant sur les radiomédicaments, tels que la nouvelle classe des émetteurs alpha (actinium-225 et plomb-212). L’autorité aimerait qu’ils conçoivent leurs protocoles de manière à produire des données sur les durées de stockage nécessaires, les vitesses d’excrétion, etc. L’autorité a, en parallèle, entamé un dialogue avec des partenaires européens pour réviser les exigences en matière d’essais cliniques dans l’Union européenne.
Un tiers des Français exposés aux rayons d’imagerie médicale
Selon les données de l’étude Expri menée en 2017, environ 32,7 % de la population française a bénéficié d’au moins un acte médical (hors actes dentaires) impliquant une exposition à des rayonnements ionisants. La moitié a reçu une dose inférieure ou égale à 0,1 mSv, 75 % une dose de 1,5 mSv ou moins, tandis que 5 % des patients ont été exposés à une dose supérieure à 18,1 mSv.
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