L'offre de soins en pédopsychiatrie et sa gouvernance doivent être réformées, préconise la Cour des comptes dans un rapport remis ce 21 mars à la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale. « Non pas pour faire des économies, mais pour une meilleure utilisation des dépenses publiques », a précisé Pierre Moscovici, premier président de la rue Cambon, lors d'une conférence de presse.
À l’origine de ce rapport : le constat d'une inadéquation criante entre le besoin de soins psychiques des enfants et adolescents et la réponse apportée. Environ 1,6 million de jeunes (plus de 14 %) souffriraient d'un trouble psychique en France (contre 13 % dans les pays de l'OCDE). Sans compter les conséquences de la crise du Covid, qui pèsent particulièrement sur les plus de 10 ans. Or « seulement » 750 000 à 850 000 enfants et adolescents seraient suivis en pédopsychiatrie, chaque année. En termes de dépenses publiques, la pédopsychiatrie représentait 2,1 milliards d'euros en 2019, dont 1,8 concentré dans les établissements publics - les honoraires des libéraux ne représentant que 23 millions d'euros et le médicosocial, 1,06 milliard.
Un parcours de soins grippé
Le parcours de soins est grippé à tous les niveaux. Dès la prévention, les professionnels de l'Éducation nationale, plutôt concentrés sur l'orientation des élèves pour les psychologues ou en grande difficulté pour les médecins et infirmiers scolaires, ne remplissent pas leur mission de détection, tandis que les professionnels libéraux (généralistes, pédiatres ou psychiatres) jouent mal leur rôle de porte d'entrée dans le parcours, faute de bien connaître les spécificités des troubles dans l'enfance. Les enfants et adolescents représentent seulement 7 % de la patientèle des psychiatres de ville, et moins d'une centaine d'entre eux sont spécialisés dans cette tranche d'âge.
Les centres médico-psychologiques infanto-juvéniles (CMP-IJ) sont submergés de demandes, notamment pour des troubles légers à modérés. La moitié de leur travail consisterait ainsi à recevoir des patients qui n'auraient pas besoin d'un suivi au long cours. Au détriment des jeunes aux troubles plus sévères.
Comme le reste de la psychiatrie, la pédopsychiatrie connaît en outre une crise démographique, marquée par les inégalités territoriales. Le virage ambulatoire s'est traduit par une diminution des lits de 58 % entre 1986 et 2013 (psychiatries adultes et enfants et adolescents confondues) sans que l'offre n'ait été renforcée en face ; et le nombre de pédopsychiatres a diminué de 34 % (de 3 113 à 2 039) entre 2010 et 2022 selon l'Ordre des médecins.
Repenser l'articulation entre CMP et maisons de l'enfance et de l'adolescence
La Cour des comptes suggère de redessiner le parcours de soins en plaçant en première ligne les maisons de l'enfance et de l'adolescence ; soit l'extension à l'adolescence des maisons de l'enfant et de la famille qui seront expérimentées fin 2023 en Nouvelle-Aquitaine, Auvergne-Rhône-Alpes, Corse et Normandie et évaluées dans quatre ans. Ces nouvelles structures, en lien avec les actuelles maisons des adolescents, pourraient accueillir les premières demandes, informer et donner des premiers soins psychiques et somatiques. Les psychologues (dont la démographie est en plein essor) et les infirmiers en pratique avancée verraient leur rôle renforcé au sein de ces « guichets uniques ».
Cela permettrait de désengorger les CMP-IJ qui pourraient se concentrer sur le suivi des troubles modérés à sévères, la coordination des parcours et remplir un rôle d'expert, en lien avec des médecins libéraux.
Enfin, des équipes mobiles et des équipes de liaison aux urgences devraient être déployées dans chaque territoire, les premières pour améliorer le suivi au plus près des jeunes, les secondes pour prévenir les hospitalisations en pédiatrie après passage aux urgences (en augmentation de 65 % chez les moins de 18 ans entre 2016 et 2021 !). La Cour des comptes veut aussi être pragmatique et estime justifiée la création de lits de crise (lits portes) « en fonction de l'analyse des besoins », ou même de lits d'hospitalisation pour les adolescents dans les zones en tension, afin qu'ils ne se retrouvent pas hospitalisés dans les services pour adultes. Des décisions qui doivent être à la main des agences régionales de santé (ARS), en fonction des particularités locales.
Doubler le nombre d'étudiants en pédopsychiatrie
Ce nouveau parcours suppose de mieux former les acteurs de première ligne, à commencer par les généralistes et les pédiatres, aux spécificités de la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, notamment sur le plan du dépistage et de l'orientation.
Il s'agit aussi de renforcer l'attractivité de la pédopsychiatrie. La Cour affiche l'ambition de doubler le nombre d'étudiants formés à ces surspécialités chaque année (passer de 100 à 200, sur 532 aspirants psychiatres), et pour ce faire, de valoriser les parcours hospitalo-universitaires, d'augmenter les recrutements de MCU-PH et de soutenir la recherche française. Depuis 2010, seulement 35 projets ont été financés dans le cadre des appels de la direction de l'offre de soins.
Un délégué interministériel aux compétences élargies
Si la Cour des comptes reconnaît une certaine volonté politique, matérialisée par la feuille de route de 2018, elle déplore l'absence d'objectifs clairs pour la pédopsychiatrie, en termes quantitatifs et qualitatifs, d'indicateurs et de calendrier. Et critique un empilement de mesures sans vision cohérente et constante.
Quant au poste de délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie (DMSMP), assumé par le Pr Frank Bellivier, il devrait se voir ajouté à son intitulé le terme de pédopsychiatrie, tandis que son champ de compétences devrait être interministériel afin de toucher l'Éducation nationale, la justice, les solidarités, l'autonomie, mais aussi les départements et à travers eux, la protection maternelle infantile et l'aide sociale à l'enfance.
Afin d'améliorer le pilotage régional de l'offre, au plus près des besoins des territoires, les ARS devraient prévoir des objectifs spécifiques aux soins pédopsy dans les contrats territoriaux de santé mentale (CTSM). Et mieux répartir les missions de permanence des soins entre privé et public, lorsqu'elles attribuent les autorisations d'activité.
Plus souple devrait aussi être le financement de la pédopsychiatrie, qui relève encore du même régime que celui de la psychiatrie, avec des dotations reconduites d'une année sur l'autre sans prise en compte de l'évolution de l'activité, ni de la sévérité des troubles. Mais des réformes sont en cours, tant sur les autorisations d'activité que sur la tarification. « Cela n'épuise pas pour autant la question, sur laquelle nous reviendrons », promet Pierre Moscovici.
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