Si l’on en croit ce qu’on lit dans les médias (1), les surdoués (ou personnes à haut potentiel intellectuel) – autrement dit les 2 % de la population ayant un quotient intellectuel supérieur à 130 – sont les véritables damnés de la Terre : ils sont en échec scolaire, inadaptés, hypersensibles, anxieux, dépressifs, dyslexiques, et plus si affinités. Parfois, même les études scientifiques s’y mettent, comme ce nouvel article rapportant une prévalence accrue, chez les hauts QI de diverses maladies somatiques (allergies, asthme, maladies auto-immunes) et psychiatriques (TDAH, autisme, troubles anxieux, troubles de l’humeur) [2]. Comment est-ce possible, alors que le sens commun suggèrerait au contraire que les enfants les plus intelligents ont les meilleures chances de réussite dans tous les domaines ?
Pseudoscience contre sens commun
Il suffit de vérifier la littérature scientifique sur le sujet, pour constater que ces affirmations sont, pour la plupart, en contradiction avec les données factuelles, et pour les autres, sans fondement. De nombreuses études sur de grandes populations représentatives ont montré que les enfants surdoués sont moins souvent en échec scolaire que les autres (3) ; de même, au moins 14 études effectuées dans six pays (dont la France) et deux méta-analyses montrent que les enfants précoces ne sont pas plus anxieux que les autres, en moyenne [4]. Quant à l’hypersensibilité, ou la prévalence plus élevée de troubles des apprentissages ou de troubles du spectre de l’autisme, nous n’avons pu trouver aucune donnée épidémiologique à l’appui de ces hypothèses. De manière plus générale, le QI est corrélé positivement avec la réussite scolaire et professionnelle5, avec l’espérance de vie (6), et négativement avec la détresse psychologique (7) et la quasi-totalité des maladies (8).
Pourquoi donc cette « légende noire des surdoués » rencontre-elle un tel succès dans les médias ? Et pourquoi semble-t-elle également populaire auprès des psychiatres et psychologues qui rencontrent les enfants et les adultes surdoués ?
Les personnes qui consultent un « psy » ne constituent pas du tout un échantillon représentatif de la population : les troubles mentaux y sont bien entendu surreprésentés. Ces cliniciens peuvent retirer, de leur pratique, l’impression d’observer souvent des associations entre QI élevé et troubles mentaux, mais ils ne devraient en tirer aucune conclusion. Il faudrait pour cela qu’ils puissent évaluer la prévalence des troubles mentaux dans l’ensemble de la population des personnes surdouées, et non seulement parmi celles qui consultent. De même, les associations spécialisées regroupent prioritairement les familles dont l’enfant surdoué pose un problème, et les adultes qui éprouvent un besoin particulier de rencontrer des personnes qui leur ressemblent sur ce point. Ces personnes ne représentent pas l’ensemble des surdoués, loin s’en faut.
Ce biais d’échantillonnage se retrouve ensuite dans les études scientifiques, qui recrutent via les cliniciens ou les associations. Par exemple, la nouvelle étude mentionnée (2), a recruté parmi les membres de Mensa aux États-Unis. Et encore, seuls les 10 % des membres de Mensa qui étaient volontaires pour répondre à un questionnaire sur leur santé. Ces participants avaient peut-être une prévalence élevée de maladies, mais ne représentent absolument pas l’ensemble des américains avec un QI supérieur à 130.
En France, la plupart des gens ne passeront jamais un test de QI de leur vie, et ne connaîtront donc jamais leur score, fût-il supérieur à 130. Ceux-là sont donc des surdoués qui s’ignorent, des « surdoués ordinaires » (9), qui généralement réussissent scolairement et professionnellement, et qui, s’ils font parler d’eux, ne le font jamais en tant que surdoués puisqu’ils n’ont pas été identifiés comme tels. Ceux-là sont ignorés des psys, des associations, des sites internet, des livres spécialisés et du discours médiatique sur les surdoués.
(*) Chercheyrs en psychologie. Université Paris 8, Saint-Denis
(1) Ramus F and N. Gauvrit, La pseudoscience des surdoués, http://www.scilogs.fr/ramus-meninges/la-pseudoscience-des-surdoues/#flo…
(2) Karpinski RI, Kinase Kolb AM, Tetreault NA and Borowski TB. Intelligence DOI:10.1016/j.intell.2017.09.001
(3) Deary IJ, Strand S, Smith P and Fernandes C. Intelligence 2007;35:13–21
(4) Martin LT, Burns RM and Schonlau M. Gift. Child Q. 2010;54:31–41.
(5) Ree MJ and Earles JA, Curr. Dir. Psychol. Sci 1992;1:86–9
(6) Gottfredson JL, Deary JI. Curr. Dir. Psychol. Sci. 2004;13:1–4
(7) Gale CR, Hatch SL, Batty GD, Deary IJ. Intelligence 2009;37:592–9
(8) Der G, Batty GD, Deary JI. Intelligence 2009;37:573–80
(9) Gauvrit N. Les surdoués ordinaires. PUF 2014, Paris
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