Ce 13 mai, ils sont pas moins de 13 soignants – médecins, infirmiers, psychiatre et psychologue, chercheurs – à s’élever, lors d’une conférence de presse organisée à deux pas de l’Assemblée, contre le projet d’un droit à l’aide active à mourir. Longtemps mobilisées derrière la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap) autour du mot d’ordre « donner la mort n’est pas un soin », les diverses structures qu’ils représentent (1), désormais rassemblées dans le collectif « soins de vie », choisissent de s’attaquer aux critères inscrits dans la proposition de loi d’Olivier Falorni, examinée dans l’Hémicycle. « Des critères flous, pas opérants, que la médecine ne peut mesurer ; donc laissés à la subjectivité de la personne souffrante, et en face, à l’appréciation du soignant qui devra décider qui peut vivre et qui peut mourir », dénonce la Dr Ségolène Perruchio, vice-présidente de la Sfap.
Selon la dernière version de la PPL soumise aux députés, cinq critères cumulatifs doivent être remplis pour prétendre à une aide à mourir : être âgé d'au moins 18 ans ; être français ou résidant en France ; être atteint d'une « affection grave et incurable, quelle qu'en soit la cause, qui engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale » ; présenter « une souffrance physique ou psychologique liée à cette affection, qui est soit réfractaire aux traitements, soit insupportable selon la personne lorsque celle‑ci a choisi de ne pas recevoir ou d’arrêter de recevoir un traitement » ; et être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée. La ministre de la Santé Catherine Vautrin a indiqué qu’elle présentera des amendements afin d’introduire la définition de la phase avancée telle que proposée par la Haute Autorité de santé (HAS) : « l’entrée dans un processus irréversible marqué par l’aggravation de l’état de santé qui affecte la qualité de vie ». Celle-ci devrait supplanter la notion de pronostic vital « engagé à court ou moyen terme », une notion temporelle impossible à évaluer selon la HAS.
Des critères trop larges, selon le collectif Soins de vie
« En cancérologie, à l’exception des dernières semaines, impossible de donner un pronostic : les biais sont multiples, en fonction de l’âge (on sous-estime l’espérance de vie des jeunes et surestime celle des plus âgés), des cancers, etc. La phase terminale nous parle, pas la phase avancée », témoigne le Dr Manuel Rodrigues, oncologue médical et chercheur, de la Société française du cancer.
Les critères pour bénéficier d’une aide active à mourir ne sont pas plus pertinents pour des patients atteints de sclérose latérale amyotrophique (SLA), ou maladie de Charcot, selon le Dr Pierre-François Pradat, neurologue à l’hôpital de la Pitié-Salpétrière (AP-HP). « La phase avancée n’a pas de sens : tous les patients qui se présentent à nous témoignent déjà d’une altération importante de la qualité de vie. Et l’on sait aujourd’hui que le processus neurodégénératif commence des années auparavant ! », observe-t-il. De plus, un tel cadre ne laisse aucune place au processus de résilience ni à l’évolution du ressenti des patients, selon lui.
Le risque de tels critères serait, argumente le collectif, de s’appliquer non pas à « des situations précises », comme le défend Catherine Vautrin, mais à « des centaines, voire des milliers de patients ». « Si on légifère et protocolise l’exception, on fait tomber l’universel symbolique, avec des conséquences néfastes pour les plus vulnérables », commente le Dr Bruno Dallaporta, néphrologue à la fondation Santé des étudiants de France. « Ce texte issu d’une vision de CSP + bien portants est aux antipodes de notre réalité », s’insurge encore la Dr Élisabeth Hubert à la tête de la Fédération nationale des établissements d'hospitalisation à domicile.
Seuls trouvent grâce aux yeux de ces soignants les critères actuels ouvrant le droit à une sédation profonde et continue jusqu’au décès, soit la loi Leonetti-Claeys. Autrement dit, le collectif Soins de vie s’oppose ainsi au projet d’une aide active à mourir, qu’elle prenne la forme du suicide assisté ou de l’euthanasie, « le suicide assisté étant aussi une forme d’abandon pour les soignants », selon la présidente de la Sfap, la Dr Claire Fourcade.
L’appel à la vigilance des psychiatres
De leur côté, les organisations professionnelles de la psychiatrie (2), sans s’opposer frontalement à l’aide active à mourir, appellent à la vigilance. Si les personnes atteintes de troubles psychiatriques ne sont pas exclues de l’aide à mourir telle qu’elle se dessine (au nom du principe de non-discrimination), leur maladie pourrait les conduire à revendiquer voire bénéficier d’un tel dispositif de manière inadaptée.
« Une demande d'aide à mourir, même rationalisée par une douleur physique ou psychique, n'est-elle pas dans certains cas, une autre façon d’exprimer une intention suicidaire ? L’accès à l’aide à mourir pourrait alors devenir une réponse prématurée, inadaptée et irréversible à une détresse curable et réversible, court-circuitant les dispositifs de soin », lit-on dans un communiqué commun. Et d’insister sur le fait que les soins psys peuvent souvent infléchir une demande de mort exprimée.
Les psychiatres soulignent aussi la complexité de l’évaluation du discernement majorée en cas de troubles psychiatriques. Et alertent sur le risque de confusion entre ce nouveau droit et la stratégie de lutte contre le suicide. « L’absence d’articulation explicite entre ce texte et la politique nationale de prévention du suicide constitue une incohérence majeure, à l’heure où près de 9 000 personnes se donnent la mort par suicide chaque année en France ».
Aussi les représentants de la psychiatrie demandent-ils des garanties claires à commencer par l’instauration d’une évaluation psychiatrique indépendante lors d’une demande d'aide à mourir, afin d’apprécier la capacité de discernement, de repérer les éventuels troubles psychiatriques caractérisés et de proposer des soins. Mais aussi un délai minimal de réflexion, permettant d’évaluer la stabilité et la cohérence de la demande dans le temps et de s’assurer qu’elle ne relève pas d’une réaction aiguë ou transitoire. Et enfin, un rappel clair des principes et objectifs de la prévention du suicide.
Plus de 70 % des médecins favorables à une évolution de la loi, selon l’ADMD
Dans cette joute d’arguments, les partisans de l’aide active à mourir ne sont pas en reste. Selon l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), les médecins français « sont prêts à mettre en œuvre la future loi », d’après une enquête Ifop réalisée par questionnaire en avril, auprès de 400 généralistes et spécialistes, en ville ou à l’hôpital. Ainsi 74 % des médecins « en tant que médecins » considèrent souhaitable la légalisation de l’aide active à mourir pour les patients qui la demandent expressément et de manière réitérée. Ils sont 73 % à accepter d’accompagner un patient dans cette démarche sans avoir un rôle actif, et 58 %, à accepter de participer à une aide active à mourir.
À titre personnel, en dehors de leurs fonctions de médecins, ils sont 68 % à se dire favorables à la légalisation de l’euthanasie, et 60 % à celle du suicide assisté.
Par ailleurs, deux médecins militants, le Dr François Guillemot, fondateur du collectif Accompagner mon choix de fin de vie, et le Dr Denis Labayle, président d’honneur de l’association Le Choix, citoyens pour une mort choisie, plaident dans une tribune publiée dans Le Monde pour que la loi permette la participation de praticiens retraités volontaires à l’aide active à mourir. « Leur expérience, leur disponibilité et leur engagement en font des acteurs potentiels clés (…). Seuls ou regroupés, ils pourraient intervenir à la demande des médecins traitants pour assurer le suivi des malades demandeurs et, si besoin, réaliser le geste », écrivent-ils.
(1) Association française des soins oncologiques de support (Afsos), Association nationale française des infirmier.e.s en pratiques avancées (Anfipa), Association pour la clarification du rôle du médecin dans les contextes de fin de vie (Claromed), Syndicat des médecins coordonnateurs, Ehpad et autres structures, généralistes ou gériatres - Confédération des syndicats médicaux français (SMCG – CSMF), Fédération française des associations de médecins coordonnateurs en Ehpad (Ffamco-Ehpad), Fédération française des infirmières diplômées d’État coordinatrices (Ffidec), Fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile (Fnehad), Association nationale des médecins coordonnateurs et du secteur médico-social (Mcoor), Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap), Société française du cancer (SFC), Syndicat national de gérontologie clinique (SNGC), Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI), Société francophone de néphrologie, dialyse et transplantation (SFNDT), Société médico-psychologique (SMP), Convergence infirmière
(2) Conseil national professionnel de psychiatrie, Collège national des universitaires de psychiatrie (CNUP), Fédération française de psychiatrie (FFP), Collège national pour la qualité des soins en psychiatrie (CNQSP) Syndicat des psychiatres français (SPF), Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH), Union syndicale de la psychiatrie (USP), Syndicat universitaire de psychiatrie (SUP), Syndicat national des psychiatres privés (SNPP), Syndicat des psychiatres d’exercice public (SPEP), Intersyndicale de défense de la psychiatrie publique (IDEPP)
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