L’irruption dans la mucoviscidose de la trithérapie Kaftrio, agréée depuis 2019 aux États-Unis, est venue bouleverser la donne ces dernières années. À tel point qu’après avoir été d’abord réservée aux plus de 12 ans ayant une maladie sévère associée à une mutation identifiée K8/F508del-CFTR (laissant 17 % des patients « orphelins »), elle est désormais accessible en France dès l’âge de 6 ans chez la plupart des patients, à l’exception des sujets présentant deux mutations de classe I, c’est-à-dire non producteurs de CFTR (cystic fibrosis transmembrane conductance regulator), et entre deux et cinq ans en accès précoce chez les patients présentant une mutation F508del.
Des mécanismes élucidés récemment
La mucoviscidose est due, dans une très grande majorité des cas (à l’exception de l’absence totale de production) à une mutation affectant le gène CFTR, empêchant la protéine correspondante d’être normalement excrétée et de jouer son rôle physiologique.
Or, si connaît depuis plusieurs années déjà les mécanismes intracellulaires impliqués, à savoir que les CFTR mutées s’accumulent en moins grande quantité dans le réticulum endoplasmique granuleux (REG), d’où elles sont excrétées après s’être liées à une autre protéine transporteuse, la PRAF2, qui joue un rôle important dans la rétention de CFTR mutées, jusqu’en 2022 on ne savait pas comment interagissaient ces molécules actives dans la mucoviscidose.
En 2022, des chercheurs français (Institut Cochin, Unité 1 016 Inserm/CNRS/Université de Paris) ont résolu l’énigme (1). Ils ont montré que PRAF2 interagit de façon identique avec les CFTR, mutées ou non. Il existe donc un problème de transfert, en amont du problème d’excrétion. Et il s’agit d’un transfert dose-dépendant. Autrement dit, CFTR mutée ou non, doit s’accumuler en quantité suffisante au niveau des sites de sortie du réticulum pour pouvoir être excrétée. « Ces travaux ont aussi montré que les CFTR mutées s’accumulent dans le réticulum parce que, reconnues comme anormales par l’organisme, celui-ci tente de s’en débarrasser », précise le Pr Pierre-Régis Burgel (Institut Cochin Inserm U1016, CHU Cochin, AP-HP).
De fait, tout s’est éclairé. Dans la trithérapie Kaftrio, l’elexacaftor, en inhibant la liaison CFTR-PRAF2, réduit la rétention de CFTR dans le réticulum et augmente ainsi la quantité excrétable par la cellule ; le tezacaftor, qui stabilise la version mutée de CFTR, permet à celle-ci d’arriver en plus grande quantité aux sites de sortie, où elle se lie à PRAF2, ce qui explique leur activté synergique ; et l’ivacaftor potentialise de son côté l’activité de CFTR, via l’amélioration du transport des ions chlorures et l’ouverture du canal d’excrétion de CFTR, d’où son effet complémentaire avec les deux autres molécules.
D’une prescription très restrictive à quasi-incontournable
Pour rappel, la trithérapie Kaftrio a été agréée dès 2019 aux États-Unis sur la foi d’études pivots comparant l’activité de la bithérapie ivacaftor/elexacaftor, de référence, à celle d’une trithérapie tezacaftor /ivacaftor/elexacaftor/chez des plus de 15 ans souffrant de mucoviscidose sévère, associée à un CFTR avec mutation homozygote de type K8/F508del-CFTR. « Une population correspondant globalement à 40 % des mucoviscidoses, précise le Pr Burgel. Une autre population ayant été étudiée simultanément, celle présentant une double mutation, F508del et une d’un autre type. » Soit au total 80 % des patients pour les deux études.
Après avoir traversé l’Atlantique, Kaftrio est disponible à partir de décembre 2019 sous ATU en France pour les patients sévères F508del de 12 ans et plus, puis décroche son AMM européenne, toujours chez ces patients. Jusqu’en février 2022, le médicament reste réservé aux plus de 12 ans. En janvier 2024, forte des nouvelles données, la HAS étend l’accès précoce, aux 6-11 ans. En juin 2024, l’AMM étend encore l’accès aux 2-5 ans. Kaftrio est dès lors indiqué dès l’âge de 2 ans pour les patients F508del.
En parallèle, de nouveaux travaux viennent élargir le spectre d’activité de cette trithérapie. En 2020 notamment, l’indication est étendue en Europe aux mutations CFTR-Delta T08 et, aux États-Unis, aux mutations CFTR-Delta T08 et CFTR-177. Pas à pas, de moins en moins de patients sont laissés de côté.
Un protocole compassionnel finalement très concluant
C’est dans ce cadre qu’en 2022 un protocole compassionnel est mis en place chez des plus de 12 ans à un stade sévère voire très sévère de la maladie, indépendamment des mutations impliquées, à l’exclusion évidente d’une double mutation de classe I (2). Or, sur 83 patients traités, 45 répondent ! Soit plus de la moitié de ces patients. Et la réponse est rapide et nette. Dès la première semaine, le test à la sueur s’améliore, tout comme la symptomatologie (toux, crachats) et, à 4-6 semaines la fonction respiratoire a déjà progressé de 15 %. Même l’imagerie suit.
Devant ces résultats tonitruants un comité d’expert se réunit. Il ne pourra que valider ces données obtenues en compassionnel.
En conséquence, en 2023 la France, via l’ANSM, allant pour une fois au-delà de la FDA, étend l’indication à tous les patients de plus de 6 ans sans limitation de type de mutation CFTR (sauf toujours double mutation de classe I).
Au-delà de la FDA
Résultat, de 2019 à 2022 on est passé 17 à 8 % de patients « orphelins ». Dans ce protocole compassionnel, on est aujourd’hui en France à 650 patients traités par Kaftrio, dont 350 ont répondu. « Les non-répondeurs étant ceux qui, sans être totalement dénués de CFTR, n’en fabriquent probablement pas assez pour que la trithérapie apporte un bénéfice clinique », indique le Pr Burgel.
Sans surprise, l’accès plus précoce — dès l’âge de 12 ans puis dès 6 ans — ajouté aux extensions du spectre de la trithérapie se sont accompagnés d’une chute impressionnante des greffes pulmonaires. En France, en 3 ans (2021-2024), sur les 7 000 sujets atteints de mucoviscidose, dont 800 greffés pulmonaires, on est passés de 80 greffes à 8 greffes/an en moyenne. Et l’extension, il y a moins d’un mois, de l’AMM aux 2-6 ans devrait encore faire régresser ces greffes.
Bref, la trithérapie dans la mucoviscidose, comme, bien avant elle, celle dans le VIH-Sida, a réellement bouleversé le pronostic des patients. « C’est pourquoi il ne faut pas hésiter à dépister les adultes présentant un gêne respiratoire inexpliquée (test à la sueur) et les adresser au besoin à un centre de référence, souligne le Pr Burgel. On fait 40 diagnostics par an chez l’adulte (3). » Ce qui correspond en France à une prévalence de l’ordre de 150-200 sujets diagnostiqués à l’âge adulte, sujets chez qui la maladie, moins agressive, est associée tout de même sans traitement à 50 % de mortalité à l’horizon des 60 ans.
Entretien avec le Pr Pierre-Régis Burgel (Université Paris Cité, Institut Cochin Inserm U1016, CHU Cochin, AP-HP)
(1) Chevalier SK et al. Cell Mol Life Sci. 2022:79(10)530
(2) Burgel PR et al. Lancet Respir Med 2024;12(11): 888-900
(3) Burgel PR et al. Chest 2023;163(1):89-99
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