L’art au service du souffle

Par
Publié le 15/09/2025
Article réservé aux abonnés

Chef du département « Respiration, réanimation, réadaptation respiratoire, sommeil de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et Directeur de l’UMRS 1158 INSERM-Sorbonne Université, le Pr Thomas Similowski évoque pour le Quotidien du Médecin la magnifique œuvre d’art interactive « Réespiration », actuellement visible à Paris, ainsi que deux bandes dessinées.

Crédit photo : S-Bianchini_REESPIRATION_14-11-2024_Femto_4344

LE QUOTIDIEN : Comment est née « Réespiration » ?

PR THOMAS SIMILOWSKI : J’ai rencontré Samuel Bianchini, l’artiste qui a réalisé ce projet, il y a quelques années, après un article que j’avais publié dans Cerveau & Psycho alors qu’il s’intéressait au « souffle » des supercalculateurs. Nous nous sommes retrouvés lorsque j’ai décidé, sur son conseil, de déposer avec différents acteurs de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, un dossier auprès des « Nouveaux commanditaires », une association placée sous l’égide de la Fondation de France, qui permet à n’importe quel citoyen de proposer une œuvre d’art. Notre projet a été retenu et nous avons ensuite travaillé avec Samuel sur une réalisation « respirante » qui respecte un certain nombre de critères, y compris pour mener des projets de recherche.

« Réespiration » mêle réflexion artistique et précision physiologique grâce à quatre éléments : des techniques qui associent informatique, robotique, hydraulique ou encore intelligence artificielle (IA) ; la parabole qui sert d’écrin ; le robot souple, appelé « objet à comportement et l’habillage de l’œuvre — qui a représenté 600 heures de broderie — par les ateliers Montex, maison d’art de Chanel.

Qu’appelez-vous une « œuvre respirante » ?

Dans mon département R3S (« Respiration, réanimation, réadaptation respiratoire, sommeil »), les patients présentent soit une maladie respiratoire, soit une pathologie qui entraîne une insuffisance respiratoire, la sclérose latérale amyotrophique (SLA) par exemple. Je dirige également une unité mixte de recherche Inserm Sorbonne Université centrée sur les interactions entre respiration et système nerveux. J’ai souvent constaté l’impuissance des médecins face à des maladies dégénératives, qu’il s’agisse d’une bronchopneumopathie chronique obstructive ou d’une SLA.

Mais, dès lors que nous ne pouvons plus agir sur les poumons, pourquoi ne pas nous adresser à la source de la souffrance, à savoir le cerveau ? La démarche, qui implique de changer de paradigme et de proposer une médecine symptomatique — avec, parmi les approches, la méditation, l’hypnose, les thérapies cognitives… — permet de soulager la dyspnée persistante, ou a minima de permettre aux patients de retrouver une vie normale. C’est en cela que Réespiration est une œuvre respirante. Elle poursuit deux objectifs. Le premier, physiopathologique, consiste à créer une interaction avec une œuvre « qui respire » afin d’étudier les bénéfices du mimétisme respiratoire. C’est ce qu’utilisent les hypnothérapeutes avec le pacing. Pour cette réalisation, Samuel Bianchini et moi-même avons donc eu recours à une IA nourrie d’enregistrements respiratoires humains, sains et malades, et nous avons aussi beaucoup travaillé sur la dynamique des inspirations et expirations.

Le deuxième objectif, plus social voire sociétal, vise à sortir les patients de l’isolement et de la désocialisation en leur donnant accès à une œuvre d’art, tout en cherchant à rendre visible et à déstigmatiser les maladies respiratoires chroniques et la dyspnée auprès du grand public. En cela, Réespiration s’inscrit dans le cadre d’une fédération hospitalo-universitaire (FHU) récemment labellisée par l’Inserm, l’AP-HP et Sorbonne Université : la FHU « Breath », pilotée par la Dr Laure Serresse, est entièrement consacrée à la lutte contre cette invisibilité.

Diriez-vous que l’œuvre a une finalité de recherche, et également thérapeutique ?

Oui, des personnes, équipées d’enregistreurs respiratoires, ont passé quinze minutes assis devant l’œuvre statique, puis quinze minutes devant l’œuvre animée, autrement dit respirante, illuminée et sonifiée. Selon nos premières impressions, également basées sur des questionnaires remplis par les personnes intégrées à cette recherche, passer quinze minutes devant l’œuvre animée induit un début d’état modifié de conscience. Mais, au-delà de ce type de phénomène, je tiens à rappeler qu’il s’agit avant tout d’une œuvre d’art.

D’abord installée près de l’unité de recherche, elle sera visible jusque fin septembre à la Chapelle Saint-Louis de la Salpêtrière dans le cadre de l’exposition « Vulnérables » organisée par le Pr David Cohen. Elle reviendra ensuite chez nous pour d’autres projets de recherche. Réespiration a aussi été sélectionnée dans le cadre de la Nuit blanche 2025 de la ville de Paris le 7 juin dernier et nous avons été heureux d’accueillir un grand nombre de visiteurs.

Toujours dans le domaine de l’art, vous avez publié deux bandes dessinées pour sensibiliser différents publics au souffle. Pouvez-vous nous en parler ?

La première, « Victoire ou le deuxième souffle », est accessible gratuitement en ligne, promue par le laboratoire Chiesi et réalisée avec la Fondation du souffle. Elle rend hommage aux personnes qui ont du mal à respirer et aux professionnels qui les soignent.

La seconde, « Mission Fum’Pa » publiée fin avril chez Dunod, s’adresse aux enfants qui vont entrer au collège. S’ils sont actuellement moins exposés que par le passé au tabagisme des adultes, l’entrée en sixième peut représenter un risque : le changement d’ambiance, le stress, le fait de voir les plus grands fumer… peuvent conduire un enfant à expérimenter la cigarette. Je rappelle que 20 % des élèves de troisième et 40 % des élèves de terminale le font…

Notre objectif est donc de diffuser des messages de prévention dès les classes de CM1 et CM2, en axant les messages sur la santé de ceux qu’ils aiment, en évoquant la dépendance et la privation de liberté qu’elle engendre mais aussi en valorisant la protection de l’environnement. L’industrie du tabac est l’un des plus grands pollueurs mondiaux, sans parler des 4 500 milliards de mégots jetés dans la nature et qui génèrent des toxiques. Nous savons que les plus jeunes sont particulièrement sensibles à la protection de la planète. Cet outil est très pédagogique et nous ne pouvons que souhaiter que l’Éducation nationale s’en empare.

Thomas Similowski est aussi l’auteur, avec Guillaume Jacquemont, des « Superpouvoirs de la Respiration », paru chez Albin Michel, une vision originale de la respiration

Hélène Delmotte

Source : lequotidiendumedecin.fr