À l’instar du microbiote lui-même, les supplémentations pré, pro, post et symbiotiques commercialisées constituent une jungle, dans laquelle il est d’autant plus difficile d’y voir clair que les recommandations diffèrent, selon les pays et les sociétés savantes. « Et pour cause, explique le Dr Alexis Mosca (Robert Debré, AP-HP), qui intervenait à ce sujet lors d’un webinaire organisé par la Société française de pédiatrie (SFP) : pour une même souche, on parle en fait de divers cocktails, à des dosages et des modalités d’administrations différents. D’où le réel désarroi des médecins pour répondre aux questions des patients de façon pragmatique et scientifique. »
C’est ce qui a motivé la Société européenne pédiatrique de gastroentérologie, hépatologie et nutrition (Espghan) à refaire le point début 2024, en étudiant la littérature à date dans les diverses indications proposées (1). Pour rappel, les probiotiques sont des micro-organismes vivants ; les prébiotiques sont un substrat pouvant être utilisé par des bactéries résidentes que l’on souhaite voir se multiplier ; les symbiotiques sont l’association de pré et de probiotique(s), visant à favoriser l’implantation de ce dernier ; les postbiotiques sont des produits de fermentation, contenant les micro-organismes inanimés avec les métabolites qu’ils ont produits, susceptibles d’avoir une action. D’autres interventions plus radicales existent, telles que la bactériothérapie fécale.
Persistance variable
« Contrairement à un médicament, ces suppléments n’ont pas d’effet direct : c’est la modulation du microbiote dont on attend qu’elle ait un effet sur l’hôte. Or, en fonction de l’écosystème des patients, les souches vont plus ou moins s’installer », prévient le Dr Mosca. Ainsi, alors que certains conserveront durablement la souche, chez d’autres, elle ne s’implantera que de façon transitoire et, chez certains, jamais. Dans son travail (lire encadré), l’Espghan n’a considéré que les souches qui disposaient d’au moins deux essais contrôlés randomisés contre placebo, dans des populations différentes, en répondant à une double question : peut-on moduler le microbiote et, si oui, est-ce pertinent cliniquement ?
Les indications retenues
L’Espghan a gradé ses indications selon les niveaux de preuves disponibles : forts, modérés ou faibles. Elle insiste sur le fait que toute indication doit être spécifique à une souche et ne peut être portée en général sur « les probiotiques » — ce qui se retrouve très fréquemment dans la littérature. Elle n’émet pas de recommandation sur les symbiotiques faute de preuves.
Infections gastro-intestinales de l’enfant
— Sont recommandées (niveaux faibles) : L. rhamnosus GG ATCC 53 103 ; S. boulardii CNCM I-745 ; L. reuteri DSM 17 938 ; l’association L. rhamnosus 19 070-2 et L. reuteri DSM 12 246.
— Sont à éviter : (certainement) l’association L. helveticus R0052 et L. rhamnosus R0011, non efficace ; (faible) les souches B. clausii O/C, SIN, N/R et T.
Prévention de la diarrhée associée aux antibiotiques
Les indications précédentes restent valables, à savoir une recommandation forte pour S. boulardii CNCM I-745 et L. rhamnosus GG ATCC 53 103, débutées en même temps que le traitement.
Prévention de la diarrhée nosocomiale
L. rhamnosus GG ATCC 53 103 est recommandé avec un niveau faible, tandis que L. reuteri DSM 17 938 est à éviter avec certitude.
Prévention de l’entérocolite ulcéronécrosante néonatale (ECN)
Avec 50 méta-analyses et 55 essais contrôlés randomisés depuis 2016, c’est l’indication qui fait le plus controverse. Par suite d’un décès, aux États-Unis, les probiotiques ont été proscrits dans ce contexte. Au contraire, l’Espghan s’est prononcée :
— pour (conditionnellement) : L. rhamnosus GG ATCC 53 103 ; B. infantis BB-02 ; B. lactis BB-12 ; Str. thermophilus TH-4.
— Contre : B. breve BBG-001 ; toutes les souches de S. boulardii.
— N’a pu trancher pour : L. reuteri DSM 17 938 ; l’association B. bifidum NCDO 1 453 et L. acidophilus NCDO 1 748.
Traitement adjuvant de l’éradication d’H. pylori
Recommandation positive mais faible pour S. boulardii CNCM I-745.
Désordres fonctionnels gastro-intestinaux
— Dans les coliques infantiles : chez l’enfant allaité uniquement, une recommandation positive mais faible pour L. reuteri DSM 17 938, et pour B. lactis BB-12. Chez l’enfant au lait artificiel, il n’y a pas matière à conclure concernant L. reuteri 17 938.
— Dans les douleurs fonctionnelles abdominales ou le syndrome de l’intestin irritable : recommandation positive mais faible pour L. reuteri DSM 17 938 et pour L. rhamnosus GG ATCC 53 103.
— Dans la constipation fonctionnelle, que ce soit en monothérapie ou en adjuvant, l’Espghan ne se prononce sur aucune souche faute d’essais clinique satisfaisants chez l’enfant.
Maladie cœliaque, maladies inflammatoires intestinales, prévention du Sibo
De même, aucune recommandation pour ou contre n’est émise.
Dans les laits infantiles
L’Espghan publiera prochainement un nouveau point, avec vraisemblablement très peu de recommandations positives, faute de preuves.
Autre point de difficulté, la majorité de ces suppléments sont des compléments alimentaires, et ne répondent donc pas aux mêmes exigences de qualité que le médicament. Plusieurs études sont alarmantes : en 2016, sur 16 compléments analysés, un seul était conforme à la composition affichée ; dans les autres, soit les souches étaient absentes, soit d’autres souches/composants avaient contaminé la préparation. En 2020, sur des lots destinés aux prématurés, l’un ne contenait que des contaminants, avec 0 % d’actifs.
Même dans les spécialités vendues sous le statut de médicament, il n’y a que la moitié qui contient ce qui est annoncé (2) ! « Pour des produits que l’on va donner à des prématurés, ce n’est pas acceptable, dénonce le Dr Mosca. Donc, si on peut prescrire un antibiotique en DCI sans se préoccuper de la marque délivrée, ce n’est pas le cas avec les probiotiques », ajoute-t-il, en préconisant à tous les praticiens de s’en tenir aux marques répondant aux critères de qualité de l’Espghan 2017.
Une évolution vers le médicament ?
Dans le futur, on peut s’attendre à l’essor de solutions-médicaments — les LBP, pour live biotherapic products — spécifiquement développées pour une indication précise. « Avec des essais cliniques adaptés, la prescription sera plus aisée pour nous médecins. Mais le coût devrait augmenter en conséquence », prédit le Dr Mosca, tout en reconnaissant que les parents utilisent déjà ces produits dans la plupart des cas sans attendre de prescription médicale.
Autre axe de recherche prometteur : s’intéresser aux bactéries manquantes dans la flore des personnes déjà malades. Plusieurs essais cliniques sont en phase 3, avec Faecalibacterium prausnitzi dans les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, et Akkermansia muciniphila dans l’obésité et l’insulinorésistance.

(1) Szajewska H et al. JPGN 2023(76)2:232-47
(2) Mazzantini D et al. Front microbiol 2021(12)
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