Il y a seulement 2 950 dermatologues en France aujourd’hui (soit 1 000 de moins qu’il y a quinze ans). Un tiers d’entre eux seront à la retraite dans les années qui viennent. Ils ne pourront pas être remplacés car les étudiants qui se forment actuellement sont en nombre insuffisant, et il faut attendre dix ans leur arrivée. Le creux de la vague n’a donc pas encore été atteint. « La pénurie en dermatologues touche toute la France, y compris l’Île-de-France (notamment la Seine-et-Marne et la Seine-Saint-Denis). Certains départements comme la Nièvre, la Creuse ou l’Indre, par exemple, ne comptent même pas un dermatologue en activité. On peut donc parler de sinistrose globale et cela laisse la porte ouverte à tout et n’importe quoi », déplore la Pr Saskia Oro (CHU Henri-Mondor, Créteil, AP-HP), présidente de la Société française de dermatologie.
En attendant une éclaircie, les réseaux collaboratifs avec des équipes de soins spécialisées en dermatologie ont toute leur place dans ces déserts médicaux. Mais en parallèle, d’autres mesures s’imposent.
Des fake news en cascade
La peau est particulièrement ciblée par les réseaux sociaux ; le dernier défi à la mode, consistant à prendre exprès des coups de soleil pour faire apparaître des marques, s’avère particulièrement dangereux. « On y recense aussi pléthore de messages sans aucun fondement scientifique qui trouvent un écho favorable auprès d’une population jeune et influençable : par exemple, le psoriasis serait contagieux, le manque d’hygiène favoriserait l’acné, les taches brunes sont toutes des cancers de la peau, les cosmétiques maison à base d’huiles essentielles sont les mieux tolérés, on peut tout traiter avec des injections, etc., ce qui est évidemment faux, dénonce la Pr Oro. Une étude réalisée au Brésil* a montré que 65 % des contenus partagés sur les réseaux sociaux et qui concernent la peau sont erronés ou prêtent à confusion. Toutes les affections dermatologiques sont concernées, y compris les cancers de la peau. »
Pour endiguer ce phénomène inquiétant, la SFD souhaite le lancement d’une veille nationale de la désinformation et la création d’un label « information médicale vérifiée » pour les contenus diffusés sur les réseaux sociaux. Le site grand public de la SFD – www.dermato-info.fr – est aussi en train de faire peau neuve afin de proposer une plateforme validée d'informations.
En milieu scolaire et universitaire, les associations de patients, regroupées au sein de la Fédération française de la peau (www.francepeau.com), s’associent aux dermatologues pour sensibiliser les jeunes à l’autosurveillance et l’auto-dépistage des cancers cutanés, les éduquer à la santé dermatologique. Ils réalisent ainsi un travail fort utile qu’il convient d’encourager.
Quid des cabines de dépistage ?
Pour pallier la pénurie de médecins, les cabines de dépistage se sont multipliées ces dernières années. Le dépistage des cancers cutanés y est proposé, mais avec quel outil, et qui derrière pour analyser les images ? L’information fait défaut, de même que les parcours de soins, qui n’y sont pas proposés en cas de problème. « Les solutions numériques doivent être intégrées dans un réseau territorial impliquant des dermatologues. Cela demande d’encadrer les plateformes de télé-expertise et d’IA par des règles claires et uniformisées, de former les professionnels à cet usage et… de former plus de dermatologues, car il en faudrait 125 à 130 nouveaux chaque année. On est loin du compte : 102 sont attendus pour l’an prochain. Il faut aussi renforcer la lisibilité des parcours patients », insiste la Pr Oro.
Les solutions numériques doivent être intégrées dans un réseau territorial impliquant des dermatologues
Pr Saskia Oro
Lorsque c’est possible, il est aussi préférable que le patient montre sa peau au médecin généraliste plutôt qu’à une cabine, car c’est bien le médecin traitant qui est le premier maillon de la chaîne. « Tout le monde n’a pas besoin de voir le dermatologue une fois par an. Il faut axer le dépistage des cancers cutanés sur la population à risque », insiste la Pr Oro. La SFD propose des formations à l’intention des généralistes, via des diplômes universitaires ou des webinaires, notamment sur les pathologies courantes qu’ils vont forcément rencontrer (cancers cutanés, maladies inflammatoires, réactions cutanées aux médicaments, infections courantes). « Le juste soin dermatologique repose sur un raisonnement clinique, un parcours coordonné et un usage raisonné de la technologie », résume-t-elle.

Entretien avec la Pr Saskia Oro, présidente de la SFD (CHU Henri-Mondor, Créteil, AP-HP)
* Silva H . Trends in Medical Research. 2024(19)285
Le pilotage de précision des grossesses sous immunosuppresseurs
Sarcoïdose : souvent thoracique, mais pas que
Savoir évoquer une dermatose neutrophilique
Un Pots encore mal connu