Les femmes ne présentent pas les mêmes caractéristiques que les hommes quant à la santé cardio-vasculaire. La prévention primaire est une stratégie gagnante pour les femmes, même si la lutte contre le tabagisme féminin est complexe. Et trop peu ont accès à la prévention secondaire à travers le monde. Le Pr Claire Mounier-Véhier, cardiologue au CHU de Lille, ex-présidente de la Fédération française de cardiologie, vient de co-fonder le fonds de dotation « Agir pour le cœur des femmes - Woman's cardiovascular healthcare foundation ». Une démarche destinée à favoriser les initiatives en faveur de la santé cardiovasculaire des femmes. Entretien.
LE QUOTIDIEN : Pourquoi avoir créé ce fonds de dotation dédié à la santé cardiovasculaire des femmes ?
Pr CLAIRE MOUNIER-VEHIER : C'est un projet que j'ai en gestation depuis la fin de ma présidence de la Fédération française de cardiologie (FFC) puisque la santé cardiovasculaire des femmes est ma « thématique de cœur » depuis longtemps. J'ai créé ce fonds de dotation avec Thierry Drilhon, avec qui j'ai travaillé quand il était directeur général de la FFC. Nous avons fait un benchmark de ce qui existait en France ou à l'international avant de monter « Agir pour le cœur des femmes - Woman's cardiovascular healthcare foundation », avec, donc, une note internationale. C'est un projet médico-sociétal ambitieux qui part de la société pour aller vers les soins. Il associe des cardiologues, des gynécologues, des pneumologues, des pharmaciens, des généralistes…
Quels sont les objectifs et les missions de ce fonds ?
Nous avons trois axes d'action, les « 3 A du cœur ». Tout d'abord nous voulons Alerter, donner des informations aux professionnels de santé et au grand public sur les spécificités cardiovasculaires des femmes. Nous voulons aussi Anticiper, en informant les femmes et en faisant la promotion du dépistage. Enfin, troisième A, Agir, notamment pour accompagner les femmes dans leur parcours de soins et les professionnels de santé dans la prise en charge spécifique des femmes. Nous allons également soutenir la recherche via des labels dédiés, au départ en matière épidémiologique, dans des centres « Cœur de femmes » comme celui que nous avons monté dans les Hauts-de-France il y a une dizaine d'années. Il s'agit d'un parcours cardio-gynéco comprenant une consultation pour la femme de 50 ans. Des collègues ont déjà envie de s'engager dans cette voie.
Comment s'articule ce parcours que vous souhaitez généraliser ?
Nous voulons mettre en place une évaluation objective de 1 000 femmes dans cinq secteurs des Hauts-de-France associant pharmaciens et médecins. Les premiers repéreront les femmes dans la tranche d'âge concernée pour les inciter à consulter. Les seconds - médecins traitants, gynécologues, cardiologues - évalueront leur risque cardiovasculaire.
Si dans trois ans cette expérience est réussie, et je pense qu'elle le sera étant donné le travail que nous menons depuis dix ans à Lille, la CNAM, déjà partenaire du projet, pourrait financer l'accès de toutes les femmes à une consultation longue de dépistage à 50 ans.
Qu'observez-vous chez les femmes qui vous consultent depuis cette crise sanitaire ?
J'ai mené mes consultations par téléphone pendant le confinement et j'ai constaté que les femmes ressentaient un énorme stress à la maison, un stress du confinement et du déconfinement. Elles ont une forte charge mentale notamment celles qui ont travaillé à la maison, entre le télétravail et les réunions à distance très fatigantes, le travail scolaire des enfants, qui étaient à la maison 24 heures sur 24, comme le mari avec qui les problèmes de couple, s'il y en avait, se sont exacerbés. Celles qui devaient travailler à l'extérieur ont eu peur de contaminer leur famille…
Le système cardiovasculaire des femmes est plus sensible aux effets du stress. Une étude américaine récente montre que les facteurs de risque classiques comme le tabac, le cholestérol, le stress, la sédentarité ou l'hypertension ont des effets plus délétères sur la santé cardiovasculaire des femmes que sur celle des hommes. Elle montre aussi qu'une bonne hygiène de vie est plus bénéfique chez les femmes. Le stress était le troisième facteur de risque d'infarctus chez les femmes avant confinement. Avec le confinement, il est passé en deuxième position.
Les femmes reviennent-elles consulter en cardiologie ?
Les patients sont toujours réticents à l'idée de revenir à l'hôpital, ils ont peur d'attraper le Covid. Beaucoup préfèrent les consultations téléphoniques.
Pendant le confinement et jusqu'à il y a peu, la proportion d'hommes hospitalisés a été très importante. En cas de problème, les femmes ne sont plus venues à l'hôpital et ont attendu encore plus que les hommes pour se manifester. Certaines ont refusé de partir avec le Samu, disant qu'elles ne pouvaient pas laisser leur famille. On commence à en revoir en hospitalisation. Mais les deux dames que j'ai vues ce matin par exemple ont laissé traîner une pathologie pendant trois mois. Beaucoup de femmes âgées, d'environ 80 ans, ont fait des décompensations cardiaques ou se sont présentées avec un infarctus vieilli, deux semaines ou un mois après le début des symptômes. Il y a eu aussi des arrêts de traitements très délétères, davantage de dissections aortiques…
Craignez-vous donc une aggravation des pathologies des femmes après cette crise sanitaire ?
Ces retards de prise en charge laissent présager une bombe à retardement, notamment chez les femmes. Il va y avoir plus d'insuffisances cardiaques liées à des maladies coronaires mal dépistées ou des prises en charge trop tardives. Nous risquons d'avoir plus d'accidents vasculaires cérébraux (AVC) dus à des problèmes non dépistés et globalement des tableaux de maladies cardiovasculaires plus graves, vieillis, sous des formes que l'on ne voyait plus beaucoup car on les dépistait plus tôt. Chez les hommes, en particulier, il y a par exemple plus d'ischémies critiques car ils avaient des artérites qui ont attendu.
Que sait-on par ailleurs des complications cardiovasculaires du Covid chez les femmes en particulier ?
On sait que le virus a un tropisme sur le myocarde - il provoque des myocardites – et sur les artères. Les complications cardiaques ont été documentées : le virus a provoqué des chutes de tension importantes, des tachycardies, des phlébites, des troubles du rythme cardiaque et il a activé la thrombose. Mais comme il y a deux fois plus d'hommes atteints que de femmes, on ne sait pas encore grand-chose sur les complications spécifiques aux femmes.
Le site web du fonds de dotation : https://www.agirpourlecoeurdesfemmes.com Particuliers et entreprises peuvent apporter leur contribution financière