Face au taux plus élevé qu’attendu de cancer du poumon chez les femmes un an seulement après le lancement de leur étude, les investigateurs de l'étude Cascade veulent accélérer le mouvement. L'équipe française coordonnée par l'AP-HP incite les médecins généralistes à leur adresser des patientes éligibles, c’est-à-dire sans symptôme mais à risque, ayant fumé au moins 20 paquets-années, toujours fumeuses actives ou sevrées depuis moins de 15 ans.
L'objectif premier de l'étude Cascade (pour CAncer du poumon chez les femmes françaises par SCAnner faible DosE) est de tester l’apport de l’intelligence artificielle (IA) pour le dépistage du cancer du poumon par scanner faible dose, dans une population de femmes fumeuses ou ex-fumeuses. Quel est le mode de lecture des résultats le plus approprié : en simple ou double lecture ? Avec ou sans l'assistance de l'IA ?
Toutefois, « notre étude ne se contente pas d'analyser les différentes modalités de lecture du dépistage », insiste la Pr Marie-Pierre Revel, cheffe du service radiologie de l'hôpital Cochin (AP-HP), principale investigatrice de l'étude.
Le programme Cascade vise aussi à dépister d'autres pathologies liées au tabac, comme la maladie coronaire, l'emphysème ou encore l'ostéoporose. « Nous allons aussi produire des données sur des facteurs essentiels à la santé des femmes : la densité minérale osseuse, l'adhésion aux traitements de substitution, l'impact psychologique du dépistage… », précise-t-elle.
En matière de dépistage du cancer du poumon, les femmes restaient jusqu'à présent sous-représentées dans les grosses études internationales. Dans l'essai randomisé Nelson* qui a démontré l’intérêt de dépister les fumeurs, anciens et actuels, à l'aide du scanner faible dose, seulement 2 594 femmes (la moitié ayant eu un scanner) ont été incluses pour 13 195 hommes (1).
En un an, l'étude Cascade a déjà intégré 1 300 femmes, dont 85 % de fumeuses actives, et doit en comporter à terme 2 400 qui bénéficieront toutes d'un scanner, soit le double de l’effectif féminin de l'étude Nelson.
Entre 2 et 3 % de dépistage positif
Les investigateurs tablaient sur un taux de positivité de 1 %. Sur les quelque 1 300 femmes recrutées, le taux de dépistage positif (après relecture par expert et confirmation du diagnostic) s'est révélé deux à trois fois plus élevé que ce qui a été observé chez les hommes dans l’étude Nelson, de l'ordre de 2 à 3 % contre 0,9 %. Une participante présente un cancer asymptomatique toutes les 30 femmes dépistées.
« À niveau de tabagisme égal, la littérature nous disait déjà que les fumeuses avaient un risque supérieur à celui des fumeurs de développer un cancer du poumon, explique la Pr Revel. Mais c'est autre chose de pouvoir l'observer en vie réelle. » Dès 1996, une étude de l'Institut national du cancer américain (NCI) avait en effet démontré que les femmes fumeuses avaient 1,2 à 1,7 fois plus de risque de développer un cancer du poumon que les hommes fumeurs (2).
En 50 ans, le cancer du poumon chez la femme est passé de presque négligeable à la première cause de décès par cancer chez les femmes, devant le cancer du sein. « Nous assistons aux conséquences de l'augmentation du tabagisme chez les femmes depuis les années 1970 », résume la Pr Revel. Selon les données du réseau de prévention des addictions, alors que le tabagisme a globalement diminué en France entre 2019 et 2021, il continuait d’augmenter dans la population féminine, 23 % des Françaises fumant quotidiennement en 2021, soit + 2 % par rapport à 2019.
Comme préconisé par l'Institut national du cancer (Inca) et la Haute Autorité de santé (HAS), les fumeuses entrant dans l'étude se voient proposer une aide au sevrage tabagique. L’étude fait apparaître aussi que cette aide est acceptée par 75 % des fumeuses actives.
Avant la grande expérimentation nationale
En Europe, le programme Solace doit fournir à l'avenir une « boîte à outils » aux États membres afin de mettre en place leurs programmes de dépistage respectif. En France, depuis février 2022, la HAS a demandé la mise en place d'un programme pilote national de dépistage organisé du cancer du poumon chez les fumeurs et anciens fumeurs. Un groupe de travail, auquel appartient la Pr Revel, est actuellement à pied d’œuvre. Les données de Cascade devraient alimenter les réflexions.
Afin d'accélérer le recrutement, les promoteurs de Cascade veulent inciter les médecins généralistes à envoyer les patientes répondant aux critères d'inclusion se faire dépister chez les radiologues participants spécialement formés dans les villes de Paris, Rennes et Béthune (appeler le 06 15 06 58 35 ou envoyer un e-mail à cascade.cch@aphp.fr).
(1) H. de Koning et al, NEJM, 2020. DOI: 10.1056/NEJMoa1911793
(2) E. A. Zang et al, J Natl Cancer Inst, 1996. doi: 10.1093/jnci/88.3-4.183
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024