Les conjugués anticorps-médicament (ADC, pour antibody-drug conjugate) ou chimiothérapie vectorisée, jouent un rôle de plus en plus central dans le traitement des cancers solides et hématologiques. La recherche est très active : 19 ADC sont disponibles dans le monde pour 30 types de cancer, et plus de 370 sont en développement clinique. « C’est dans le cancer du sein que le premier ADC pour un cancer solide a été approuvé, en 2013 avec le T-DM1 (trastuzumab emtansine), ouvrant la voie à cette approche qui a, depuis, changé la donne dans le cancer du sein, contextualise la Dr Barbara Pistilli, cheffe du comité de pathologie mammaire à Gustave Roussy (Villejuif). En 2022, le trastuzumab deruxtecan a transformé le traitement des cancers du sein HER2 + et a montré des résultats positifs dans les HER2-low. Nous avons aussi, en Europe, le sacituzumab govitecan, dans les cancers du sein triple négatif et ceux hormonodépendants (RH positifs). Le datopotamab deruxtecan devrait aussi être approuvé prochainement. »
HER3-DXd, évalué dans le cancer du sein métastatique RH + après échec des hormonothérapies
Dans ce contexte, l’essai Icarus Breast 01 a évalué le patritumab deruxtecan (HER3-DXd), un ADC encore non approuvé mais déjà testé dans des études préliminaires (1). Il s’agit d’une étude de phase 2 menée chez des patientes dont la maladie a progressé après un traitement par inhibiteurs de CDK4/6 et une seule ligne de chimiothérapie. « Les patientes, atteintes d’un cancer du sein métastatique et à récepteurs hormonaux positifs, après une première ligne comprenant une hormonothérapie associée à un inhibiteur de CDK4/6, peuvent recevoir deux à trois lignes supplémentaires (hormonothérapie associée à une autre thérapie ciblée) ou parfois directement une chimiothérapie, explique la Dr Barbara Pistilli qui a coordonné l’étude Icarus Breast 01 avec Guillaume Montagnac, chercheur Inserm au sein de l’unité « dynamique des cellules tumorales » qu’il dirige à Gustave Roussy. La question clé concerne l’intérêt et l’efficacité des ADC chez les patientes dont le cancer n’est plus hormonosensible. Elles reçoivent généralement une chimiothérapie, dont l’efficacité reste souvent limitée dans ce contexte et/ou à l’origine d’effets secondaires lourds, ce qui renforce l’intérêt de solutions alternatives comme les ADC. »
L’intérêt pour le patritumab deruxtecan réside dans sa cible, HER3, présente à la surface des cellules tumorales des cancers du sein hormonodépendant et impliquée dans les mécanismes de résistance à certains traitements standards, notamment l’hormonothérapie et certaines thérapies ciblées. « L’expression de HER3 peut augmenter après une hormonothérapie ou certains traitements ciblés reçus auparavant, ce qui en fait une cible stratégique pour ce type de patientes », précise l’oncologue.
Plus efficace et moins toxique qu’une chimiothérapie ?
De mai 2021 à juin 2023, 99 femmes (dans une dizaine de centres français sous la coordination de l’IGR) ont reçu le HER3-DXd (5,6 mg/kg IV toutes les trois semaines) jusqu’à progression de la maladie ou apparition d’une toxicité sévère. Le critère principal a été atteint, avec un taux de réponse de 53,5 % (IC90 % [44,8-62,1]) et environ 63 % des patientes bénéficiant d’un effet clinique, défini par une régression ou une stabilisation de la maladie pendant au moins six mois. Deux patientes ont même observé une disparition complète des signes visibles de leur maladie, réponse qui persiste à deux ans de suivi.
Le suivi médian a été de 15,3 mois, la survie sans progression médiane de 9,2 mois, et la durée médiane de la réponse de 9,3 mois, plus longue que celle observée avec certaines thérapies actuellement disponibles en traitement standard. « Le traitement par HER3-DXd apparaît, a priori, plus efficace que la chimiothérapie, même si l’étude ne comportait pas de comparaison directe, indique la Dr Pistilli. Il présente un profil de toxicité gérable, sans les effets secondaires typiques de la chimiothérapie. Ses effets indésirables les plus fréquents étaient la fatigue (83 %), les nausées (75 %) et les diarrhées (53 %). Le profil de sécurité était identique à ce qui a été précédemment rapporté. Globalement, ce traitement permet aux patientes de bénéficier d’une efficacité clinique tout en maintenant une qualité de vie correcte. »
Des pistes pour comprendre la réponse aux ADC
L’essai Icarus-Breast 01 comprenait également un volet exploratoire, visant à identifier des biomarqueurs prédictifs de réponse ou de résistance à cette thérapie ciblée. Pour cela, toutes les patientes ont bénéficié de biopsies répétées, soumises à une série d’analyses multiomiques. Une première observation importante concerne l’expression de HER3, fait remarquer la Dr Pistilli : « les patientes n’avaient pas été sélectionnées en fonction de l’expression de cette cible, mais il apparaît que les tumeurs l’exprimant à un niveau plus élevé semblent bénéficier d’une survie sans progression plus longue. Ces observations, à confirmer, ne sont pas statistiquement significatives car limitées par le nombre de patientes incluses. »
Une deuxième piste concerne la distribution spatiale de la cible HER3 au sein des tumeurs. Grâce à l’anapathologie numérique, les biopsies et les scanners ont été analysés pour modéliser cette distribution. « Les ADC étant de grosses molécules, leur diffusion en profondeur dans la tumeur est parfois limitée, expliquant au moins en partie certaines différences de réponse entre les patientes, indique-t-elle. Il semble que, lorsque HER3 s’organise en petits îlots entourés de stroma, cette configuration favorise la pénétration du HER3-DXd au sein de la tumeur et permet de cibler un plus grand nombre de cellules tumorales, entraînant ainsi une efficacité accrue. Et, en effet, après analyse multiomique du microenvironnement tumoral, après un ou deux cycles thérapeutiques, la présence de l’ADC dans la tumeur était corrélée à la réponse au traitement : celles où HER3-DXd pénétrait le mieux, répondaient davantage. » La distribution tumorale de l’ADC semble donc jouer un rôle clé dans l’efficacité thérapeutique.
Par ailleurs, les patientes qui répondaient le mieux au HER3-DXd présentaient une activation particulière des voies de l’interféron. Ce constat suggère que l’efficacité des ADC ne repose pas uniquement sur leur action cytotoxique directe, mais qu’ils pourraient aussi exercer un effet indirect, via la modulation du système immunitaire et notamment de son interaction avec le microenvironnement tumoral. L’hypothèse est que les ADC pourraient, au-delà de leur rôle de « chimio ciblée », engager et remodeler la réponse immunitaire, à l’origine de certaines réponses prolongées observées dans l’essai.
Ces premiers résultats doivent être confirmés par des essais de plus grande ampleur, dont certains qui ont déjà débuté à l’international, bientôt en France. Une autre étude, Icarus-Breast 02, est en cours avec HER3-DXd, pour évaluer l’efficacité de cet ADC en association avec l’olaparib (inhibiteurs de PARP) après la progression du cancer sur un précédent ADC, en l’occurrence le trastuzumab deruxtecan (T-DXd).
(1) Pistilli B et al. Patritumab deruxtecan in HR+HER2- advanced breast cancer : a phase 2 trial. Nat Med. 2025 Sep 4
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