Représentant 95 % des cancers de l’anus, le carcinome épidermoïde (CE) est le type histologique le plus fréquent. C’est un cancer secondaire à une infection par des Papillomavirus humains (HPV) oncogènes, principalement le génotype 16. En effet, les HPV sont responsables de lésions précancéreuses, appelées lésions intra-épithéliales squameuses de haut grade (HSIL), précurseurs du CE invasif. Le taux d’évolution vers un cancer invasif est compris entre 0,2 et 1,9 % par an. Cependant, cette évolution n’est pas univoque, et environ 20 % par an des HSIL régresseraient spontanément (1).
Des sujets à risque
Certaines populations sont plus à risque de CE : les personnes vivant avec le VIH, notamment les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH), les femmes ayant des antécédents gynécologiques de lésions précancéreuses et de cancers dus à l’HPV, et les patients immunodéprimés (2). De l’ordre de 100/100 000, l’incidence du CE, chez les HSH atteints du VIH, est près de 100 fois supérieure à celle de la population générale. Chez les femmes ayant des antécédents de cancer de la vulve, elle est de 48/100 000. Parmi les patients transplantés d’organes solides, elle avoisine 25/100 000 chez les hommes et 50/100 000 chez les femmes (2).
Le frottis anal recommandé
Le dépistage cible les groupes à risque. L’objectif est de traiter les lésions précancéreuses et ainsi de diminuer le risque de CE (3). Les modalités du dépistage ne sont pas consensuelles et sont, de surcroît, en constante évolution. En France, l’examen proctologique avec anuscopie standard est recommandé en première intention, chez les personnes vivant avec le VIH. S’il permet le diagnostic de cancer invasif, il est cependant peu performant pour celui de lésion précancéreuse, car moins de 40 % des HSIL seraient visibles à l’œil nu. Les recommandations internationales reposent majoritairement sur le frottis anal, deux fois plus sensible que l’examen clinique pour le dépistage des HSIL. Une méta-analyse récente a certes montré une sensibilité supérieure à 85 %, mais une faible spécificité (53 %) pour le diagnostic d’HSIL chez les HSH séropositifs au VIH (4). A contrario, le ratio s’inverse chez les HSH non infecté par le VIH et chez les femmes, avec une spécificité (respectivement 66,5 % et 82,2 %) supérieure à la sensibilité (respectivement 56,6 % et 65,7 %). Dès lors, le risque est de sous-dépister les patients.
Test HPV : sensible mais peu spécifique
En gynécologie, la recherche d’HPV oncogènes par PCR au niveau du col de l’utérus est devenue l’examen de dépistage de première intention. La cytologie n’est réalisée qu’en cas de test HPV positif. En proctologie, l’excellente sensibilité du test HPV (au-delà de 90 %) se heurte à la forte prévalence de l’infection anale à HPV chez les patients à risque (supérieure à 70 % chez les HSH positifs au VIH). De surcroît, la spécificité du test est mauvaise (± 40 %). Néanmoins, un test HPV négatif pourrait permettre d’espacer les intervalles de surveillance. Enfin, restreindre la recherche aux génotypes 16 et 18 améliore la spécificité, mais diminue d’autant la sensibilité. D’autres biomarqueurs (ARNm E6/E7, marquage p16/Ki67, méthylation de l’ADN) sont prometteurs, mais leur place reste à préciser.
Quand recourir à l’anuscopie haute résolution ?
L’anuscopie haute résolution (AHR) est indiquée en cas d’anomalies aux tests de triage (frottis anal, test HPV) et pour le suivi des patients ayant des antécédents d’HSIL. Il s’agit de l’examen de référence pour le diagnostic d’HSIL. Le principe est similaire à la colposcopie. L’anus est examiné à fort grossissement (x13 à x30) à l’aide d’un appareil dédié et de colorants vitaux (acide acétique et lugol). L’examen est réalisé en consultation sans préparation préalable. La suspicion d’HSIL repose sur la combinaison d’anomalies épithéliales, vasculaires et de coloration. Puis, le diagnostic est confirmé histologiquement (figure 1). De plus, l’AHR permet le traitement ciblé des HSIL. Sa principale limite est sa faible disponibilité, qui impose actuellement une sélection des patients.
Véritable enjeu de santé publique, la prévention du cancer de l’anus repose sur le dépistage et le traitement des lésions précancéreuses anales. La stratification du risque, les performances des tests et leur disponibilité sont autant d’éléments à intégrer dans nos algorithmes de dépistage. La prévention s’appuie également sur la vaccination contre l’infection HPV. Des recommandations pour la pratique clinique, sous l’égide de la Société nationale française de coloproctologie, devraient très bientôt nous aider à y voir plus clair.
Service de proctologie médico-chirurgicale, Groupe hospitalier Paris Saint-Joseph, Institut Léopold Bellan (Paris)
(1) Poynten IM et al. Clin Infect Dis 2021;72:853-61.
(2) Clifford GM et al. Int J Cancer 2021;148:38-47.
(3) Palefsky JM et al. N Engl J Med 2022;2273-82.
(4) Clarke MA et al. Int J Cancer 2022; doi: 10.1002/ijc.34199.
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