PAR LE Pr MATHIEU CECCALDI*
L'UN DES ENJEUX actuels de la recherche dans ce domaine est d'identifier les patients affectés d'une MA parmi ceux présentant un déficit cognitif léger, ou Mild Cognitive Impairment (MCI), en caractérisant le mieux possible leur profil d'atteinte mnésique.
Un trouble du stockage évocateur d'une atteinte temporale interne.
Certains patients, quoique autonomes dans la vie quotidienne, présentent l'association d'une plainte mnésique et d'un déficit de mémoire documenté par un test psychométrique, qui amène à qualifier leur trouble de MCI de type amnésique (aMCI). Or, certains tests de la mémoire, comme celui développé par Grober et Buschke (Fcsrt) (1), permettent de distinguer ceux dont les difficultés de rappel d'une information à long terme s'atténuent, voire disparaissent avec l'aide d'un indiçage, et ceux qui ne bénéficient pas de cette aide. Le profil d'atteinte mnésique de ces derniers est celui d'une véritable amnésie de type « temporal interne ». L'étude Pré-Al, coordonnée par Bruno Dubois de l'hôpital de la Salpêtrière, dans laquelle 223 patients avec un MCI ont été suivis tous les six mois, indique que 75 % des patients présentant initialement un rappel total (somme du rappel libre et du rappel indicé) inférieur à 40/48 dans un test Fcsrt développent une démence de type Alzheimer dans les trois années suivantes. Ainsi, l'altération de la sensibilité à l'indiçage dans une épreuve de rappel en mémoire à long terme témoignerait d'un processus pathologique au niveau du cortex hippocampique et serait l'une des caractéristiques du profil d'atteinte mnésique des patients présentant une MA à un stade pré-démentiel. Notre équipe, pour sa part, s'est engagée depuis plusieurs années dans un programme de recherche clinique visant notamment à décrire le corrélat clinique de stades encore plus précoces de la maladie.
La mémoire de reconnaissance visuelle et le cortex périrhinal.
Les études neuropathologiques ont montré que, dans la majorité des cas, le site initial des dégénérescences neurofibrillaires (DNF), l'une des lésions caractéristiques de la MA, se situait au niveau des régions temporales internes, d'abord au niveau de la région transentorhinale, située au niveau de la partie médiale du cortex périrhinal, puis au niveau du cortex entorhinal, avant de s'étendre à la formation hippocampique (Figure). Or des études réalisées chez le singe suggèrent que des lésions des cortex rhinal ont pour effet d'altérer la mémoire de reconnaissance visuelle, ce qui n'est pas le cas des lésions limitées à l'hippocampe. Sachant que, dans la MA, les DNF affectent initialement cette région, notre hypothèse est que la mémoire de reconnaissance visuelle serait affectée très tôt, dès le début clinique de la phase prédémentielle de la maladie. Dans une étude préliminaire, nous avons montré que des patients atteints de formes légères et modérées de démence de type MA présentaient des performances déficitaires dans un test de mémoire de reconnaissance visuelle (2). Dans ce même travail, la majorité, mais pas la totalité (78 %), des patients affectés d'un MCI étaient également déficitaires dans cette tâche, ce qui nous a conduit à nous intéresser aux profils d'atrophie et de perfusion cérébrale retrouvés en fonction de l'atteinte ou de la préservation de la mémoire de reconnaissance visuelle.
Deux sous-groupes distincts au sein des patients MCI.
Afin de nous approcher le plus possible du début de l'affection, nous avons recruté des sujets aMCI avec un déficit mnésique isolé, sans autre atteinte significative, dans une batterie évaluant de manière détaillée l'ensemble des autres fonctions cognitives. Ces patients avec un aMCI « pur » et des sujets contrôles appariés ont été soumis à une évaluation neuropsychologique approfondie, comportant en particulier une épreuve de mémoire de reconnaissance visuelle, le DMS 48. Ce test (désormais disponible sur le site http://www.sf-neuro.org) est basé sur la procédure classique du « delayed matching to sample » utilisée chez le primate, dans lequel, lors de la phase de reconnaissance, l'animal doit choisir entre une cible qui lui a été préalablement montrée et un distracteur. Quarante-huit dessins colorés sont présentées aux sujets qui, lors de deux sessions ultérieures, trois minutes et une heure plus tard, doivent les reconnaître au sein de paires où chacun d'entre eux est présenté avec un distracteur. Les sujets inclus dans ce programme sont soumis à des examens de neuro-imagerie permettant de réaliser des études morphologiques (IRM) et de la perfusion en situation de repos de leur cortex cérébral (Spect après injection de 99mTc-ECD).
Au sein d'une cohorte de 26 patients répondant aux critères très sélectifs que nous nous sommes imposés, deux sous-groupes ont pu être distingués en fonction du Z-score au DMS48. Treize patients ont obtenu un Z-score situé en dessous d'1,5 écart-type des contrôles – groupe « DMS moins » – et 13 autres ont obtenu un Z-score qui ne s'écartait pas de plus d'1,5 écart-type de celui des sujets contrôles – groupe « DMS plus ». Ces deux sous-groupes ne diffèrent ni en terme d'âge ni en terme de score au MMS (Mini Mental State) de Folstein. Or, quand on compare la distribution de leurs perfusions cérébrales respectives, les sujets « DMS plus » présentent une hypoperfusion relative du cortex préfrontal gauche. En revanche, les patients du groupe « DMS moins » présentent un profil métabolique très proche de celui rencontré dans les stades débutants de la démence de type MA, avec une hypoperfusion relative des deux lobes temporaux, des deux jonctions temporo-occipito-pariétales, et du cingulum postérieur (3).
L'étude fine du profil d'atteinte mnésique.
Des résultats issus d'une étude volumétrique du cortex cérébral indiquent également que seuls les patients du groupe « DMS moins » présentent une atrophie significative des cortex temporaux internes très similaire à celle qui caractérise les stades initiaux de la MA. Bien entendu, il nous faut suivre l'évolution de ces sujets pour confirmer l'hypothèse selon laquelle l'atteinte de la mémoire de reconnaissance visuelle serait un marqueur précoce de la présence d'une MA. Si tel était le cas, l'approche neuropsychologique pourrait contribuer, grâce à l'étude affinée du profil d'atteinte mnésique des sujets avec plainte mnésique, à porter un diagnostic de MA bien avant la phase démentielle.
* Service de neurologie et de neuropsychologie, CM2R Paca Ouest, laboratoire de neurophysiologie et de neuropsychologie (Inserm U751), CHU de la Timone Adultes, Marseille.
(1) Grober & Buschke, Neurology, 1988, 38: 900-3.
(2) Barbeau et al. Neurology, 2004, 62: 1317-22.
(3) Guedj et al. Neurology, 2006, 67: 356-8.
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