L'Observatoire européen des drogues s'inquiète de l'explosion des produits de synthèse

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Publié le 19/06/2023
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Crédit photo : Phanie Voisin

« Everywhere, everything, everyone » (partout, tout, tous) : ainsi Alexis Goosdeel, directeur de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (EMCDDA), qualifie-t-il la disponibilité des drogues en Europe. Le rapport annuel 2023 sonne l'alerte sur les risques sanitaires engendrés. « Les drogues illicites classiques sont désormais largement accessibles tandis que de nouvelles substances à forte teneur en principe actif continuent d'apparaître », sans que les consommateurs sachent toujours ce qu'ils prennent, analyse-t-il.

En 2022, 41 nouvelles drogues ont été signalées pour la première fois via le système d’alerte précoce de l’UE, portant le nombre total de nouvelles substances psychoactives surveillées par l’EMCDDA à 930.

Des essais médico-légaux et toxicologiques doivent être intensifiés pour détecter les menaces émergentes de ces nouvelles substances, parfois mélangées ou coupées, plaide l'agence européenne. Pour ce faire, elle met au programme de son nouveau mandat en 2024 la mise en place d'un réseau européen de laboratoires de police scientifique et de toxicologie. Les services d'addictologie et centres de santé doivent aussi être considérés comme des sentinelles pour obtenir des données, en particulier sur les nouveaux modes de consommation, est-il précisé.

Alerte sur le HHC

Avec 22,6 millions d'usagers (soit 8 % des 15-64 ans), le cannabis reste la drogue illicite la plus consommée en Europe. Selon les estimations, 97 000 consommateurs sont entrés en soins pour des problèmes liés à son usage en 2021.

Les nouveaux produits qui en sont dérivés acutisent les problèmes de santé en multipliant les risques d'intoxication. Le premier d'entre eux, semi-synthétique, est l’hexahydrocannabinol (HHC), détecté en 2022 dans les deux tiers des États membres, parfois même vendu - dans des boutiques de CBD - comme une alternative « légale » au cannabis à l'étranger, malgré la surveillance accrue dans le cadre du système d’alerte précoce de l’UE.

Après l'Autriche, la Belgique, le Danemark, ou le Royaume-Uni, la France, via l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), a décidé son interdiction le 12 juin dernier, estimant qu'il présente « un risque d'abus et de dépendance équivalent » à celui d'un stupéfiant. Des études précliniques (modèles cellulaires ou animaux) ont montré qu'avec une concentration moindre, le HHC provoquait davantage d'effets que le tétrahydrocannabinol (THC), mais aucune étude clinique n'a été effectuée chez l'homme. Et les addictologues ne savent pas non plus si, une fois dans l'organisme, le HHC se transforme en une molécule plus dangereuse. Au moins une trentaine de cas auraient fini aux urgences après absorption de HHC, selon le réseau d'addictovigilance français.

Des stimulants de plus en plus injectés

En matière de stimulants, la cocaïne est consommée par 3,7 millions de personnes (soit 1,3 % des adultes) et sa disponibilité semble toujours plus grande, comme en témoignent des saisies records en 2021 (303 tonnes) et 2022 dans les ports européens, ainsi que la multiplication des laboratoires (34 démantelés en 2021 contre 23 en 2020).

Il s’agissait de la substance la plus fréquemment associée à des passages aux urgences pour intoxication aiguë en 2021, mentionnée dans 27 % des cas. « L’injection de cocaïne et l’usage de crack sont de plus en plus courants au sein de groupes marginalisés de certains pays, raison pour laquelle il est nécessaire d’intensifier les mesures de réduction des risques », est-il précisé.

Par ailleurs, les stimulants synthétiques sont en plein essor : après l'amphétamine, la méthamphétamine et les cathinones de synthèse posent de plus en plus problème. En outre, les stimulants sont désormais plus souvent injectés, parfois en combinaison avec de l’héroïne ou d’autres opioïdes, ce qui suppose d'adapter les interventions de réduction des risques.

Inquiétude sur les opioïdes de synthèse

Environ un million d'Européens ont par ailleurs consommé des opioïdes en 2021, selon l'EMCDDA. L'héroïne reste le produit illicite le plus couramment consommé et sa disponibilité est élevée ; la quantité saisie par les États membres a plus que doublé en 2021 pour atteindre 9,5 tonnes, et même 22,2 tonnes en Turquie.

Avec l'interdiction de la culture du pavot à opium en 2022 en Afghanistan, principal producteur d'héroïne, les observateurs s'inquiètent d'une augmentation de l'offre d'opioïdes de synthèse, à forte teneur en principe actif, en particulière du benzimidazole (nitazène). Même s'ils ne sont pas aussi répandus qu'en Amérique du Nord, les nouveaux opioïdes de synthèse (auxquels il faut ajouter les produits dérivés du fentanyl) sont associés à une augmentation du nombre de décès par surdose dans les pays baltes ou en Estonie, notamment en raison de mélanges contenant une benzodiazépine et de la xylazine, un sédatif pour animaux (dits « benzodope » et « tranq-dope »).

Vigilance sur les substances détournées

Le rapport alerte enfin sur les risques sanitaires liés à des substances détournées à des fins récréatives, comme la kétamine, cet anesthésique et analgésique qui est sniffé ou ajouté à d'autres mélanges de drogues, en particulier les poudres et comprimés de MDMA et le protoxyde d’azote (« gaz hilarant »).

Sans nier les pistes prometteuses que représentent les psychédéliques dans le domaine de la santé mentale, l'Observatoire des drogues craint que leur médiatisation n'encourage un recours expérimental, hors cadre médical, mettant en danger les plus vulnérables. Aussi insiste-t-il sur l'importance de mieux comprendre les mécanismes d'action des substances les moins communes et contrôlées et leurs conséquences sur la santé publique.


Source : lequotidiendumedecin.fr