Entretien

« Créer un continuum de la connaissance à l'action pour protéger les Français »

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Publié le 09/05/2016
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Bourdillon

Bourdillon
Crédit photo : AFP

LE QUOTIDIEN : Santé publique France prend pour modèle les Centers for Disease control and prevention (CDC) américains, le Public Health England, ou l'institut national de santé publique du Québec. Qu'est-ce à dire ?

Dr FRANÇOIS BOURDILLON : L'idée est de rapprocher les différents métiers de la santé publique pour créer un continuum, de la connaissance à l'action, celle-ci prenant la forme de plaidoyers ou d'interventions visant à préserver l'état sanitaire de la population. Santé publique France réunit ce qui était auparavant séparé : l'épidémiologie, à l'InVS, la prévention et la promotion de la santé (à l'INPES), la logistique à l'EPRUS, et l'aide à distance, à l'ADALIS.

Quels sont les principaux enjeux de Santé publique France ?

Le premier est d'alerter à bon escient, sans crier au loup. La colonne vertébrale de l'alerte est constituée des cellules d'intervention en région (CIRE). Au moindre signal d'importance relayé par ces épidémiologistes répartis sur l'ensemble du territoire, nous pourrons mettre en œuvre des actions de protection de la population à travers les agences régionales de santé (ARS), en lien avec le ministère de la Santé.

Autre enjeu : tirer parti de la révolution numérique. L'InVS est déjà engagée dans le mouvement du big data. Santé publique France doit avoir des systèmes informatiques qui supportent ces immenses bases de données, et prendre en compte leur dimension territoriale. Demain, toutes les régions doivent pouvoir disposer de données pour bâtir leur programme régional de santé. Une manière d'éclairer les décideurs nationaux et régionaux.

Santé publique France doit aussi prendre le tournant des smartphones, des réseaux sociaux et d'Internet pour faire de la prévention et promotion de la santé. On passe d'une logique de « campagnes » à du marketing social avec l'espoir d'atteindre les principaux intéressés : l'application smartphone de tabac info service a été téléchargée 500 000 fois en 2015, 200 000 personnes suivent le programme d'arrêt du tabac, avec 29 % de réussite.

Dans quelle mesure le numérique pourrait-il changer votre manière de communiquer avec les médecins ?

En termes de prévention primaire, nous alerterons les professionnels de santé concernés (les généralistes en l'occurrence) non pour leur rappeler les recommandations de bonne pratique (par ex : comment prescrire un patch nicotinique), mais pour leur décrire en amont nos actions (campagnes, nouvelles applications smartphone, mobilisation des pharmaciens) et l'environnement dans lequel leurs consultations s'inscrivent. Ainsi le médecin pourra être un relais et un appui de la politique publique.

Les médecins pourront aussi bénéficier des applications smartphones comme « la météo des maladies » (aussi proposée au grand public) qui, à partir du système de surveillance syndromique SurSaUD, informera en temps réel sur l'état de santé de la population, par région.

Comment restaurer la confiance en matière de vaccination ?

Nous devons nous appuyer sur les professionnels de santé du quotidien, en qui les Français ont confiance. À travers notre comité d'interface, nous élaborerons un discours construit, abordant tous les sujets (effets secondaires, adjuvants, risques et bénéfices). Au-delà de la conférence citoyenne du Pr Alain Fischer, que nous accompagnons pour construire le débat public, notre ambition est de s'inscrire dans le temps.

Par ailleurs, pour lutter contre la désinformation sur Internet, nous avons lancé un site officiel de référence à l'occasion de la semaine européenne de la vaccination. En janvier prochain, ce doit être le premier site référencé sur google.

La France est toujours le mauvais élève de l'Europe quant à la consommation de tabac. Que peut faire Santé publique France ?

Nous nous sommes engagés depuis 2015 à livrer des données annuelles de consommation de tabac, à la place de chiffres donnés tous les 4 ans ou basés sur les ventes. Nous entrons aussi dans une démarche de marketing social avec deux événements par an, l'un autour de la journée mondiale du tabac (le 31 mai, NDLR), l'autre en novembre, avec l'opération « moi(s) sans tabac ».

Nous développons également les interventions spécifiques en direction des jeunes, non seulement via les applications et réseaux sociaux, mais aussi à travers le parcours éducatif en santé instauré dans la loi de modernisation de notre système de santé. Sans tomber dans un discours moralisateur, il faut apprendre aux jeunes à dire non à une cigarette, à de la drogue ou à un verre de trop.

Comment Santé publique France compte-t-elle couvrir le champ immense de la prévention ?

Au cours du travail de préfiguration, nous avons recensé au sein des 3 agences... 500 actions ! Nous souhaitons réduire le nombre de programme à 30 pour une meilleure lisibilité, selon 5 axes : déterminants (tabac, drogues, addictions, nutrition, santé sexuelle, mentale), populations, pathologies, territoires, et infrastructures (pour les bases de données).

Cela impose de la transversalité : l'épidémiologie doit guider la prévention. Par exemple, en santé mentale, nous nous concentrerons sur la prévention du suicide à partir des connaissances très fines dont nous disposons (notamment grâce à l'observatoire du suicide). En santé environnement, le volet épidémiologie est très riche. Nous allons développer la prévention.

Nous poursuivons par ailleurs des actions très volontaristes. Nous préparons la journée nationale de lutte contre le syndrome d'alcoolisation fœtal le 9 septembre 2016 avec des actions ciblées vers les femmes en âge de procréer et les maternités. Nous avons remplacé l'axe VIH-IST par « santé sexuelle » pour parler de tout avec les jeunes. Un dispositif de prévention combinée, orienté vers les homosexuels (sujets à une recrudescence des IST et VIH) sera prochainement annoncé.

Quelle sera l'orientation de l'agence à l'international ?

Notre souhait est de continuer à travailler main dans la main avec les European CDC, pour ne pas rester dans une bulle franco-Française, ainsi qu'avec les interlocuteurs régionaux en Océan indien et dans les Caraïbes. Santé publique France assure en outre le secrétariat de l'association internationale des instituts nationaux de santé publique (IANPHI).

L'Agence s'est dotée d'un comité d’orientation et de dialogue. Un symbole d'ouverture ?

La santé publique ne se résume pas aux chiffres ou à la prévention. Je souhaite que l'agence soit inscrite dans son temps, en prise avec la société et l'actualité, qu'elle comprenne et réponde, avec pédagogie, aux interrogations du grand public autour de la vaccination, des perturbateurs endocriniens, des radiofréquences ou encore des sites et sols pollués. On ne peut ignorer les controverses. Notre expertise scientifique doit être comprise de tous.

Propos recueillis par Coline Garré

Source : Le Quotidien du médecin: 9494