« Au fil des ans, malheureusement, les agressions contre les médecins continuent d’augmenter », a déploré ce lundi le Dr Jean-Jacques Avrane, coordonnateur de l’Observatoire national de la sécurité des médecins (ONSM) qui a publié ses résultats annuels. Hélas, l’année 2024 ne fait pas exception, en signant un nouveau record en la matière.
Avec 1 992 incidents recensés – agressions physiques ou verbales, vols, ou vandalisme – , l’observatoire enregistre un bond spectaculaire de 26 % du nombre des violences déclarées par rapport à 2023, qui était déjà une année record. Un constat jugé « particulièrement préoccupant » par l’Ordre, puisque le nombre d’incidents a presque doublé en trois ans, révélateur d’un « problème structurel qui fragilise l’ensemble de la profession médicale ».

Les atteintes aux personnes constituent les trois quarts des incidents répertoriés. On recense en particulier 1 207 agressions verbales et menaces, 105 agressions physiques et 104 actes de vandalisme. L’Ordre dénombre par ailleurs 306 falsifications d'ordonnances et 166 vols ou tentatives, précise le rapport 2025 de l'Observatoire national publié ce lundi 29 septembre. À noter que 15 médecins agressés ont déclaré une interruption de travail (ITT) supérieure à huit jours, et 20 praticiens une ITT comprise entre trois et huit jours.
Qui sont les médecins victimes ?
Comme les années précédentes, ce sont les médecins généralistes qui constituent de loin la majorité des victimes déclarantes. Ils représentent près des deux tiers des signalements (63 % des déclarations alors qu’ils constituent 57 % des médecins en exercice). « Toutefois, le phénomène dépasse désormais largement le champ de la médecine générale », insiste le Dr Avrane.

Psychiatres (71 incidents, 4 %) mais aussi ophtalmologues, cardiologues, gynécologues-obstétriciens, dermatologues et médecins du travail sont également touchés (environ 2 % des incidents chacun avec une trentaine ou une quarantaine de signalements).
L’année 2024 marque même l’émergence de « nouvelles disciplines exposées », comme l’endocrinologie (16 incidents), la rhumatologie (15), la gériatrie (13), la cancérologie (13)ou encore la médecine physique et de réadaptation (12). « Cette évolution démontre que toute la profession médicale est vulnérable face aux violences », diagnostique l’institution ordinale. Les médecins femmes sont davantage victimes d’agressions que leurs confrères (55 % contre 45 %) alors que la profession est désormais strictement paritaire.
Le reproche de prise en charge principal motif
Si les violences se traduisent dans la grande majorité des cas par des agressions verbales et menaces, les motifs évoqués par les agresseurs concernent d’abord les reproches de prise en charge (32 %), devant la falsification de document (26 %), un refus de prescription de médicament ou d’arrêt de travail (17 %), ou encore un temps d’attente ou de rendez-vous jugé excessif (8 %). « La hausse des violences est aussi à mettre en regard avec la hausse de la violence sociétale », avance le Dr Avrane.

Le patient, principal agresseur
Dans 58 % des cas (1 153 déclarations), l’agresseur est le patient lui-même, un score en recul de 4 points par rapport à 2023, ou une personne l’accompagnant (241 déclarations, 12 %). Mais l’Ordre relève aussi 17 incidents liés à des collègues/collaborateurs, 14 % à des salariés et huit à un confrère !
À noter que dans 2 % de ces situations de violences, l’agresseur a utilisé une arme (couteau ou cutter pour sept agressions signalées mais aussi canne et même un fusil dans deux occurrences).
Une agression sur cinq en milieu rural
Les déclarations les plus fréquentes se situent en milieu urbain (56 % des incidents) et en banlieue (19 %) mais le milieu rural n’est pas épargné (22 % des incidents).

En nombre de déclarations, les régions les plus exposées sont les Hauts-de-France (477 incidents) et Paca (439), où le nombre de violences signalées a presque doublé par rapport à 2023. Viennent ensuite la Nouvelle Aquitaine (164) et l’Île-de-France (149 contre 193 un an plus tôt).

Au niveau départemental, le Nord et les Bouches-du-Rhône explosent les compteurs, passant chacun de 168 déclarations en 2023 à respectivement à 420 et 368 agressions déclarées en 2024 ! Sans surprise, ces deux départements présentent également le « taux de victimation » départemental le plus important (5,1 %) et (4,8 %), suivis par le Loir et Cher (2,2 %). Toutefois, ces résultats sont « à interpréter avec prudence compte tenu de la faiblesse des effectifs et du caractère déclaratif des informations recueillies », tempère l’ONSM.
La médecine de ville davantage touchée
Les trois quarts des incidents déclarés le sont toujours dans le cadre d'un exercice de médecine de ville (74 %) et plus de la moitié ont lieu au sein même du cabinet, « sans que le fait d’exercer en cabinet de groupe n’apparaisse protéger davantage les médecins qui y travaillent », analyse le Dr Avrane.
Les agressions dans un établissement de soins n’apparaissent concerner que 20 % des cas, mais les agressions en milieu hospitalier ne sont que peu déclarées dans ce cadre, faisant probablement l’objet d’une gestion interne.

Même si la forte hausse des déclarations traduit aussi la volonté des médecins de mentionner les incidents dont ils sont victimes, l’Ordre déplore une fois encore le faible nombre de médecins qui donnent une suite juridique à une agression dont ils ont été victimes.
Seulement 35 % des médecins agressés ont effectivement porté plainte et 7 % ont déposé une main courante (58 % n’ont rien fait du tout). Toute raison pour laquelle, les chiffres de l’observatoire ne « constituent que la face émergée de l’iceberg ».
Pour autant, les lignes bougent depuis quelques mois. Ainsi, la loi dite Pradal, visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé, promulguée en juillet 2025, alourdit les sanctions pour violences et outrages à l’encontre des soignants et devrait faciliter les dépôts de plainte. De leur côté, les Ordres départementaux ont signé une centaine de protocoles avec les parquets, préfectures, forces de l’ordre et les ARS pour favoriser le contact avec un référent identifié et accélérer les procédures.
Étude réalisée avec l’institut Ipsos, portant sur 1 992 fiches de déclaration d’incidents, du 1er au 31 décembre 2024, par questionnaire auto-administré.
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