Une loi promulguée au cœur de l’été renforce les sanctions contre les auteurs de violences à l’encontre des professionnels de santé. Alors que les agressions physiques et incivilités se sont accrues ces dernières années, ce nouvel arsenal répressif dissuadera-t-il les patients belliqueux de passer à l’acte ? S’ils saluent des avancées, les médecins attendent de voir ce que ce texte changera réellement sur le terrain et dans les tribunaux.
Un médecin de SOS Médecins tabassé à Lille, un cabinet de SOS dégradé à Beauvais par un patient furieux du délai de prise en charge, une infirmière libérale de Meurthe-et-Moselle frappée au visage lors d’une visite, des pharmaciens agressés à Rambouillet (Yvelines) et à Cléon-d'Andran (Drôme) pour avoir refusé de délivrer un médicament faute d’ordonnance valable, une médecin victime d’insultes à caractère raciste dans une maison médicale de garde à Cholet… L’été 2025 aura été marqué par une nouvelle série d’agressions contre les soignants.
Mais la « trêve estivale » a aussi vu la promulgation le 9 juillet d’une loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé. Très attendue, cette loi initiée début 2024 par Philippe Pradal (Horizons) se veut un signal fort envoyé aux soignants. « Grâce à ce texte, nous franchissons une étape décisive dans notre combat commun pour protéger nos soignants et ne laisser aucun répit à ceux qui leur portent atteinte, a commenté Yannick Neuder, ministre délégué à la Santé, devant les députés. L’actualité rend cette exigence encore plus pressante, lui conférant un caractère d’urgence. Chaque jour, dans notre pays, soixante professionnels de santé sont agressés. Ce n’est pas acceptable. »
En mai dernier, la DGOS dévoilait des chiffres édifiants de l’Observatoire national des violences en santé (ONVS). En 2024, 20 961 signalements d’agressions ont été effectués par les établissements de santé et les professionnels libéraux, contre 18 768 signalements en 2022 et 19 640 en 2023. Outre des progrès dans la systématisation des déclarations, cette hausse de 6,6 % entre 2023 et 2024 traduit surtout une hausse des violences physiques et verbales. Les médecins, notamment, sont témoins voire victimes de la dégradation de la situation. Ils ont déclaré 1 581 actes de violence en 2023, soit 27 % de plus en un an, selon les données de l’Observatoire de la sécurité des médecins, créé par l’Ordre. « Les actes de violence contre les médecins, que nous présenterons bientôt, ont encore augmenté en 2024 », confie le Dr Jean-Jacques Avrane, coordonnateur de l’Observatoire.
Une loi pour marquer le coup
La loi du 9 juillet, qui intervient après un précédent plan national lancé en septembre 2023 – avec 42 mesures – pour améliorer la sécurité des professionnels de santé, arrive à point nommé. Elle aggrave les peines des auteurs d’agressions mais aussi de vols, menaces et agressions sexuelles commis dans les établissements de santé, cabinets de médecine, officines de pharmacie, laboratoires médicaux. Les professionnels de santé disposent désormais du régime des personnes chargées d’une mission de service public. Les violences ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) de plus de 8 jours pourront dorénavant être punies de 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende (3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende si les violences n’ont entraîné aucune ITT).
« Cette loi, à laquelle nous avons beaucoup travaillé avec le ministère de la Santé, reprend beaucoup de nos propositions, poursuit le Dr Avrane. Elle durcit les sanctions encourues et va faciliter le dépôt de plainte en permettant aux employeurs des professionnels agressés ou aux Ordres et URPS de déposer plainte pour eux [un décret précisera les modalités, NDLR]. » Les professionnels pourront déclarer leur adresse professionnelle et non plus personnelle lors du dépôt de plainte. Le délit d’outrage est étendu aux professionnels de santé. Yannick Neuder a par ailleurs annoncé la reconduction d'une enveloppe annuelle de 25 millions d'euros allouée à la sécurisation des établissements de santé, ou l’instauration d’un bouton d’alerte relié aux forces de l’ordre.
Il faudra que la justice montre sa fermeté car l’enjeu est énorme
Dr Jean-Jacques Avrane, coordonnateur de l’Observatoire de la sécurité des médecins
Face à la montée des incivilités et de l’agressivité verbale et physique, la loi peut-elle contribuer à dissuader les patients vindicatifs ? « Il faudra que la justice montre sa fermeté car l’enjeu est énorme, affirme le Dr Avrane. On parle beaucoup des problèmes de démographie médicale mais la violence a un impact considérable. Des médecins décrochent leur plaque après une agression. »
Ce fut le cas, l’an dernier, à Marseille, où une médecin généraliste a été violemment frappée par une femme de 20 ans. L’agresseuse a écopé de 2 ans de prison dont 1 an ferme, avec port d’un bracelet électronique et 2 000 euros d’amende. Mais la médecin n’est jamais revenue travailler et a quitté Marseille. « La violence a privé 1 000 patients de médecin traitant ! », relate son confrère, le Dr Saïd Ouichou, médecin généraliste à Marseille, lui-même victime par le passé d’agressions, à l’initiative du Collectif du 12 mars, qui avait appelé à une journée de fermeture des cabinets pour dénoncer la montée des violences.
La sécurité, enjeu national aussi en santé
Déjà échaudés par la faible sanction – des travaux d’intérêt général – infligée en février dernier à l’agresseur du Dr Mohamed Oulmekki, généraliste à Drancy, qui avait eu le nez cassé, les soignants ont à nouveau déchanté cet été. Début août, le Collectif du 12 mars et une vingtaine de syndicats représentatifs de médecins libéraux, praticiens hospitaliers, infirmiers, kinés, pharmaciens, sages-femmes, se sont insurgés dans un communiqué commun contre une peine symbolique – 900 euros d’amende et 1 000 euros de frais de justice – infligée à un homme, jugé en comparution immédiate, qui avait roué de coups de poing une infirmière libérale lors d’une visite à domicile en Meurthe-et-Moselle. « Un État dont la justice est incapable de protéger ses soignants est un État qui perd ses repères », déplorent les signataires, qui réclament l’application systématique de peines fermes et exemplaires pour toute agression physique d’un soignant. « Ramener la sécurité est un enjeu national car à force de fermer les yeux, la situation s’aggrave », affirme le Dr Ouichou.
S’il est encore tôt pour tirer des conclusions définitives sur ce que va apporter la loi Pradal, Sébastien Guérard, kiné et président de l’Union nationale des professionnels de santé (UNPS), espère qu’elle permettra de « sacraliser » les soignants. « Il ne se passe pas une année sans que chaque professionnel de santé rencontre au moins une fois une situation tendue avec un patient », relate-t-il. L’UNPS a proposé deux évolutions qui n’ont pour l’heure pas été retenues : que l’officier de police judiciaire puisse se rendre au cabinet ou à l’officine pour prendre la plainte du professionnel et que la visioplainte, dispositif de dépôt de plainte en ligne expérimentée dans quelques départements, soit appliquée aux soignants pour leur éviter des déplacements et une perte de temps.
Un texte sourd aux causes des violences
Une partie de la profession s’interroge toutefois sur l’impact du durcissement des sanctions, à l’instar de LFI, seul parti à avoir voté contre ce texte, accusant le gouvernement d’« inflation pénale ». « Certes, il faut une réponse pénale dissuasive car nul ne doit risquer sa santé pour soigner les autres ; mais en amont, nous espérions dans cette loi plus de prévention, de meilleures conditions d’exercice et davantage de moyens pour éviter les agressions », relève le Dr Anouar Ben Hellal, secrétaire adjoint au Snphare. Selon le PH au Samu des Yvelines, cette loi ne s’attaque pas aux causes de la crise du système de santé, lui-même parfois « maltraitant », citant les cas où « un patient est obligé de dormir trois nuits de suite aux urgences ».
Nous espérions dans la loi du 9 juillet plus de prévention, de meilleures conditions d’exercice et davantage de moyens pour éviter les agressions
Dr Anouar Ben Hellal, secrétaire adjoint au SNPhare
Les juges se montreront-ils plus sévères contre les auteurs de violence ? Rien n’est moins sûr. « Les peines prononcées sont rarement maximales, l’individualisation de la peine existe encore », relève le Dr Jean-Christophe Nogrette, secrétaire général de MG France. « Multiplier les lois ne résout pas les difficultés d’accès aux soins, ajoute le généraliste. Le problème numéro 1 est l’accès aux soins et la tension sur la prise de rendez-vous. Si une loi peut améliorer la situation, c’est la loi de financement de la Sécurité sociale, en donnant des moyens aux soins de ville. »
Un arsenal juridique déjà conséquent
Deux avocats parisiens, souvent sollicités dans des affaires de violences contre les soignants, ont accepté de livrer leur analyse au Quotidien. Maître Denis Latrémouille, avocat de la MACSF et du fonds de garantie des assurances obligatoires (FGAO), constate une montée des tensions ces dernières années. « Les patients attendent beaucoup du système de santé, observe-t-il. Une partie d’entre eux sont dans une posture de consommateurs et voient les soins comme une prestation de service qui leur est due et sont de plus en plus intolérants à la frustration. » Si cette loi est un signal important pour les professionnels de santé, l’arsenal juridique était déjà très complet et permettait de condamner les auteurs d’agression dans une proportion non négligeable, ajoute-t-il. « Fallait-il une loi supplémentaire ou que les précédentes soient bien appliquées ? »
Maître Renan Budet, responsable de la commission santé du barreau de Paris et qui intervient aussi pour des compagnies d’assurances de professionnels de santé et établissements, voit également la « portée symbolique de ce texte ». Selon lui, le Covid a marqué un basculement, la science et les avis médicaux ayant été mis à mal. « Les médecins ne sont plus sur un piédestal et les hôpitaux ne sont plus un sanctuaire. La violence s’est banalisée et fait désormais partie du quotidien de nombreux professionnels de santé. » Au point que certains soignants considèrent la violence comme faisant partie des risques du métier. « J’espère que cette loi va les aider à prendre conscience qu’ils ne doivent pas accepter de soigner dans un climat de violence. »