LE QUOTIDIEN : Quelles politiques dominent en Europe en matière de régulation à l’installation des médecins ?
Patrick Pihelgas : Nos travaux, qui portent beaucoup sur les pays d’Europe centrale et de l’Est, distinguent deux approches. D’un côté, les stratégies coercitives, comme les obligations de service public en Croatie, Lettonie et Slovénie où, après leur spécialisation, les médecins doivent travailler jusqu’à six ans dans le secteur public sous peine d'amendes conséquentes. De l’autre, des pratiques plus souples, telles qu’en Lituanie, où la formation post-universitaire inclut une part croissante de l’activité (15 à 35 %) en établissements non universitaires, tout en laissant aux médecins le choix de leur lieu de stage, renforçant ainsi l’attractivité des zones rurales.
Des pays comme l'Espagne, le Portugal, l'Estonie et le Royaume-Uni utilisent des incitations positives : salaires attractifs, flexibilité horaire et perspectives de carrière. L’Allemagne adopte une approche intermédiaire, avec une interdiction d’installation dans les zones surdotées mais une certaine liberté dans les autres secteurs. Des initiatives locales intéressantes émergent : en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, 10 % des étudiants en médecine s’engagent ainsi pour dix ans en zone rurale, sous peine d’une amende de 250 000 euros. Relevons aussi le cas notable de la Grèce, qui présente une approche mixte avec sa foundation year : six mois en hôpital régional puis six mois en service rural obligatoire, assortis d’un carnet de stage officiel et d’une rémunération mensuelle de 1 160 euros.
Quel regard portez-vous sur ces régulations ?
Cela dépend de leur caractère coercitif ou non, et aussi du stade auquel elles interviennent : à l’entrée des études, durant la spécialisation ou après l’obtention du diplôme de médecin. Nous notons que les deux premiers stades sont assez puissants en termes d’efficacité. Reste que les résultats varient fortement selon les pays. En Espagne, les incitations volontaires se montrent très efficaces. À l’inverse, les systèmes restrictifs « purs » à l'Est entraînent l’insatisfaction. L’Europe en témoigne, la coercition seule fait fuir. Notre constat principal est donc le suivant : les approches respectant l’autonomie professionnelle avec des conditions attractives offrent les résultats les plus durables.
Quels enseignements en tirer pour la France, qui avance sur la voie de la régulation ?
Le déploiement d’une politique de régulation nécessite une planification à long terme adaptée aux besoins territoriaux. Ainsi, nous avons constaté que les meilleures mesures, comme l’exposition précoce aux zones rurales, mettent du temps à faire effet. Deuxièmement, il faut des incitations financières substantielles. Ensuite, relevons la haute importance du soutien professionnel : exercice coordonné, équipes pluridisciplinaires, etc.
Pour finir, en cas de régulation contraignante, il est important d’opter pour une approche progressive et concertée avec les organisations professionnelles. C’est ce qu’ont fait l’Allemagne et la Lituanie.
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