Au sortir de la première canicule, le monde de la santé s’interroge : les urgences, l’hôpital et la médecine de ville tiendront-ils le choc cet été, période toujours délicate ? Alors que le service d’accès aux soins (SAS) donne des premiers résultats encourageants, l’engagement des médecins de terrain est fragilisé par le contexte conflictuel et l’épuisement du secteur.
Parler de la saison estivale quand on est ministre de la Santé réclame de savoir manier l’art de l’euphémisme. Depuis plusieurs semaines, Yannick Neuder fait montre de son talent sur les plateaux télé, dans les Ehpad, les services d’urgences et sur les bancs parlementaires : « L’été est une période délicate » ; « Nous sommes extrêmement concentrés sur ces sujets » ; « Il ne faut pas se voiler la face, il y a des problèmes aux urgences ».
Si les ministres passent, le regard sur le système de santé à l’heure estivale reste, année après année, peu ou prou le même. Médecins libéraux, praticiens hospitaliers et autorités sanitaires s’interrogent : sommes-nous prêts ? Alors que la France vient de subir une première canicule précoce, qui a fait bondir les appels au Samu parisien, tous les regards sont tournés vers les urgences, une porte d’entrée ouverte à 20,8 millions de passages en 2023 et qui ne ferme jamais… ou presque. Car la donne a changé. L’engorgement récurrent des services et la pénurie d’urgentistes, spécialité qui accuse un taux de vacance sur les postes à temps plein de 34 % en 2022, ont eu raison du mythe de la lumière allumée 24h/24, avec un fonctionnement fréquent en mode dégradé.
Avec la généralisation progressive du service d’accès aux soins universel (SAS), plateforme de régulation et d’effection présente sur 97 % du territoire, se félicite le ministère, le système de santé a opéré sa mue dans la prise en charge ville/hôpital des urgences et soins non programmés. Dans certains départements qui ont poussé le bouchon jusqu’à rendre obligatoire la régulation via le 15 (hors urgence vitale), les premiers résultats montrent que la mayonnaise a pris. Fin juin, l’ARS Normandie a évalué à 15 % la baisse de fréquentation des services d’urgences dans la Manche par rapport à 2022. Dans l’Eure, le bilan est moins spectaculaire (- 3 %).
Même si d’autres structures sont présentes en renfort, l’été 2025 reste marqué par un risque de lassitude et de désengagement
Ce signal encourageant mais fragile s’accompagne toutefois d’une vigilance accrue dans les hôpitaux, toujours sous pression. « L’été n’est jamais une surprise », confirme Cécile Chevance, responsable du pôle « offres » à la Fédération hospitalière de France (FHF) qui oscille entre inquiétude et prévoyance. Bon an mal an, le système « tient » grâce à la mobilisation accrue des soignants et l’anticipation des tutelles. Depuis plusieurs semaines, les ARS s’emploient à prévenir les risques de rupture d’accès aux soins et de garantir la complétude des tableaux de présence dans les établissements de santé et en ville pour la permanence des soins ambulatoire (PDSA), quitte à procéder avec les préfets à des réquisitions sur les gardes les plus tendues – notamment sur la période du 14 juillet au 17 août. Nouveauté de l’instruction 2025, les ARS doivent s’astreindre chaque jeudi à une remontée d’informations en direction de Paris.
Serrage de vis et lassitude
Malgré ce travail d’anticipation (lire aussi page 12), plusieurs facteurs présentent des risques de fragilisation du système de santé. Outre l’aléa climatique, les tutelles sanitaires doivent composer avec un contexte économique particulièrement contraint. Jusqu’en 2025, les ARS avaient l’habitude de distribuer chaque été des financements exceptionnels pour mettre de l’huile dans les rouages hospitaliers, à la faveur de mesures RH temporaires : mobilisation des étudiants et des retraités, heures supplémentaires, compensation de l’absentéisme et des taux de vacance, etc. Or l’instruction faite mi-juin aux agences est recentrée sur l’effort de coordination territoriale. En parallèle, Matignon a prévenu. Le suivi de l’exécution budgétaire des dépenses relatives aux achats, au personnel et à l’intérim doit être « resserré » tandis que la progression de ces postes de dépenses doit être « maîtrisé[e] sans attendre », écrivait fin avril François Bayrou aux ARS. Le message est clair : il n’y aura guère de marge de manœuvre.
Le SAS nous aide mais beaucoup de structures restent des coquilles vides
Dr Marc Noizet, président de Samu-Urgences de France
Au regard du « risque sérieux » de dépassement des dépenses maladie (Ondam) pour 2025 pointé mi-juin par le comité d’alerte, ce serrage de vis touche aussi la médecine de ville, ce qui durcit le climat estival. Gel de six mois des revalorisations, nouvelle campagne de contrôle des arrêts de travail, conflit sur les avenants Optam [options de pratique tarifaire maîtrisée] pour les spécialistes : la colère est montée d’un cran chez les libéraux, au point que certains syndicats prêchent pour la grève des gardes. Même si d’autres structures (SOS médecins, centres éphémères de soins non programmés, etc.) sont présentes en renfort, l’été 2025 reste marqué par un risque de lassitude et de désengagement.
Au risque d’une déstabilisation de l’accès aux soins ? Président de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP), Lamine Gharbi est aux premières loges. « Cela fait vingt ans qu’on est mobilisés tous les étés, c’est compliqué comme chaque année, constate-t-il. La nouveauté, et je le regrette, c’est le désengagement de la médecine libérale. Avant, les cliniques ne s’occupaient pas des plannings de garde, les libéraux géraient cela entre eux. Aujourd’hui, nous sommes obligés de salarier des praticiens pour tenir la barque à flots ». Joint par Le Quotidien, le nouveau président de l’Ordre national des médecins ne cache pas ses inquiétudes. « Je n’ai jamais eu autant de consœurs et confrères, de tous exercices, qui sont au bout du bout de ce qu’ils peuvent faire », confie le Pr Stéphane Oustric au Quotidien, comme un avertissement aux tutelles.
Le Dr Marc Noizet, président de Samu-Urgences de France alerte lui aussi sur le risque de « trous dans la raquette » de la prise en charge des soins cet été, y compris en journée. « On ne partage pas l’assurance du ministère de la Santé, insiste-t-il. Le SAS nous aide mais beaucoup de structures restent des coquilles vides. Et une majorité de patients continue à accéder librement aux urgences ».