Se sentir utile, tel est le vœu de Clara Pujol, infirmière de 26 ans : « Je veux servir une cause durable avec les moyens que je connais, en apportant de l’aide à l’Afrique ». Diplômée en 2019, la jeune femme a exercé dans une clinique à Toulon en viscéral puis en soins continus, avant de déménager à Paris pour travailler à l’Institut mutualiste Montsouris en réanimation. Ouverte sur le monde, Clara rêvait depuis des années de travailler sur l’un des deux navires-hôpitaux de Mercy Ships. Mais il lui fallait améliorer son niveau d’anglais et économiser pour payer son billet d’avion. L’infirmière est arrivée le 20 octobre à Tamatave (Madagascar), où l’ONG a amarré l’un de ses deux bateaux, l’Africa Mercy. Dans ce pays où quatre Malgaches sur cinq vivent avec 2,15 dollars par jour, selon la Banque mondiale (2023), moins d’un habitant sur trois a accès à une chirurgie dans les deux heures et seul un sur dix est couvert par un mécanisme d’assurance santé. La majorité doit donc payer l’hôpital avant d’être soigné, ce que beaucoup ne peuvent pas se permettre.
Former les médecins locaux
Autre provenance, autre histoire. Chirurgienne pédiatrique et maxillo-faciale à l’hôpital de Thiès, au Sénégal, la Dr Alida Sidi, dynamique Camerounaise de 36 ans, a eu vent de l’ONG en 2020, quand Mercy Ships a noué un partenariat avec son établissement. « En 2022, quand le bateau Global Mercy est revenu au Sénégal, nous avons reçu en dons de l’ONG des lits d’opération, des réfections de blocs mais aussi des formations sur le bateau à destination du personnel. Je faisais déjà de la chirurgie mais je n’étais pas satisfaite des résultats. J’ai donc intégré ce programme. » La Dr Sidi a reçu trois semaines de perfectionnement qui ont bouleversé ses pratiques.
« Prier avec les patients »
Entre la soignante occidentale qui connaît bien les matériels les plus performants et la chirurgienne africaine qui doit se débrouiller au quotidien avec « huit personnels pour trois blocs et trois spatules pour opérer », deux visions radicalement différentes de la médecine se côtoient. Mais les deux femmes partagent, comme tous les autres soignants volontaires, des valeurs de solidarité et d’attention aux plus vulnérables. L’ONG assume une sensibilité chrétienne et des cérémonies religieuses ont lieu sur le bateau. Clara Pujol se dit « heureuse de pouvoir prier avec les patients et les autres soignants », une situation aux antipodes de son quotidien en France.
Pour les professionnels occidentaux, vivre sur ce navire est un moyen de redonner du sens à leur métier
Pour les professionnels occidentaux, vivre sur ce navire, c’est surtout un moyen de redonner du sens à leur métier en vivant une expérience intense de rencontres. Pour ceux venant d’Afrique, c’est plutôt la possibilité d’apprendre d’autres pratiques avec des confrères au fait des technologies modernes.
Pour autant, comme toute organisation humaine, des crispations peuvent surgir entre bénévoles. « Tout comme le fer aiguise le fer, l’Homme s'aiguise au contact de son prochain », rappelle la Dr Alida Sidi, citant un proverbe chrétien. L’expérience médicale dépend alors beaucoup du soignant partenaire. La Camerounaise a été formée par le Dr David Chong, un chirurgien maxillo-facial australien très impliqué dans l’ONG avec qui le courant est très bien passé. « He is a funny guy ! », sourit-elle.
Une vie communautaire intense
Au quotidien, c’est la vie communautaire. Tout est mis au service des bénévoles, avec un immense restaurant-cantine, un café confortable, une boutique où ils peuvent se procurer des produits alimentaires, d’hygiène et d’entretien de base. La plupart des soignants viennent pour de courtes durées (deux semaines pour un chirurgien, 6 à 8 semaines pour des infirmiers de bloc opératoire) et dorment dans des dortoirs sans hublot. Mais les enfants de ceux qui se trouvent à bord depuis plusieurs moins continuent leur scolarité. Le plus âgé, fils du capitaine, a 17 ans. En classe de première, il reçoit des cours presque particuliers, avec en bonus la vue sur l’océan Indien.
Clara, pas gênée par la promiscuité, profite pleinement des ateliers hebdomadaires de graphe, de football, de ping-pong ou de lecture de la Bible. Elle travaille selon trois créneaux : 7 heures-15 h 30 ; 14 heures-22 h 30 ; 22 heures-7 h 30. Mais peu importe l’heure, son moment préféré n’est ni au bloc, ni au lit des patients. Il est sur le pont 3, au petit matin, lorsque les soignants dansent avec les enfants, ou l’après-midi, en plein air, quand ils jouent au tricycle ou font de la balançoire avec les plus jeunes. Car à Madagascar comme ailleurs, soigner s’arrête rarement au soin.
Mercy Ships recrute
Créé il y a quarante ans par des missionnaires américains, Mercy Ships est encore peu connu dans l’Hexagone. Sa section française existe depuis deux ans. L’ONG ambitionne de recruter 150 professionnels de santé francophones. Chirurgiens, anesthésistes et infirmiers de bloc sont particulièrement prisés, les deux paquebots Global Mercy et Africa Mercy ayant respectivement besoin de 650 et 450 personnes. L’équipe hospitalière dénombre jusqu’à 18 nationalités. L’Africa Mercy compte cinq blocs opératoires, des équipements performants en imagerie et en biologie, une pharmacie et un parc de 82 lits. Il est en capacité d’opérer 7 000 personnes par an. Le bateau quittera Madagascar le 2 décembre pour une réfection de deux mois à Durban (Afrique du Sud) avant de revenir à Tamatave mi-février 2025.
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