Chaos des urgences hospitalières, surchauffe des services pédiatriques ou des maternités, lits et blocs opératoires fermés pour manque de personnel, fuite des professionnels de santé : la crise de l’hôpital est généralisée. Les soignants tiennent aujourd’hui à bout de bras, un système hospitalier à bout de souffle. À l’inverse des solutions collectives et participatives, qui auraient pu les fédérer autour d’un objectif commun, 20 ans de réformes successives les ont progressivement écartés de la gestion et des décisions stratégiques. C’est dans ce contexte de crise sans précédent que le président de la République Emmanuel Macron a présenté ses vœux au monde la santé. Pour la première fois, il a appelé à installer un « tandem administratif et médical » à la direction des hôpitaux et à sortir de la tarification à l’activité (T2A).
Si la crise sanitaire a mis en lumière l’impérieuse nécessité d’une refonte globale du système de santé, elle a surtout dévoilé un mal bien connu en France, hérité de la tarification à l’activité (T2A) : la pression productiviste exercée par la gouvernance hospitalière. Le prisme de l’hôpital-entreprise s’est imposé avec sa logique destructrice du « faire toujours plus, avec toujours moins ». Soigner, devenant un véritable rocher de Sisyphe. Le baromètre santé Odoxa-MNH, publié en septembre 2022, sur le quotidien des soignants à l’hôpital, en est le parfait exemple. La gravité des problématiques rencontrées par les professionnels est incontestable : dégradation de leur état de santé, découragement, insatisfaction au travail et troubles psychologiques. Les raisons de ce profond mal-être bien plus important que les autres actifs français ? Un quotidien subi, une pression permanente, les désorganisations et un sous-effectif permanent, et surtout, le sentiment inexorable de mal réaliser son travail. Guidé par cet objectif de productivité, l’hôpital a maintenu un modèle organisationnel inadapté aux attentes des soignants. Les échelons hiérarchiques multiples et la rigidité des organisations ont contribué à entretenir le cercle vicieux de la perte de sens du travail, notion pourtant essentielle pour les nouvelles générations. En 2020, le rapport Claris dénonçait la rupture évidente entre le « terrain » et le « top management » de l’hôpital. La cosignature entre directeur et président de la Commission médicale d’établissement (CME) sur quelques domaines limités, ne modifiant pas réellement l’équilibre des décisions, se révélait alors totalement insuffisante.
Ces facteurs, conjugués à une politique salariale trop contrainte, expliquent la perte d’attractivité des hôpitaux et la fuite inédite des personnels.
Des solutions existent
Pourtant, des solutions existent pour répondre aux aspirations des professionnels de santé et redonner du sens à leur travail. Parmi celles-ci : « débureaucratiser » l’hôpital et favoriser l’autonomie du « savoir-faire » sont des leviers prioritaires, alors que 80 % des soignants interrogés se disent favorables à l’intégration des médecins dans la direction hospitalière. Ces aspirations ont d’ailleurs été concrétisées lors de la première vague de la pandémie, par des transformations immédiates : cellules de crise, processus de décisions s’écartant des schémas traditionnels, simplification administrative. Un management participatif, plus intuitif, s’est « naturellement » imposé autour des objectifs partagés de continuité des soins et de protection des personnels. Ce rééquilibrage temporaire a démontré qu’une organisation plus agile était possible et qu’elle était l’unique solution pour faire face à l’imprévisibilité du virus. Un « pas en avant » qui marque cependant un point de non-retour. Une prise de conscience collective s’est opérée quant au rejet d’une gouvernance exclusivement gestionnaire. Partout, la nécessité de repenser les organisations a émergé.
Véritables sources d’inspiration, les Centres de lutte contre le cancer (CLCC) proposent un modèle de cogestion médico-administrative unique en France : ils sont dirigés par un directeur général médecin, secondé par un directeur d’hôpital administratif. Sa force : garantir une légitimité de la gouvernance et l’adhésion du personnel à sa stratégie. Issue d’une révolution managériale impulsée au cours des années 2000, à contre-courant des réformes tendant à renforcer la bureaucratisation hospitalière, ce management pragmatique permet de concilier stratégie médicale, adhésion du collectif et culture de gestion. Une singularité qui correspond mieux aux attentes des nouvelles générations en quête de sens, de transparence et souhaitant être en phase avec les valeurs de leur employeur. Aujourd’hui, la direction médicale est largement plébiscitée par les professionnels des CLCC, comme en témoigne une enquête réalisée par Unicancer en mars 2021, auprès des médecins des centres. Elle constitue pour eux l’un des trois attraits des CLCC, aux côtés du climat de travail et de la facilité d’organisation. La proximité des directeurs et leur expertise reconnue sont des facteurs déterminants d’agilité et d’attractivité auprès des professionnels.
Précisons enfin que la cogestion médico-administrative est souvent la norme à l’étranger. En Norvège, un tiers des hôpitaux sont dirigés par des médecins. L'hôpital John Hopkins et la Mayo Clinic le sont également. Citons aussi le Québec, où la cogestion est en place depuis 2015 et enfin le Danemark, pays européen où les médecins sont les plus engagés dans la gestion. Gage de convergences des compétences et des légitimités, ainsi que de consensus quant aux contraintes systémiques, la cogestion fédère les valeurs de tous, autour d’un but commun. Pour autant, ce n’est pas une formule magique. Elle implique que les « cogestionnaires » établissent mutuellement des balises concernant les rôles de chacun, qu’ils « s’apprivoisent » à̀ l’interdépendance et que les médecins dirigeants soient formés à la gestion. En tout état de cause, la cogestion équilibrée est une étape souhaitable vers la réconciliation des différentes cultures de l’hôpital. Elle permettra de bâtir un leadership légitime, favorisant l’engagement de l’ensemble du collectif hospitalier. Une évolution porteuse de progrès pour des professionnels de santé en quête de sens, un des remèdes possibles à la crise de l’hôpital.
La pandémie aura été le catalyseur d’une crise qui couvait. Elle a mis en lumière l’importance vitale d’un service hospitalier mobilisé et engagé au service de la nation. Il est dommage que nous n’ayons pas su rebondir sur cette fantastique dynamique qui aurait dû être suivie par un dialogue constructif couvrant l’échelle complète des acteurs de soins. Au final, les problèmes sous-jacents ont émergé à vif. Le modèle des CLCC reste incontestablement dans l’actualité.
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(1) Directeur général du Centre de lutte contre le cancer Antoine Lacassagne de Nice, Fédération Unicancer
(2) Directeur de cabinet de la Fédération Unicancer
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