Les déserts médicaux qui avancent ne frappent pas que le continent. Parmi les prochaines victimes programmées, les habitants de l’île de Bréhat (Côtes-d’Armor) qui recherchent, depuis mi-avril, « un médecin généraliste, prêt à partir à l’abordage » de cette « petite île bretonne de 400 habitants, à 10 minutes du continent, île sans voiture, (qui) vous accueille avec ses paysages maritimes et fleuris, son microclimat et ses dimensions à taille humaine », peut-on lire sur la petite annonce postée sur le site de la mairie.
De fait, après douze années de bons et loyaux services rendus à la population bréhatine, le Dr Yves Trimaille, 62 ans, unique généraliste du « caillou », a décidé de larguer les amarres. À partir de septembre, son épouse et lui-même partiront voguer vers de nouveaux horizons. Leur cap est fixé sur l’Occitanie, où le généraliste sexagénaire ira remplacer un confrère dans un petit village rural dans le Tarn-et-Garonne.
Mais en attendant, le généraliste et le maire de l’île, Olivier Carré, se retroussent les manches pour tenter de lui trouver un remplaçant. Les arguments pour attirer la perle rare ne manquent pas même si, pour l’heure, la pêche est plutôt maigre, reconnaît le praticien d’origine franc-comtoise.
Bréhat, c’est une famille, on vit tous ensemble
Dr Yves Trimaille, médecin généraliste
« La vie à Bréhat, c’est magique pour les enfants quand ils sont petits », s’enthousiasme Yves Trimaille. C’est l’une des raisons qui l’ont conduit à tenter l’aventure de l’exercice insulaire. À titre de symbole, « l’école est petite mais la cour de récréation est très grande », sourit le généraliste qui parle en connaissance de cause. Sa fille, qui poursuit des études supérieures, était tout juste en âge d’intégrer la classe de primaire de l’île, lorsqu’il y a posé sa sacoche. Autre avantage, zéro problème de sécurité. « À Bréhat, les gamins peuvent faire des activités au grand air sans risque, d’autant qu’on n’y circule qu’à pied ou à vélo », souligne ce passionné du ballon rond, qui coache aussi les jeunes locaux.
Médecin propharmacien
Mais à quoi ressemble le quotidien du Dr Trimaille ? Confidence d’expert : la vie à Bréhat, qui abrite 80 % de résidences secondaires, est rythmée par sa saisonnalité. Hors saison, « nous sommes environ 400 habitants mais durant les vacances et en période estivale, la population est multipliée par dix. À partir de là, l’activité est complètement modifiée », témoigne le médecin de famille. En sus de son rythme habituel, il faut gérer les consultations imprévues et les urgences potentielles de 4 500 personnes. Mais en définitive, rien de si différent de ce que connaît un généraliste du continent, rassure-t-il.
En période creuse, les journées suivent un agenda bien rodé. Prises de sang et interventions matinales à la maison de retraite (47 résidents), dont Yves Trimaille est sans surprise le médecin coordonnateur. Puis, retour au cabinet pour les consultations sans rendez-vous, entre 10 heures et midi, tous les jours sauf le dimanche. Passé le déjeuner, le généraliste qui fait ses visites à vélo, « sans assistance électrique », précise-t-il, joue aussi le rôle de dispensateur en tant que propharmacien. Les pharmacies les plus proches se situant sur le continent à Ploubazlanec ou à Paimpol, distante d’environ huit kilomètres, le généraliste a obtenu une dérogation de l’ARS qui l’autorise à délivrer directement les médicaments nécessaires à ses patients. Ensuite, reprise des consultations classiques au cabinet entre 17 et 18 heures (tous les jours sauf le week-end). « Il y a aussi la charge de la permanence de soins. On est de garde tout le temps, toutes les nuits… », confie Yves Trimaille. Le matériel d’urgence est gardé à la caserne des pompiers de Bréhat.
S’autorise-t-il à prendre des vacances ? « J’en ai pris très peu, confie-t-il. Mais il est toujours possible de se faire remplacer. La difficulté, c’est que le remplaçant doit intégrer certaines choses, comme la propharmacie ».
Martingale du binôme
Malgré quelques contraintes, le Dr Trimaille juge qu’il est parfaitement possible d’articuler la responsabilité pleine et entière de cet exercice médical insulaire avec des plages de détente en dehors de l’île. Une suggestion d’organisation du travail qu’il partage avec ses successeurs potentiels. « Certains de mes prédécesseurs fonctionnaient presque en binôme. Ils avaient un remplaçant régulier et travaillaient trois semaines à Bréhat, puis partaient quinze jours et ainsi de suite », confie le médecin de famille. Ce dernier y voit le double avantage de maintenir la proximité avec les patients tout en gardant une distance salutaire.
« Bréhat, c’est une famille, on vit tous ensemble, prévient le généraliste. L’entre-soi est un peu à double tranchant. En cas de difficultés, les choses s’amplifient et il faut arriver à gérer cela ». La commune met à disposition du prochain médecin une « très belle maison de cinq pièces » et le cabinet médical attenant, rappelle le maire. Quant à Yves Trimaille, même si sa décision est prise, il avoue sans difficulté qu’après douze années de vie sur l’île, il lui sera difficile de quitter sans se retourner ce diamant de la côte bretonne.
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