LE QUOTIDIEN : Il y a trois ans, vous avez été très critiqué pour avoir référencé sur votre plateforme des professionnels aux pratiques “alternatives”, comme des naturopathes. Avez-vous fait le tri comme promis ?
Stanislas Niox-Chateau : Il y a trois ans, nous avons pris la décision de ne référencer sur notre plateforme que les professionnels de la santé avec des numéros de référencement RPPS ou Adeli. Depuis, nous vérifions systématiquement l'identité et le numéro d'enregistrement de chaque soignant, qu'il soit médecin ou non, à l'aide de sa carte CPS. Cela a conduit à la désinscription de 5 700 personnes.
La médecine esthétique connaît un essor considérable. Récemment, des dermatologues ont alerté sur la confusion entre professionnels agréés et non-agréés sur des plateformes comme la vôtre…
Sur Doctolib, il n'y a que des praticiens référencés. Après, chaque praticien reste libre du contenu qu’il met sur sa fiche de présentation, puisque c'est son droit. Par contre, nous avons des équipes de vérification et de validation pour renforcer ce contrôle. Nous travaillons aussi étroitement avec les Ordres pour que le contenu des fiches soit le plus proche possible de la réalité. Après, nous n’avons ni la compétence ni la qualité pour nous substituer aux conseils de l’Ordre en charge des règles que nous appliquons à la lettre.
C’est un élément de confiance important : nous travaillons pour que l’accès aux soins soit clair pour les patients. Mais notre objectif est aussi d’améliorer les conditions de travail des soignants - le temps de travail, la flexibilité – et de leur donner la capacité d'exercer de façon différente. L'informatisation a toujours été perçue comme un fardeau, une contrainte. Alors qu’en réalité, c’est l’inverse ! Les technologies devraient être libératrices, au service du soignant. C’est ce que Doctolib fait depuis dix ans. Et c’est pour cela qu’un tiers des soignants en France, dont la moitié des médecins libéraux, nous font confiance.
Certains médecins estiment que le taux d'annulation des rendez-vous de dernière minute reste très élevé. Que leur répondez-vous ?
Nous avons réussi à diviser par près de trois le taux de rendez-vous non honorés chez les soignants utilisant Doctolib : il est passé de 8/10 % à 2/4 %, selon les spécialités. Plusieurs facteurs expliquent cette amélioration. La première cause est l’oubli, nettement réduit grâce aux rappels automatiques par SMS et notifications. La deuxième tient aux difficultés d’annulation : pour les deux tiers de soignants non abonnés à Doctolib, il est souvent compliqué d’annuler un rendez-vous, les secrétariats étant fermés ou saturés.
Mais certains comportements incivils persistent. Pour y répondre, nous avons mis en place divers outils : possibilité de bloquer un patient indélicat, campagnes de sensibilisation… Dernière avancée : les soignants peuvent personnaliser leurs délais d’annulation. J’ajoute qu’un patient ne peut pas prendre plusieurs rendez-vous en même temps pour une même spécialité, et que des délais minimums sont imposés — sept jours chez les généralistes, par exemple. Notre priorité est de convaincre les deux tiers de soignants qui n’utilisent pas nos outils de franchir le pas, car c’est la meilleure manière de réduire ce fléau.
Justement, êtes-vous toujours réticent à la mise en place d’une “taxe lapin” pénalisant les patients indélicats ? Que pensez-vous de l’empreinte bancaire ?
Je ne souhaite pas que les médecins deviennent des agents administratifs, obligés de gérer des plaintes ou de négocier avec les patients. Ce rôle revient plutôt à la Cnam. Avant de sanctionner, il faut déjà généraliser les outils qui limitent les oublis, facilitent les annulations et réduisent les incivilités. Je le répète : cela permet déjà de diviser par deux ou trois les rendez-vous non honorés. Concernant l’empreinte bancaire, Doctolib n’est pas opposé à son utilisation. Mais je suis réservé sur son caractère obligatoire : certains patients n’ont tout simplement pas de carte bancaire. Si les soignants souhaitent cette option, nous l’intégrerons.
Votre plateforme a parfois été critiquée au sujet de la sécurité des données de santé, un enjeu considérable. Faut-il s’inquiéter ?
Nous avons été très peu critiqués sur ce point. Il faut distinguer deux notions souvent confondues : la confidentialité et la sécurité. La confidentialité concerne l’usage des données et leur propriété. Là-dessus, il n’y a aucune zone grise : depuis dix ans, nous considérons que les données appartiennent au patient et au soignant, et elles ne sont utilisées que pour les services rendus via notre plateforme. Les conditions d’utilisation sont claires et connues, tant pour les professionnels de santé que pour les patients.
Côté sécurité, il faut toujours rester humble. Mais nous avons investi à un niveau jamais atteint dans le numérique en santé en France Nous avons mis en place un chiffrement des données au repos, en transit et, dans certains cas, de bout en bout. Ce n’est qu’un élément parmi d’autres : double authentification, sécurisation des hébergeurs, du trafic, des comptes… Nous appliquons des centaines de mesures de sécurité, en lien étroit avec la Cnil, l’ANSSI et les autorités compétentes. Je ne connais pas, en France, un système dans la santé qui possède un niveau de sécurité supérieur au nôtre.
Mais vos données sont stockées sur des serveurs du géant américain Amazon…
Concernant l’hébergement, les données sont effectivement stockées chez Amazon Web Services, mais uniquement dans des centres situés à Paris et Francfort, conformément aux exigences d’hébergement de données de santé validées par les autorités. Nous avons aussi mis en place une clé de déchiffrement chez Atos, acteur français, ce qui empêche toute application du Cloud Act américain. Ce point a été tranché favorablement par le Conseil d’État.
Doctolib a lancé un assistant vocal pour les médecins. Quelles sont les prochaines étapes pour intégrer l’IA dans vos services ?
Notre ambition est que les soignants ne perdent plus une minute avec des tâches non médicales. Notre assistant vocal de consultation est la première étape. Codéveloppé pendant un an avec des médecins, il a été lancé fin octobre. En quelques mois, il a déjà assisté plus de deux millions de consultations. L’assistant retranscrit, synthétise et structure la consultation (anamnèse, examen, diagnostic, traitement), puis remplit automatiquement le dossier patient avec des données codifiées. Le gain de temps est impressionnant, jusqu’à six à sept minutes sur une consultation de 15 minutes, mais l’impact va au-delà : les médecins nous disent qu’ils sont plus à l’écoute, plus empathiques et moins fatigués.
Notre modèle, entraîné avec la connaissance médicale française et adapté à la langue et aux accents régionaux, est sans doute l’un des plus performants. Nous l’étendons progressivement à toutes les spécialités : psychiatrie, dermatologie, gynécologie, cardiologie… En mai, nous lançons deux nouveautés : un assistant pour la rédaction automatique de courriers médicaux (lettres d’adressage, comptes rendus), à partir du dossier patient ; et une dictée vocale de nouvelle génération, plus rapide, précise et économique, intégrée au logiciel métier, sans avoir à faire du copier-coller. Cela ne remplace pas les assistants ou secrétaires médicaux. Au contraire, cela les recentre sur leurs missions essentielles : accueil, urgence et appui aux soins.
Pour la première fois, cette année, nous serons à l'équilibre
Quel est votre chiffre d'affaires ? Après dix ans, êtes-vous rentable ?
Notre chiffre d’affaires se situe autour de 300 millions d'euros. Chaque euro gagné est réinvesti. Pour la première fois, cette année, nous serons à l'équilibre et ce n'est pas mal ! Nous ne sommes pas fous : pour innover, il faut investir. L’investissement technologique représente par exemple 100 millions d’euros par an. Il faut aussi recruter des ingénieurs, des experts en IA… Il n’y a pas de secret. Aujourd’hui, la majorité du capital est détenue par l’équipe de Doctolib et des soignants qui ont investi à nos côtés. Nous n’envisageons pas de levée de fonds car nous tenons à rester indépendants.
Comptez-vous augmenter le prix de base de votre abonnement ?
Côté tarifs, nous les avons augmentés deux fois, en 2021 et 2023, dans un contexte inflationniste. Cette année, ce n’est pas prévu. Nos prix sont accessibles en ligne. Ils varient selon les professions et les services choisis. Notre logiciel médical et financier coûte entre 150 et 200 euros par mois, un tarif équivalent à celui de nos concurrents. À cela peuvent s’ajouter des options : téléconsultation (79 euros), gestion du secrétariat et prise de rendez-vous en ligne (139 euros), assistant vocal (79 euros). Un professionnel qui prend l’ensemble débourse un peu moins de 500 euros par mois. Chaque nouvelle solution est tarifée au plus juste, en fonction du coût de développement. Dans tous les cas, ce que nous proposons reste moins cher que ce que les soignants utilisent déjà.
1987 : Naissance à Paris
2004 : Bac S et fin de sa carrière de tennisman suite à une blessure grave
2006 : Entrée à HEC
2009 : Arrivée dans un fonds d’investissement (Otium) où il développe le site La Fourchette
2013 : Cofondation de la société Doctolib avec trois associés et la participation de 50 praticiens partenaires
2014 : Levée d’un million d’euros pour développer la start-up
2023 : Doctolib fête ses 10 ans
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