C’est l’une des missions obligatoires des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) : réduire le nombre de patients privés de médecin traitant dans leur bassin de vie. Pour relever ce défi complexe, tant la pénurie médicale sévit partout en France, ces collectifs de libéraux qui maillent désormais la quasi-totalité du territoire se sont logiquement d’abord appuyés sur l’offre de soins existante, en essayant d’optimiser les ressources avec les moyens du bord.
Le premier objectif a été de recenser les patients sans médecin traitant (et en quête d’une solution) et les médecins généralistes susceptibles de les accepter. Pas si simple lorsque les agendas sont surchargés : sur ce plan, la CPTS Nord Toulousain (Haute-Garonne), qui totalise 95 omnipraticiens installés, décrit une situation difficile. Parmi les 24 communes couvertes (pour une zone de 100 000 habitants), plusieurs d’entre elles ne disposent déjà plus de médecins de famille. « Et 25 % des généralistes ont un projet de départ à la retraite dans les deux ans », a expliqué Abdallah Latrous, coordinateur de la CPTS, lors des Journées nationales des communautés territoriales, en octobre, à Tours. Or, en contractualisant avec l’Assurance-maladie, le pool s’est engagé à trouver sur l’année un médecin traitant pour 219 patients fragiles (ALD, plus de 70 ans, bénéficiaires de la C2S), ce qui équivaut à 2,3 patients supplémentaires pour chaque médecin installé. Afin de recenser le nombre de généralistes en capacité de prendre de nouveaux patients « immédiatement ou dans les six mois », la CPTS a élaboré un questionnaire de disponibilité envoyé à l’ensemble des praticiens du territoire. Par ailleurs, une campagne d’affichage de recherche « médecin traitant » a été lancée en septembre 2023 dans les cabinets des infirmiers, des pharmacies ou des laboratoires de biologie. « Cette campagne a duré quelques mois, avec un numéro de téléphone où les patients sans médecin traitant peuvent nous joindre », explique le coordinateur. La CPTS a pu trouver des médecins référents pour 95 patients en 2023, à peu près la moitié de l’objectif.
L’infirmière coordinatrice, tête chercheuse
Autre initiative élaborée, cette fois, par la CPTS Autour du patient 94 (Val-de-Marne), couvrant un territoire de 83 000 habitants avec 33 médecins adhérents : la création d’un « circuit » pour aiguiller les 421 patients en ALD dépourvus de médecin traitant. Sur le site de ce groupement de libéraux, un numéro de téléphone spécifique et un formulaire sont mis à disposition, permettant aux personnes ciblées, à leur entourage ou à des professionnels de santé d’adresser leur requête.
Nous sommes vite arrivés à saturation et nous avons dû créer des listes d’attente
Abdallah Latrous, coordinateur de la CPTS Nord Toulousain
Ensuite, une infirmière coordinatrice membre de la CPTS est chargée de contacter le patient afin de rassembler en amont les éléments administratifs et médicaux nécessaires (bilans, examens). « Une fois le travail réalisé, la coordinatrice cherche un médecin autour du domicile du patient. Si le généraliste accepte, l’infirmière prévient le patient et l’invite à prendre rendez-vous ou le fait pour lui », confie Elsa Brevet, coordinatrice de la CPTS. Dans ce projet, la communauté s’est engagée à ne pas proposer plus de cinq demandes par an aux médecins volontaires. « Ce dispositif marche grâce à une bonne connaissance des généralistes du territoire, à la co-construction et aussi à notre engagement à ne pas les sursolliciter ! », poursuit-elle. Résultat : 38 patients pris en charge sur les 81 prises de contact entre avril 2023 et avril 2024. « On ne pourra pas répondre à toutes les demandes en raison de la pénurie médicale », concède Elsa Brevet. Un goût d’inachevé partagé par la CPTS Nord Toulousain. « Notre offre ne répondra pas à 100 % des besoins, relève le coordinateur Abdallah Latrous. Nous sommes vite arrivés à saturation et nous avons dû créer des listes d’attente. »
Inverser la tendance
Du côté de la CPTS Val-de-Creuse (Indre), qui couvre un territoire de moins de 40 000 habitants, on mesure aussi l’étendue de la tâche. Pour « repérer, recenser et trier » les patients prioritaires sur ce bassin de vie, l’organisation, qui compte seulement 13 généralistes, a élaboré un formulaire de signalement en 2022. En un an, 90 documents ont été traités, première étape avant de solliciter les confrères du secteur. « Et depuis que la caisse locale s’est chargée d’adresser directement ces formulaires aux patients, nous avons pu récolter jusqu’à 250 demandes », témoigne la Dr Laetitia Thoyer, généraliste à Saint-Gaultier et coordinatrice, qui reconnaît que ces actions utiles sont « fragiles ». « Il reste tellement de patients sans médecin traitant sur notre territoire… soupire la praticienne. Jusqu’à présent, nous parvenions à avoir une réponse positive de la part des confrères, en priorisant les demandes. Mais nous ne pourrons pas faire plus. »
Malgré les difficultés récurrentes liées à l’éloignement du soin et à la surcharge d’activité des généralistes, le travail de fourmi des collectifs de libéraux a permis d’inverser la courbe au niveau national. Selon la Cnam, le nombre de patients en ALD sans médecin traitant pour le seul régime général est passé en un an de plus de 710 000 à moins de 472 000 personnes grâce à cette campagne. Soit 238 000 personnes supplémentaires bénéficiant désormais d’un suivi médical.
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