LE QUOTIDIEN : Après la publication début juillet d’un rapport accusatoire de l’Igas sur la gestion d’Asalée, puis la décision du gouvernement d’un renouvellement transitoire de seulement quatre mois sous condition de réforme, vous avez dénoncé un « mensonge d’État ». La survie de ce dispositif est-elle en jeu ?
Dr MARGOT BAYART : Ce qui est en jeu, ce n’est pas tant la survie d’Asalée que celle du système de santé et de la Sécurité sociale ! Je suis convaincue qu’Asalée peut justement participer à surmonter la crise sans précédent que nous vivons avec une Assurance-maladie en quasi-cessation de paiement et un système de santé en souffrance.
Les ponts avec les tutelles ne sont pas rompus et les choses bougent lentement. J’étais encore en contact hier (lundi 28 juillet, NDLR) avec le directeur de cabinet de Catherine Vautrin. La Cnam nous a proposé une négociation dans le cadre de l’avenant à notre convention pour quatre mois. Nous demandons plutôt un avenant sur six mois pour travailler correctement sur les recommandations de l’Igas et préparer une nouvelle convention pour 2026.
Sur le fond, je ne vois pas comment le gouvernement pourrait se passer d’Asalée, qui mobilise 9 000 généralistes et près de 2 000 infirmières autour de patients chroniques. Si j’ai dénoncé un mensonge d’État, et même un scandale d’État, c’est parce qu’il y a eu ce rapport assassin de l’Igas qui met en cause la gouvernance d’Asalée pour mettre à bas le dispositif.
Justement, le ministère vous demande d’« assainir » votre gestion, de rendre votre gouvernance plus lisible… Allez-vous répondre à ces injonctions ?
Avec le réseau Asalée, nous avons fait « fois cent » en dix ans : nous étions à moins de vingt infirmières en 2014, on en compte 2 000 aujourd’hui ! Il est certain que ce déploiement massif doit interroger notre organisation et notre gouvernance. Si l’on veut relever durablement les défis du vieillissement, de la transition démographique et de la prévention des maladies chroniques, ce à quoi répond exactement Asalée, il est évident que notre statut associatif n’est plus adapté. La gouvernance, qui est gérée par des médecins, doit évoluer et ce travail est engagé ardemment avec des avocats et des juristes. Notre objectif est d’aller vers une société coopérative d’intérêt collectif [SCIC], un statut en adéquation avec ce qu’est devenue l’association Asalée de médecins et d’infirmières, travaillant avec des ingénieurs pour les fonctions support et de soutien. Nous devrions aboutir courant octobre.
Notre objectif est d’aller vers une société coopérative d’intérêt collectif
Mais ne nous voilons pas la face : il y a aujourd’hui une volonté ministérielle de mettre sous tutelle Asalée. On nous propose un « médiateur », qui serait en réalité un « contrôleur » pour appliquer les recommandations de l’Igas. Or, je le répète, si nous sommes capables d’entendre certaines critiques, il y a des accusations du rapport qui sont complètement mensongères. C’est pourquoi j’ai réagi violemment début juillet.
Absence de pilotage financier, conflits d’intérêts dans les marchés, confusion entre prestataires et direction : ces reproches de l’Igas sont-ils tous infondés à vos yeux ?
L’absence de pilotage financier, c’est faux, nous avons une comptabilité à l’euro près, avec des comptables assermentés et des audits réguliers. Quand on nous accuse de ne pas avoir respecté les appels d’offres, ou de conflits d’intérêts dans les marchés, c’est aussi n’importe quoi. Tout a été respecté. Quant à la confusion entre prestataires et gouvernance, elle n’existe pas : notre gouvernance est assurée par l’association composée de médecins et les prestataires choisis pour les fonctions support nous aident dans la mise en œuvre des décisions prises au sein du bureau.
Des lobbies puissants sont à l’œuvre, ce qui aboutit à des décisions à l’envers du bon sens
Aujourd’hui, le fonctionnement d’Asalée est assuré par un financement de l’Assurance-maladie à hauteur de 100 millions d’euros. Estimez-vous que votre réseau gêne certains intérêts ?
Oui. D’abord notre gouvernance originale qui appartient aux soignants dérange les tutelles qui aiment récupérer le pilotage. On l’a vu avec les hôpitaux. Notre liberté d’entreprise et d’initiative bouscule la Cnam qui cherche à accroître sa mainmise sur l’exercice des professionnels libéraux. On l’avait constaté lors des premières négociations autour de la convention médicale avec le fameux contrat d’engagement territorial (CET) marquant cette volonté de maîtriser au maximum notre activité.
Ensuite, le dispositif Asalée, à rebours des logiques productivistes de marché, permet au bas mot 10 % d’économies sur la consommation de soins. Nous avons donc une carte à jouer dans le contexte actuel mais il est certain que ces économies s’opèrent sur le dos de certains intérêts. Quand vous rendez les patients plus autonomes, que vous évitez du surpoids chez l’enfant ou de l’obésité, que vous faites beaucoup de prévention, vous perturbez l’industrie du médicament, du matériel et de la santé et vous avez un impact sur certains marchés qui se développent à grande vitesse… Des lobbies sont à l’œuvre, ce qui aboutit à des décisions à l’envers du bon sens.
Je rappelle qu’Asalée est une organisation privée à but non lucratif, au service du public et des patients. Contrairement à certains investisseurs, nous ne sommes pas un groupe financier qui cherche à marchandiser les soins primaires. C’est d’ailleurs ce qui plaît aux infirmières et aux généralistes engagés : le bien-être des soignants avec beaucoup de stabilité et très peu de turn-over. Si demain vous mettez ces soignants hors d’Asalée, ils retrouveront du travail. Ils ne sont pas inquiets pour leur travail mais le bien-être de leur exercice.
MG France a souhaité que vous vous mettiez en retrait temporaire de votre poste de première vice-présidente afin de pouvoir vous consacrer pleinement à l'avenir de l’association Asalée. C’était la bonne solution ?
Le syndicat MG France et l’association Asalée que je préside partagent les mêmes valeurs et la même vision du soin. Mais dans ce moment de tension, il faut savoir prendre des décisions permettant à chacun de mener ses combats, tout en restant dans la même direction de long terme. Je reprendrai le combat syndical et je le mène d’ailleurs toujours, au service d’une certaine idée du soin et de la santé.
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