À la veille d’une séance de travail entre la Cnam et les syndicats sur les modalités de la nouvelle campagne de contrôle des arrêts de travail, ce sujet sensible a fait l’objet d’un échange un peu vif entre Thomas Fatôme, DG de l’Assurance-maladie, et des généralistes inquiets réunis au Havre pour le congrès de MG France.
Estimant n’avoir pas été associée « en amont » avant le lancement de cette campagne, la Dr Agnès Giannotti, présidente du syndicat de généralistes, a décoché la première flèche en visant la procédure habituelle utilisée par la Cnam pour cibler les médecins. « Il s’agit de méthodes basées uniquement sur des algorithmes et qui risquent de pointer des praticiens le plus souvent consciencieux », a alerté la Dr Giannotti.
Face au DG de la Cnam, la cheffe de file de MG France a dit craindre que « l’Assurance-maladie n'ait pas mesuré le traumatisme dans la profession lié à la précédente campagne sur les IJ », en 2023, nombre de généralistes de bonne foi ayant dû s’expliquer longuement sur leurs prescriptions jugées excessives. « Je rappelle que le délit statistique est illégal et MG France n’acceptera pas que les médecins soient des boucs émissaires des IJ », a mis en garde la généraliste parisienne.
C’est la raison pour laquelle, afin de soutenir les médecins, le syndicat lance l’opération « transparence IJ », en direction des assurés et des prescripteurs, « en réponse à l'offensive des caisses d'assurance-maladie sur les arrêts de travail ». Le syndicat y souligne les multiples causes d’augmentation des dépenses d’IJ que sont « la revalorisation des salaires », « le décalage de l'âge de la retraite » qui augmente l'âge des salariés, « la difficulté pour les généralistes de trouver les rendez-vous de second recours ou de chirurgie » pour leur patient, les « nombreux cas de souffrance morale au travail » ou encore « l'incapacité de l’Assurance-maladie à organiser rapidement la mise en invalidité d'un salarié dont tout le monde convient de l'incapacité ».
Je rappelle que le délit statistique est illégal. MG France n’acceptera pas que les médecins soient des boucs émissaires des IJ
Dr Agnès Giannotti, présidente de MG France
Dans la salle électrisée, la Dr Guylaine Ferré, présidente de MG France Rhône, a témoigné de la souffrance d’une consœur, « en larmes », lors de son passage en commission de pénalités à la suite d’une mise sous accord préalable (MSAP), jugée injuste. « C’est ma propre associée qui suit une population fragile, qui est accusée de délit statistique sans possibilité de s’expliquer. Devant la section sociale, elle s’est retrouvée en pleurs. Est-ce que c’est normal d’être en larmes ? », a-t-elle rapporté.
La syndicaliste a ensuite dévoilé un questionnaire qualitatif sur le vécu de 13 médecins ciblés par une MSAP. Résultat : 100 % d’entre eux ont déclaré avoir ressenti de l’anxiété au moment de prescrire un nouvel arrêt de travail. Pire, 60 % ont exprimé avoir eu des idées suicidaires ou des symptômes de burn-out, et plusieurs d’entre eux ont eu besoin d’un suivi psychologique. « Est-ce que c’est normal d’éprouver de l’anxiété pour prescrire un soin qui est l’arrêt de travail ? », a martelé la généraliste, sous les applaudissements de la salle. « Nous ne contestons pas le fond mais la forme », a précisé un autre médecin de famille lors du congrès.
700 médecins épinglés
Le directeur général de la Cnam s’est défendu de toute traque aux arrêts de travail, défendant sa méthode de ciblage*. « Moi, je ne parle de chasse aux IJ, je ne parle pas de sanctions (...) Dans une mise sous objectifs (MSO), on demande aux médecins de diminuer de 20 % leur nombre d’arrêts de travail par rapport à un profil de prescriptions. Où est la sanction ? », a interpellé Thomas Fatôme. « Oui, nous travaillons à une campagne de contrôle », assume-t-il. Mais ces contrôles ne concerneront pas seulement les prescripteurs puisque les entreprises et les assurés seront aussi sous surveillance.
Par ailleurs, souligne le patron de la Cnam, seuls 400 médecins avaient été mis sous objectifs et 300 autres en mise sous accord préalable pour leurs IJ, lors de la précédente campagne. « C’est 700 sur 48 000 médecins généralistes traitants. Je vous laisse faire le calcul », dit-il (moins de 1,5 %, NDLR). Des procédures de contrôle qui ont permis de dégager « 160 millions d’euros de moindre dépense pour la Sécu ». « Je préfère financer les médicaments innovants, l’exercice coordonné… », a-t-il plaidé. Ton grave, Thomas Fatôme a ajouté que l’Assurance-maladie n'a jamais été dans une situation financière aussi « difficile » (14 milliards de déficit en 2024, 16 milliards d'euros attendus en 2025 et encore 17,5 milliards d'euros en 2026) et ce, « sans perspective de redressement financier ».
« On sait bien que 60 % des dépenses sont liées au vieillissement de la population, aux conditions de travail. Mais pour 40 % on ne sait pas pourquoi
Thomas Fatôme, DG de la Cnam
Dans un contexte financier aussi dégradé, pour enrayer la dynamique des dépenses d’IJ, « 5 à 8 % par an », la Cnam a « la responsabilité » de s’assurer de la « pertinence » des prescriptions. « On sait bien que 60 % des dépenses sont liées au vieillissement de la population, aux conditions de travail. Mais pour 40 % on ne sait pas pourquoi. Il y a certes pleins de facteurs, mais 40 % c’est quand même beaucoup », a-t-il recadré.
Il y a deux ans déjà, plusieurs syndicats avaient crié au « flicage statistique » sur les prescriptions, lors du lancement de la campagne de contrôle. Les organisations avaient appelé les praticiens ciblés à refuser systématiquement la mise sous objectifs, qui revient selon eux à reconnaître déjà des prescriptions abusives et erronées d'arrêts de travail. La Cnam saura-t-elle déminer ce terrain toujours aussi sensible ?
* Pour la précédente campagne de contrôle, la Cnam avait ciblé les médecins « en fonction du volume de leurs prescriptions d’indemnités journalières par patient actif » (en âge de travailler), « le critère d’un volume important d’IJ prescrites n’étant pas retenu afin de ne pas pénaliser les médecins ayant une forte patientèle ». Plus précisément, avaient été sélectionnés les médecins prescrivant « au moins deux fois plus d’arrêts de travail par patient actif » en tenant compte de la structure de leur patientèle (comparaison avec leurs confrères de la même région à patientèle et zone d’exercice comparable avec standardisation des patientèles selon l’ALD, le sexe et l’âge et prise en compte de l’indice de défavorisation du territoire).
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