Le système de santé est-il menacé par la financiarisation qui, après les cliniques dès les années 2000 puis quelques spécialités comme la biologie médicale, gagne progressivement plusieurs pans du secteur ? Les cadres de la CSMF, réunis à Avignon, sont venus nombreux ce samedi matin 4 octobre pour en débattre, certains y voyant une opportunité, d’autres un danger réel pour l’indépendance et la qualité de l’exercice.
De fait, si ce mouvement de transformation du secteur sanitaire en « actifs financiers » – avec l’entrée de fonds d’investissement en quête de rentabilité – n’est pas nouveau, il a marqué des points ces dernières années dans l’Hexagone, y compris dans les soins primaires, au point d’inquiéter les autorités sanitaires, la Cnam ou les parlementaires. D’autant que le phénomène est déjà massif dans certains pays comparables : un tiers des centres de soins primaires privés en Suède et près de 20 % en Allemagne appartiennent à des fonds d’investissement.
Manque de transparence
Pour les procureurs de la financiarisation, les risques sont identifiés. Côté patients, la réduction de l'accès aux soins (par une hausse des coûts et des restes à charge, la fermeture de sites ou d'activités non rentables) mais aussi la dégradation de la qualité des soins liée à des logiques « comptables ». Dans un passé récent, les dérives du groupe Orpea ou de centres dentaires ou ophtalmologiques low cost ont illustré ce risque. Concernant les professionnels cette fois, cette financiarisation pourrait aboutir à une perte d'autonomie et de liberté (y compris de prescription) et un conflit de valeurs entre des logiques financières et professionnelles.
C’est d’abord l’opacité qui jette le trouble. « On ne peut pas dire que règne une très grande transparence sur les montages financiers », a estimé le sociologue Daniel Benamouzig, titulaire de la chaire Santé à Sciences Po, face aux cadres de la CSMF. Avec le risque de dérives spéculatives pesant sur l’offre de soins, certes difficiles à évaluer…
Dans ses trois derniers rapports charges et produits, l’Assurance-maladie a elle aussi sonné l’alerte. Et lors de cette table ronde à Avignon, le Dr Raphaël Veil, responsable adjoint du département des professions de santé à la Cnam, a insisté à nouveau sur plusieurs écueils liés à la financiarisation dont la dégradation de la qualité, un accès inégal aux soins et une perte de soutenabilité.
Caricatural ?
Ces craintes sont-elles pour autant fondées ? Sébastien Proto, PDG du groupe Elsan, un des leaders français de l’hospitalisation privée (217 établissements et centres, 7 500 médecins), dont le développement fulgurant s'est appuyé sur une pluralité d'investisseurs financiers, a appelé les médecins à sortir d’un débat « caricatural et faux ». « Moi, j’ai la Caisse des dépôts dans le capital à côté des fonds d’investissement (…) Si, dans la direction du groupe Elsan, je faisais primer la fameuse rentabilité sur la qualité des soins, j’espère que la Caisse des dépôts lèverait le doigt pour dire qu’elle n’est pas d’accord. » Et d’insister sur les indicateurs de qualité des soins de son groupe « supérieurs » à ceux de l’hôpital public et sur le « rôle clé » des cliniques Elsan dans l’accès aux soins, avec « deux tiers de ses établissements implantés dans des villes de moins de 60 000 habitants et un quart dans des villes de moins de 20 000 habitants ». « Si je n’avais pas mes actionnaires, il y a énormément d’établissements que je fermerais… », souligne-t-il.
Pour le patron d’Elsan, le besoin de financement structurel de la santé est l’argument massue. « L’Assurance-maladie très fortement déficitaire ne peut pas tout assumer. Or, les établissements privés ont besoin de capitaux pour moderniser leurs équipements, investir dans le numérique, ou développer la recherche ». CQFD ? De fait, en autorisant l'entrée de nouveaux capitaux, la financiarisation facilite la réalisation d'investissements lourds, par exemple l'acquisition d'outils d'intelligence artificielle permettant d'optimiser le temps médical.
Quand les radiologues reprennent la main
Lors du débat organisé par la CSMF, le sous-investissement chronique dans la santé en France, aggravé par l’absence de stratégie pluriannuelle, semble faire consensus. Ce qui ne signifie pas pour autant que la financiarisation soit la seule alternative.
De récents rapports d’expertise (IGF-Igas) ou du Sénat convergent vers la nécessité d’une régulation renforcée fondée sur la transparence et la préservation de l’indépendance médicale. « Dans les SEL (sociétés d’exercice libéral), les professionnels de santé ne participent pas aux décisions directement, a indiqué Alain Milon, sénateur LR du Vaucluse, par ailleurs ancien généraliste. Notre proposition est de faire en sorte que les professionnels de santé qui y travaillent puissent participer au processus de décision et garantir leur indépendance ».
Certains praticiens n’ont pas attendu pour se retrousser les manches et défendre leur indépendance professionnelle, à l’instar du groupe Vidi, réseau de radiologues et de radiothérapeutes libéraux indépendants. Selon son directeur général, le Dr Laurent Verzaux, les radiologues font face à plusieurs défis simultanés : baisse du nombre de praticiens formés, augmentation exponentielle de la demande de soins et ruptures technologiques majeures, comme l’arrivée de l’IA. « Dans ce contexte, nous avons besoin d’une transformation radicale de notre organisation professionnelle », plaide le radiologue.
Partage d’expérience entre pairs, catalogue de services, responsabilité sociétale… : le réseau Vidi sensibilise les radiologues déjà structurés à l’importance d’une organisation à l’échelle nationale. « Si on ne veut pas de transfert vers d’autres acteurs, on doit être capable de rentrer dans le jeu nous-mêmes, c’est-à-dire avoir des moyens financiers propres ».
Le principal syndicat de kinés libéraux appelle à la grève le 18 septembre
Ciblage des médecins prescrivant « trop » d’arrêts de travail : mise en cause, la Cnam détaille sa méthode
L’Académie de médecine veut assouplir les accès directs à certains spécialistes pour réduire les délais
Les maillages départementaux, échelons intermédiaires indispensables de l’attractivité médicale