À 77 printemps, le Pr Jean-Jacques Altman entame sa deuxième vie professionnelle. « Je ne voyais plus de malades depuis un an environ. Quand j’ai appris qu’un nouveau centre de santé parisien recherchait des professeurs de médecine retraités pas entièrement gâteux, j’ai spontanément proposé ma candidature », sourit celui qui a été chef du service de diabétologie de l’Hôpital européen Georges-Pompidou (AP-HP) pendant deux décennies. Prompt à l’autodérision, l’endocrinologue est ravi de rechausser les crampons. Tout comme la cinquantaine de praticiens à la retraite, pour la plupart anciens PU-PH, qui ont rejoint l’aventure du Centre de spécialités médicales Odon Vallet installé au sud de la capitale, dans le XIIIe arrondissement.
En six mois d’existence, la structure associative (qui vient d’inaugurer sa deuxième antenne parisienne cette mi-juin), a accueilli près de 500 patients et assuré quelque 800 consultations. En rhumatologie, gynécologie, dermato, ORL, oncologie… En tout, ce sont une quinzaine de spécialités, dont la médecine générale, qui sont présentes dans des locaux flambant neufs, où les tons à dominantes jaunes et bleus, apposés sur des murs à aplat blanc, contribuent à diffuser une atmosphère apaisante.
« Notre budget initial était d’environ un million d’euros », se souvient Jérémy Renard, cofondateur du projet avec le Pr Yvon Calmus. La grande majorité du financement (600 000 euros) provient de la Fondation Vallet, organisme de mécénat qui finance notamment des bourses d'études au mérite et sur critères sociaux. La ville de Paris a également mis la main à la poche pour un montant de 180 000 euros. Quant au conseil régional et l’ARS d’Île-de-France, les deux entités se sont toutes deux engagées oralement à participer au projet à hauteur de 100 000 euros chacune, détaille Jérémy Renard. Si, à terme, la formule s’avère convaincante, le centre espère exporter son modèle dans d’autres déserts médicaux.

Résumé des épisodes précédents. C’est par une rencontre fortuite en 2020 que le jeune entrepreneur grenoblois, venu du monde de la start-up, et l’hépato-gastroentérologue à la Pitié-Salpêtrière (AP-HP), récemment retraité, se lient d’amitié. À 65 ans, le Pr Calmus n’en a pas fini avec la médecine. Ni avec les patients.
Zéro contrainte administrative
Les deux hommes sont inquiets de la désertification médicale croissante à Paris et en Île-de-France. Près de 7,6 millions de Franciliens (62 % de la population) vivent en zone d’intervention prioritaire (ZIP), bassins de vie tellement mal en point qu’ils bénéficient des aides de l’Assurance-maladie et de l’État. Selon l’ARS, c’est même 96,3 % de la population qui vit dans un territoire insuffisamment doté en généralistes. Seuls 450 000 habitants bénéficient d’un accès à un médecin généraliste jugé satisfaisant par la tutelle régionale.
Dans ce contexte, Jérémy Renard et le Pr Yvon Camus ont eu une idée, pourquoi ne pas faire appel aux forces vives que constitue le bataillon des jeunes retraités de l’hôpital public, experts toujours verts, et avides de prodiguer des soins ? Odon Vallet est en passe d’être créé. Ce sera un centre de santé à la structure souple dans laquelle les médecins n’auront aucune contrainte administrative. « Concrètement, les praticiens nous disent le nombre de jours qu’ils veulent travailler dans l’année, 24 ou 48 jours, ce qui représente une demi-journée ou une journée par semaine, et on établit les plannings au mois », détaille Jérémy Renard. En secteur 1, en cumul emploi-retraite, les praticiens sont salariés du centre avec un forfait jour sur une base de 8 000 euros brut par mois en équivalent temps plein (ETP), ce qui équivaut à 400 euros brut par jour. Sous statut associatif loi 1901, donc non lucratif, le centre applique le tiers payant. Aucun dépassement d’honoraires. Aucun reste à charge pour les patients.
Au service du public
« J’ai pris ma retraite officiellement en 2015 », témoigne le Pr Jean-Christophe Mercier. « Quand j’ai su que ce centre ouvrait, j’ai trouvé le projet intéressant. Nous sommes majoritairement des PU-PH expérimentés qui ont envie de continuer à assumer un rôle au service du public », poursuit le pédiatre de 78 ans, qui avoue n’avoir jamais véritablement dételé. Au plus fort de l’épidémie de Covid, il s’était porté volontaire pour faire partie des équipes de vaccinations. Aujourd’hui, ce sont les problèmes d’accès aux soins qui le préoccupent. « Lorsque les gens sont malades et qu’ils ont des difficultés à trouver un médecin, on se doit de répondre présent. C’est peut-être un vieil engagement scout », s’amuse le Pr Mercier depuis la salle de consultation où il reçoit ses petits patients et leurs parents chaque mercredi. « Et je n’ai que du temps médical à leur consacrer. Ici, je n’ai à gérer ni les aspects administratifs, ni financiers », se réjouit celui qui a été, entre autres, chef de service des urgences pédiatriques de l’hôpital Robert-Debré (AP-HP).
Médecin et philosophe

À 69 ans, le Dr Said Honarfar, autre recrue d’Odon Vallet où il consulte deux jours par semaine, admet volontiers lui aussi qu’il fait partie de ceux qui ont du mal à décrocher. Ce qui a séduit ce médecin ORL d’origine iranienne qui partage son temps entre Bourges et Paris ? La souplesse du dispositif. « C’est une structure unique et atypique. C’est ma femme qui avait entendu parler de son existence en janvier à la radio. J’ai tout de suite adhéré », se souvient l’ancien praticien de l’hôpital de Bourges, à la retraite depuis deux ans. Ses consultations débutent à 9 heures, mais le Dr Honarfar est sur le pont dès 8 heures 30. Microscope, nasofibroscope… « Il faut décontaminer les appareils avant de recevoir les patients. À l’hôpital c’étaient les assistantes ou les infirmières qui le faisaient ». Même chose à la fin de la journée ou il faut compter aussi une demi-heure pendant laquelle le praticien plonge ses appareils dans des bains de solutions. Un quart d’heure, dans l’un, puis cinq minutes dans un autre… « Un peu comme quand on développait les photos avant le numérique », se remémore-t-il. Une corvée ? Non, c’est tout le contraire. « Je n’ai pas de problèmes financiers. J’ai repris pour avoir une activité sociale, j’aime le contact humain, si je n’avais pas fait médecine, j’aurai sans doute ouvert une librairie, pour échanger. C’est le sens de la vie. » Médecin ORL et philosophe.
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