À peine nommé à la tête d’un vaste ministère social englobant la Santé, Xavier Bertrand a tout de suite donné le ton : après une réforme «?HPST?» centrée sur l’hôpital, la deuxième partie du quinquennat s’intéressera à la médecine de ville. Mais le tandem inédit qu’il forme avec Nora Berra est attendu aussi sur d’autres dossiers.
Médecine de proximité » : tous les ministres, entrants et sortants, avaient ce mot à la bouche lundi lors de la passation de pouvoirs au ministère de la Santé, avenue de Ségur. « Le travail avec les médecins généralistes doit encore être approfondi », a conseillé Roselyne Bachelot à celle qui occupe désormais son bureau, l’immunologiste lyonnaise, Nora Berra. Pour Xavier Bertrand, en charge d’un portefeuille élargi du travail à la santé, c’est quasiment un leitmotiv. « Nous savons qu’il faut moderniser et faciliter l’exercice de la médecine de proximité, a-t-il martelé. La médecine de proximité a besoin d’attention. Notre système de santé marche sur deux jambes : l’hôpital et la ville, pas pour faire du surplace mais pour avancer. » Pas un mot, en revanche, pour l’instant, sur le rapport attendu d’Élisabeth Hubert sur cette même médecine de proximité.
Il y a un peu moins de deux mois, Xavier Bertrand, alors secrétaire général de l’UMP, avait déjà tenté de convaincre les cadres de la CSMF en congrès à Cannes. La réforme de l’hôpital avait été une urgence pour la première partie du quinquennat de Nicolas Sarkozy, la médecine de ville est désormais la priorité de la seconde, avait-il expliqué en substance. Pour faire un signe en direction des libéraux, le chef de l’État avait d’ailleurs, pour la troisième fois, convié à déjeuner huit médecins de ville en début de semaine dernière.
Les syndicats apprécient, bien sûr, toutes ces déclarations de bonnes intentions, mais réclament évidemment des « actes ». Les deux ministres devaient rapidement prendre langue avec eux. Ce qui sera aussi l’occasion de comprendre qui fait quoi. Il n’y avait plus eu de secrétariat d’État à la Santé depuis le début des années 2000. Nora Berra, bien que déjà secrétaire d’État aux aînés dans le précédent gouvernement, souffre certainement d’un déficit de notoriété. Xavier
Bertrand, tout boulimique de travail qu’il soit, devra apprendre à déléguer depuis la rue de Grenelle où il a déjà la lourde tâche de « mettre en œuvre tous les outils qui existent pour faire baisser le chômage de manière durable ». Roselyne Bachelot n’est pas complètement hors du champ puisque c’est elle qui devra boucler en moins de 18 mois le dossier du financement à long terme de la dépendance. En juillet, Nicolas Sarkozy avait assuré qu’il engagerait cette réforme « à la minute où la reforme des retraites serait finie?». Enfin, il ne faut pas oublier que François Baroin continue de présider aux comptes. Lors de la discussion du PLFSS, il avait jugé qu’en matière d’équilibre budgétaire, « l’année 2016 apparaît comme un horizon raisonnable, nous permettant de mettre durablement sous tension l’ensemble des sources de dépenses ».
1- Le DMP
La fin de l’Arlésienne ? Le DMP est aussi, d’une certaine manière, un retour aux sources pour Xavier Bertrand, puisque celui-ci a été créé par la loi du 13 août 2004. À l’occasion de l’adoption du texte, Philippe Douste-Blazy promettait alors un DMP pour tous en 2007. À la clé, 3,5 milliards d’euros d’économies par an. Aujourd’hui, soit tout de même presque six ans et demi plus tard, c’est à la fin de l’année que les premiers patients devraient pouvoir ouvrir leur premier dossier médical. En effet, la dernière relance du DMP en 2009 (soit la quatrième depuis 2004) a reposé sur des bases plus solides que ses versions précédentes. Et l’ASIP-Santé, (Agence des systèmes d’information partagés de santé) en charge de la conduite du dossier a travaillé sur du concret. En l’occurrence, les référentiels d’interopérabilité (pour que le dossier puisse être utilisé par tous les professionnels), et l’identifiant national de santé (pour permettre une clé d’entrée sécurisée pour l’assuré). À l’arrivée, donc, le DMP qui s’écrivait à l’origine avec un P comme « partagé » se prononce désormais avec un P comme « personnel ». Et Roselyne Bachelot, en quarante-deux mois passés avenue de Ségur, a assoupli la loi de 2004 en renonçant à imposer des baisses de remboursement pour les patients qui y seraient réfractaires. Hors de question, en revanche, pour les médecins de s’y soustraire. Pour autant, les ARS seront-elles toutes prêtes l’année prochaine pour tenir les engagements de la précédente locataire de Ségur qui s’était engagée à un déploiement progressif du DMP en 2011? La balle est aujourd’hui dans le camp du nouveau tandem en charge de la santé, mais la tenue d’expérimentations locales, via les « nouveaux Espaces numériques régionaux de santé » devrait constituer, en définitive, l’hypothèse la plus probable.
2- Le DPC
Et maintenant ? Hasard du remaniement, alors qu’Alain Juppé fait un retour au premier plan de l’exécutif, l’une des mesures phares de ses ordonnances de 1996, qui instauraient,
pour les médecins, une obligation de FMC assortie de sanctions, est sur le point d’évoluer. « Les professionnels de santé n’ont pas besoin d’être surveillés comme des enfants et que l’on vérifie s’ils ont bien effectué telle ou telle démarche de formation. » En une phrase, Roselyne Bachelot sonnait, en effet, il y a un an, le glas des crédits formation de la FMC obligatoire inventés par...Xavier
Bertrand ! Tandis qu’en juillet 2009, la loi HPST transformait la traditionnelle Formation Médicale Continue en DPC pour « développement professionnel continu ». Corollaire, en septembre dernier, les trois Conseils nationaux de FMC, devenus obsolètes dans le nouvel arsenal, fermaient leur porte, tout en laissant la maison en ordre pour leur successeur. En six ans d’existence, les CNFMC auront ainsi accordé leur agrément à 492 organismes de FMC.
Mais, sans faire (totalement) table rase du passé, le nouveau dispositif, privilégie aujourd’hui, sur le papier en tout cas, l’évaluation des pratiques professionnelles (EPP) à la FMC. Place donc à un Conseil national unique, composé : de représentants du ministère, de l’Ordre, de la HAS, de l’université, des syndicats, des
organismes de DPC et même d’usagers… La liste est longue.
Et s’il semble acquis que cette « FMC new look » sera désormais davantage recentrée sur l’évaluation des pratiques, le lancement de la fusée DPC achoppe toujours sur un problème de taille : les décrets d’application, dont on se souvient que les premières versions avaient suscité une levée de boucliers, ne sont aujourd’hui toujours pas publiés au JO. Ce sera, l’une des taches, pour le moins épineuse du nouveau « duo santé », d’accélérer le processus. Xavier Bertrand sera-t-il tenté de remettre le métier sur l’ouvrage ? Certains seraient tout prêts à le lui conseiller...
3- La démographie
Agir vite. Il s’agit certainement du dossier le plus urgent pour le tandem qui pilote désormais la politique de santé du pays. Avec une question immédiate. De quelle marge de manœuvre disposeront Nora Berra et Xavier Bertrand depuis que Roselyne Bachelot a fait retirer de sa loi HPST les dispositions contraignantes à l’installation ? En effet, depuis le mois de septembre, le contrat santé solidarité n’est plus. Syndicats seniors et jeunes médecins réclament certes l’instauration de dispositifs d’incitation à l’exercice dans les zones sous denses pour les médecins généralistes. Mais les différentes initiatives menées jusqu’ici, dont le fameux «?bonus?» Bertrand – majoration des actes de 20 % pour les généralistes qui exercent en groupe dans les zones à faible démographie – n’ont pas véritablement produit les effets
escomptés.
Le nouveau tandem pourra s’appuyer au moins sur un nouveau diagnostic de l’état des lieux de la démographie médicale. L’Ordre rend en effet public la semaine prochaine son nouvel Atlas de la démographie, avec un focus sur les quelque 10 000 remplaçants. Un nouveau pool de réservistes possibles ? D’autant que, phénomène nouveau, il apparaît qu’un nombre croissant de généralistes de 50 ans et plus se lancent dans cette forme d’exercice, après avoir dévissé leur plaque. Autre outil à mettre à profit: les ARS, qui vont plancher sur les Sross ambulatoires. Et les préconisations du rapport d’Elisabeth Hubert devraient logiquement être bientôt rendues publiques. Ces propositions devraient à tout le moins ouvrir des pistes de concertation et de dialogue entre pouvoirs publics et représentants de la médecine générale. Une option que le tout nouveau tandem Bertrand-Berra devrait a priori préférer à celle de la contrainte. A Cannes en septembre, Xavier Bertrand est en tout cas paru fidèle à ce qui fut sa doctrine en tant que ministre: les incitations plutôt que la cœrcition.
4- La bioéthique
Une loi à défendre au Parlement. Dès le début de l’année 2011, Nora Berra devra rejoindre le banc des ministres pour jouer une partition écrite par Roselyne Bachelot. Le projet de loi de révisions des lois de bioéthique a été adopté par le Conseil des ministres fin octobre. La nouvelle secrétaire d’Etat retrouvera celui qui était jusqu’au dernier jour pressenti comme ministre de la Santé, Jean Léonetti. Le député-maire d’Antibes est d’ailleurs en train de mettre sur pied une commission spéciale
qui comprendra 70 membres, désignés à la proportionnelle de chaque groupe politique. On se souvient que Roselyne Bachelot avait souhaité que les parlementaires s’expriment sur cette question, non pas selon leur clivage politique mais selon leurs convictions personnelles. À vrai dire, on ne connaît pas encore celles de la nouvelle secrétaire d’État. Parmi les sujets qui devraient le plus être objet de débat figure, sans nul doute, la levée possible de l’anonymat des donneurs de gamètes lorsque l’enfant issu du don le demande et que le donneur y consent. L’examen de ce projet de loi a déjà pris beaucoup de retard, initialement prévu pour la fin 2009. Il n’est cependant plus temps de tergiverser. Le régime d’autorisations à titre dérogatoire sur la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires arrive en effet à échéance au mois de février.
5- La maîtrise des dépenses
Maintenir le cap. Roselyne Bachelot aime à rappeler que c’est sous son ministère que l’Ondam (objectif des dépenses d’Assurance-maladie) a été respecté pour la première fois depuis 1997. À l’heure où les recettes pour la Sécurité sociale font défaut, la nécessité de tenir les dépenses est d’autant plus impérative. La hausse du C avait été « provisionnée » dans les deux derniers budgets de la Sécu, mais elle n’est jamais intervenue. À présent, le passage aux 23 euros doit enfin intervenir au 1er janvier avec presque trois ans de retard. Dans le même temps, l’Ondam de soins de ville pour l’année prochaine est toujours modéré à +2,8 %. Dans ce contexte, le pilotage des dépenses devra être serré pour rester dans les clous. Le Premier ministre a répété mardi devant les députés que « la priorité absolue c’est la lutte contre les déficits et la réduction de la dépense publique ».
Et aussi...
Introduite par amendement dans le projet de loi sur les retraites, puis invalidée par le Conseil constitutionnel, la réforme de la médecine du travail sera une des priorités de Xavier Bertrand, qui a annoncé qu’il présenterait rapidement un projet de loi spécifique.