Le syndrome de l’intestin irritable (SII) concerne entre 5 et 10% de la population, selon les critères de ROME IV. Bien que ce soit une pathologie commune, elle reste difficile à traiter. Les études sur le microbiote intestinal, encore très descriptives à l’échelle de populations, mettent en évidence des dysbioses chez ces malades, sans pour autant que celles-ci soient systématiques. « L’objectif à moyen terme est de typer les différents sous-groupes de SII, avec constipation, diarrhées ou mixte, en fonction de la présence ou non d’une dysbiose, explique le Pr François Mion, chef du service d'explorations fonctionnelles digestives de l'hôpital Edouard Herriot (Lyon), ce qui permettra éventuellement de personnaliser le traitement ». Si les résultats (très préliminaires) décrivant la diversité de la flore en cas de SII se contredisent souvent, l’espoir est entretenu par diverses publications résumées dans une revue systématique récente suggérant, dans le cadre du SII, l’augmentation de souches bactériennes délétères (familles Lactobacillaceae et Enterobacteriaceae, genre Bacteroides, etc.) et la raréfaction de souches à caractère bénéfique (Bifidobacterium, Faecalibacterium) (1).
Les polymorphismes des enzymes digestives à la loupe
Un autre angle de recherche dans le SII explore les polymorphismes génétiques des enzymes impliquées dans la digestion des sucres. Repérer des mutations incomplètement invalidantes à l’origine d’une activité enzymatique digestive plus faible chez les sujets SII serait pertinent pour un « diagnostic génétique ». « L’hypothèse en cours d’étude, détaille le Pr Mion, est la suivante : les régimes pauvres en sucres fermentescibles FODMAPS seraient moins efficaces chez les personnes SII ayant ces mutations des enzymes digestives et en particulier de la saccharase-isomaltase ».
D’autres équipes suivent la piste d’une modification qualitative et quantitative des acides biliaires provoquée par une dysbiose intestinale chez certains patients SII. Ce déséquilibre, avec une surabondance des formes secondaires et tertiaires d’acides biliaires, augmenterait la perméabilité intestinale, avec comme conséquence une hypersensibilisation des neurones sensitifs de la paroi digestive via l’activation d’une cascade immunitaire muqueuse.
Transplantation fécale, des promesses à tenir
La dysbiose de la flore intestinale jouant un rôle encore mal connu dans la physiopathologie du SII et dans la genèse des symptômes, des études en ouvert ont suggéré l’intérêt du transfert de microbiote fécal (TMF). Seules deux études randomisées sont parues à ce jour. Mais leurs résultats divergents modèrent l’enthousiasme envers cette technique. L’une d’entre elles (2), norvégienne, monocentrique, incluait 90 patients atteints de SII modéré à sévère, avec diarrhée ou souffrant de diarrhée et de constipation (à l'exclusion de la constipation dominante) (2). Les participants ont été traités par TMF en infusion colique. 65% de ceux recevant un traitement actif versus 43% de ceux recevant le placebo ont présenté une réponse à trois mois. Le second essai, danois, paru lui aussi en 2018, concluait à l’inverse que le placebo était plus efficace que la TMF en gélules, alors même que celle-ci avait permis de corriger la dysbiose de manière durable (à 6 mois) (3). Le fait que la correction de la dysbiose ne s’accompagne pas d’une amélioration symptomatique interroge. Par ailleurs, de nombreux aspects pratiques pourraient influencer les résultats, comme le type de SII des patients inclus, le recours à des donneurs multiples (versus un mono-donneur) voire à des super-donneurs avec une flore d’une grande diversité, la voie d’administration, le renouvellement des traitements, leur durée…. D’autres études sont donc nécessaires, et pour tenter d’y voir plus clair, une étude française randomisée multicentrique – ICEBOAT – débutera en France en 2020, financée par un programme hospitalier de recherche clinique. Son objectif est d’évaluer la TMF par gélules de selles congelées versus placebo chez des patients présentant une forme sévère de SII.
(1) Pittayanon R, Lau JT, Yuan Y, Leontiadis GI, Tse F, Surette M, Moayyedi P. Gut Microbiota in Patients With Irritable Bowel Syndrome—A Systematic Review. Gastroenterology 2019;157:97–108.
(2) Johnsen PH, Hilpüsch F, Cavanagh JP, Leikanger IS, Kolstad C, Valle PC, Goll R. Faecal microbiota transplantation versus placebo for moderate-to-severe irritable bowel syndrome: a double-blind, randomised, placebo-controlled, parallel-group, single-centre trial. The Lancet Gastroenterology & Hepatology 2018; 3: 17-24.
(3) Halkjær SI, Christensen AH, Lo BZS, Browne PD, Günther S, Hansen LH, Petersen AMFaecal microbiota transplantation alters gut microbiota in patients with irritable bowel syndrome: results from a randomised, double-blind placebo-controlled study. Gut 2018; 67: 2107-15.
(4) Zhou Q, Verne ML, Fields JZ, Lefante JJ, Basra S, Salameh H, Verne GN. Randomised placebo-controlled trial of dietary glutamine supplements for postinfectious irritable bowel syndrome. Gut 2019;68:996–1002