À trois semaines du scrutin pour les Unions régionales des professions de santé (URES), la rédaction du Généraliste a invité les leaders des quatre principaux syndicats de généralistes à venir confronter leurs points de vue. Ce débat, enregistré dans les conditions du direct le 2 septembre dans nos locaux, est diffusé en exclusivité sur notre site www.legeneraliste.fr. Morceaux choisis dans ce premier dossier sur les élections du 29 septembre et clés pour comprendre les enjeux de ce scrutin, qui ne ressemble pas tout à fait aux précédentes élections professionnelles.
Jeudi 2 septembre, 11 heures, dans les locaux ce la rédaction du Généraliste. Ponctuels et courtois, mais tout de même légèrement tendus les débatteurs sacrifient à la rituelle poignée de main. Puis, les quatre présidents de syndicat s’installent dans leur fauteuil respectif. Ce face à face inédit, animé par le directeur de la rédaction du Généraliste, Jean Paillard et le Directeur général, le Dr Philippe Leduc peut commencer… Pendant une heure et demie, vos leaders syndicaux vont s’expliquer sur le cadre d’exercice actuel des généralistes - la convention de 2005 -, mais aussi sur les enjeux de ces élections et sur la façon de répondre demain à la crise de la médecine générale.
Acte I : le bilan
Rapidement, la première partie du débat s’oriente vers le bilan de la convention 2005. La Csmf et le SML sont d’accords pour en assumer la paternité. Mais pas tout seuls, et pas en totalité. Comme le rappelle d’emblée le Dr Michel Chassang : « Cette convention n’a pas été signée par deux seuls syndicats, la Csmf et le SML, elle l’a aussi été totalement par MG-France et en partie par la FMF ». Et le chef de file de la Conf’ de distinguer ensuite deux parties dans la vie de cette convention. Pour ce dernier, il existe un avant et un après 2007, bref une convention en deux parties. « Une première entre 2005 et 2007 où les choses avançaient, mais ensuite elle devient totalement paralysée à partir de 2007, date qui coïncide avec les élections présidentielles et l’arrivée de Madame Bachelot au ministère de la Santé. Depuis il n’y a plus rien, pas de réforme de la nomenclature, aucune avancée des honoraires… »
Pour le président de la CSMF, le but de cette élection de 2010 est ailleurs. Au-delà du bilan de la convention de 2005, le problème est de savoir : quel signal allons-nous donner au gouvernement, aujourd’hui par rapport à cette politique dévastatrice pour l’exercice libéral, l’enjeu est là : avec qui allons-nous construire l’avenir et dans quelle direction ? ».
Une analyse que partage le second signataire conventionnel de la première heure, le SML. Pour son vice-président, le Dr eric Henry Henry, le bilan de cette convention 2005 est à l’évidence « mitigé ». Et « même si nous assumons notre signature », à son sens, on a par la suite dérivé de la philosophie initiale du médecin traitant. Et « il y a toute une catégorie de médecins qui a été oubliée par la réforme : les MEP et les spécialités cliniques. C’est sans doute le combat qui reste à mener. Car le danger, avec la définition du soin de premier recours tel qu’il s’annonce dans HPST, c’est que, in fine, les spécialistes et les MEP en soient exclus et que là, le médecin généraliste se transforme véritablement en un gate-keeper ». Celui qui délivrera les autorisations de consultations de spécialistes aux patients ?
Face à cette convention de 2005, pas question de porter le chapeau pour les représentants des deux autres syndicats, anti-convention de la première heure. Et ils renvoient à leurs responsabilités ceux qui l’ont paraphé dès l’origine. Claude Leicher explique qu’il n’a signé que pour porter l’avenant, celui de la permanence des soins ; le chef de file de MG France pose par ailleurs toujours un regard critique sur la réforme du médecin traitant. La philosophie du dispositif, pourquoi pas, évoque-t-il en substance ? Sauf que… « malheureusement, les concepteurs de la loi d’août 2004 ont pris les choses à l’envers. Les taches des généralistes se sont accrues, notamment les activités de coordination, les taches de synthèses qui ne sont pas rémunérées. Nous avons bien des forfaits médecin traitant pour les 6 % de nos patients qui sont en ALD, mais que percevons-nous pour les 94 % qui restent ? » La conclusion de Claude Leicher est sans appel : « la convention 2005 est un double échec. C’est la non-valorisation du médecin traitant et la diminution d’accès aux soins pour l’ensemble de la population ».
Et qui a oublié les médecins référents ? Curieusement, ce n’est pas Mg France qui lance le sujet, mais le coprésident d’Union généraliste. Et Jean-Paul Hamon d’interpeller Michel Chassang. « 2005, pour moi c’est tout de même une convention historique, où on a pu observer pour la première fois que deux syndicats la Csmf et le SML ont supprimé pour des raisons idéologiques, un avantage acquis, un forfait qui permettait à sept mille médecins de percevoir entre 15 000 et 50 000 euros par an. Pire ! Cette convention 2005 donne tout pouvoir aux directeurs de la caisse »…
Le clash entre les deux hommes est immédiat. « C’est absurde et ridicule, si les débats commencent ainsi… répond vertement le Dr Chassang. Et le Dr Henry vient à la rescousse. Qui l’eût cru ? Le vice-président du SML a été lui aussi médecin-référent… Et pourtant, il n’est aujourd’hui « pas dans la misère », car « il y a une désinstallation du système qui s’est faite sur trois ans, » plaide-t-il. D’ailleurs poursuit-il, « sur le fond il faut tout de même admettre qu’il y avait un effet d’aubaine avec l’option référent qui permettait de toucher de l’argent sur des gens qu’on ne voyait jamais de l’année. Je suis partant pour l’instauration d`autres types de forfaits, mais qu’on nous donne de l’argent pour des gens qu’on voit, et qui sont malades ».
Acte II : les enjeux
Dans la deuxième partie du débat, les invités du Généraliste devaient tenter de convaincre les généralistes d’aller voter pour leurs listes respectives et se positionner sur les enjeux - nationaux ou régionaux - de ce scrutin pour les Unions professionnelles.
Jean-Paul Hamon n'a toujours pas digéré « l'amendement Vasselle », qui après les élections aux URML de 2006, a privé les anti-conventions de s’opposer aux avenants conventionnels, en restreignant ce droit aux seuls syndicats représentatifs. À ses yeux, l’enjeu est donc avant tout national. : « la représentativité, ce n’est pas rien. Nous serons extrêmement attentifs à ce que la démocratie soit respectée. » Pour autant, le coprésident d’Union généraliste admet malgré tout, qu’avec les ARS, « il y a évidemment une part de régionalisation dans le scrutin qui s’annonce. On n’exerce pas de la même manière en Basse-Normandie ou en Ile-de-France ! »
Analyse inverse pour le SML où l’on fait de la dimension régionale le vrai enjeu de ce qui se jouera le 29 septembre. Preuves à l’appui dans l’Ouest où exerce le Dr Henry. « Je le vois avec l’ARS Bretagne qui s’est déjà attelée à l’organisation de la PDS, alors même que les élections n’ont pas encore eu lieu. C’est la stratégie du rouleau compresseur. Il faut donc une puissance importante pour être à même de s’opposer aux ARS. Quant aux enjeux nationaux, qui sont bien sûr présents, au moins le calendrier retenu fera que ceux qui signeront la future convention auront la légitimité des urnes ».
Pour sa part, Claude Leicher semble intéressé par les possibilités de contractualisation régionales avec les ARS : « notre perspective est d’ouvrir des espaces de liberté dans les méthodes de travail. Il y a des généralistes qui veulent travailler seuls, et qui le font très bien, d’autres qui veulent exercer en groupe, ou en maisons de santé pluridisciplinaires libérales… Il faut donner à chacun la possibilité d’exercer comme il l’entend. » Pour autant le leader de Mg France assure que les conventions nationales perdureront. un point de vue que développeront aussi les trois autres leaders syndicaux quelques minutes plus tard lorsque le débat s’orientera vers les Capis.
Michel Chassang joue pour sa part la carte du pragmatisme. Le président de la Conf’ se fait pédagogue : « Si l’enjeu du scrutin est double, il s’agit, je le rappelle d’élire des représentants régionaux dans de nouvelles structures, les URES, qui auront pour mission de représenter le corps médical au niveau régional et de contractualiser avec les ARS ». Mais au-delà, ce que promet le patron de la Csmf, si le score qu’obtient sa centrale syndicale est important c’est, ni plus ni moins, la renégociation de pans entiers de l’actuelle loi HPST. Dans son collimateur ? Les contrats de solidarité et la déclaration obligatoire de vacances pour les médecins. « L’annonce de leur suspension provisoire par Madame Bachelot ne nous intéresse pas. Ce que nous voulons, c’est que ces dispositions soient purement et simplement enlevées de la loi. À ce moment-là, seulement, nous pourrons dire que le danger est passé ».
Acte III : préparer l’avenir
Horaires démentiels, honoraires en panne, désaffection des jeunes… La crise de la médecine générale a bien évidemment été abordée dans le débat du Généraliste. C’est peut-être dans cette dernière partie des échanges que les contrastes apparaissent les plus marqués.
Credo comme il se doit libéral au SML. « La médecine de ville est encore aujourd’hui régie par des concepts anciens qui considèrent qu’un médecin doit être installé dans du béton et ne plus en bouger jusqu’à sa retraite. La jeune génération ne veut plus de cela », développe aussitôt le Dr Henry. Pour ce dernier, ce virage est à l’évidence sociétal. Et seule, l’apport d’un peu de souplesse et de flexibilité peut répondre aux aspirations des jeunes : « aller d’un cabinet à l’autre s’ils le souhaitent, d’exercer à l’entrée du service pré-porte d’une clinique ou d’un hôpital, ou encore de faire de la régulation de nuit. » A entendre le vice-président du SML, « il n’y a plus une, mais des médecines, et il est nécessaire de libérer le temps de travail, de libérer les gens de la chaîne qui les accroche au modèle-type du cabinet fermé. D’ailleurs, la Sécu et l’Ordre des médecins ont commencé à bouger sur ce sujet ».
Le constat que porte la Csmf est plus sombre. Chiffres à l’appui. Aujourd’hui « seuls 10 % des jeunes s’installent, et nos aînés n’ont plus qu’une envie : dévisser leur plaque », analyse, sur un ton grave, Michel Chassang. Pour ce dernier, les solutions pour enrayer ce phénomène sont plurielles, elles ne peuvent passer que par des mesures incitatives et l’amélioration des conditions d’exercice. Surtout pas par le politique du bâton : « on ne parviendra pas à forcer les médecins à s’installer là où ils ne le souhaitent pas, face à un cadre coercitif, ils choisiront des stratégies d’évitement ». Ce serait « la fin de la médecine de proximité, prévient-il.
Pour sa part, Jean-Paul Hamon estime que la véritable urgence pour une vraie réforme de la médecine générale passe par une réforme des études. Et il suggère que tout nouveau médecin fasse au moins un an en situation de responsabilité libérale, quel que soit son futur mode d’exercice ». Et le Dr Leicher d’inciter les médecins à monter leur propre projet : « mettez en œuvre un projet professionnel et MG-France vous accompagnera ».
Restaient au Capi à s’inviter dans le débat. Tous les syndicats sont-ils contre ce contrat individuel d’amélioration des pratiques individuelles ? Oui, tels qu’ils sont bâtis aujourd’hui. Hors de question que des directeurs d’assurance-maladie aujourd’hui, et d’Agences régionales de santé demain, puissent négocier individuellement des contrats de performance avec des médecins, s’accordent les participants. « Il est normal qu’un généraliste qui fait des efforts pour améliorer la santé de ses patients soit récompensé, mais le capi est mal construit parce qu’il mêle des indicateurs sanitaires et des indicateurs économiques, il ne faut pas mélanger les deux, » explique par exemple Claude Leicher. La Csmf est pour sa part, résolument contre, dans sa forme actuelle ; en revanche, si demain, ce type de contrat se retrouve inclus dans la convention, cela change tout, parce que dans ce cas, ils peuvent être négociés ». Par les représentants syndicaux, s’entend… Positions analogues au SML, car « il est hors de question que le directeur de caisse ou d’ARS ait tout pouvoir sur chaque médecin ». Pour autant, relève Jean-Paul Hamon, ce Capi (qu’il définit néanmoins comme « une véritable escroquerie »), devrait quand même rendre les syndicats médicaux modestes : « Nous avons été presque tous contre, ce qui n’a pas empêché quelque 15 000 médecins généralistes de le signer ».
Un constat en forme d’alerte et d’encouragement à dialoguer encore davantage avec le terrain à deux semaines du scrutin ?