Lors de mon stage aux urgences ce semestre, j’ai eu l’occasion d’accueillir plusieurs femmes victimes de viol. Le biais majeur étant que mes collègues internes, aussi géniaux soient-ils, ne se sentaient pas assez à l’aise avec ce sujet. Que dire ? Comment ? Une simple fiche rappelant les dépistages d’IST n’est pas suffisante lorsqu’on a une victime en détresse psychologique devant soi. Pour rappel, 12 % des femmes auraient subi un viol au cours de leur vie et, chaque année, environ 52 500 femmes et 2 500 hommes déclarent un viol.
Aucune victime que j’ai prise en charge n’a souhaité porter plainte. Nous, soignant•es, nous retrouvons dans une position compliquée : nous devons les encourager à porter plainte (sans quoi nous ne pouvons effectuer les prélèvements vaginaux) tout en respectant leur choix et leur rythme. J’ai été particulièrement marquée par une jeune patiente qui n’avait jamais eu de rapport avant ce viol. Au début, son seul souhait était de ne pas tomber enceinte et de ne pas avoir d’IST. Et surtout, que ses parents ne l’apprennent jamais. Le reste était minimisé : le fait qu’elle connaissait l’agresseur, qu’il ait attendu qu’elle soit alcoolisée à la limite de l’inconscience, qu’il soit majeur et elle non, l’absence de consentement, le retrait du préservatif, la violence… Elle s’accusait d’être responsable de la situation : « j’ai peut-être envoyé les mauvais signaux, je n’aurais pas dû boire ». Non. Mais surtout, elle pensait que le sexe devait ressembler à ça, et être douloureux.
Cette personne est revenue plus tard, nous avons encore discuté et elle m’a remerciée de ce que j’avais fait pour elle. Et pourtant, à chaque fois, je me sens tellement impuissante, tellement limitée, et tellement en colère aussi.
Mais ce sont des moments comme ceux-là qui me font aimer mon métier, et m’y épanouir. Je suis faite pour ça, aider ces personnes en leur apportant tout le soutien et la bienveillance possibles lors d’un moment aussi horrible.
L’an dernier, j’ai participé au DU Accès à la santé et lutte contre les discriminations de la faculté de médecine de Saint-Étienne. À cette occasion, j’ai rencontré Justine Boulekouane, 23 ans, étudiante en santé à Lyon Est, diplômée d’un master en études de genre. Lorsqu’elle était en 3e année, elle a fondé le Clit : le Collectif libre et inclusif pour tou•te•s. Le Clit propose des formations pour les étudiant•es en médecine autour des discriminations mais également de l’éducation à la sexualité.
Nous avons travaillé à la création d’une brochure à destination des étudiant•es afin de les sensibiliser à l’accueil de personnes victimes de violences. Justine a porté ce projet pour qu’il devienne commun aux composantes de médecine, pharmacie, maïeutique et kinésithérapie de Lyon et Saint-Étienne. Les brochures ont ensuite été financées par chaque composante. Dans cette brochure, on peut retrouver les textes de loi afin que les étudiant•es fassent la différence entre viol et agression sexuelle, l’examen clinique, les dépistages à proposer, mais aussi un violentomètre (outil mis en place par le Centre Hubertine-Auclert) et, surtout, les associations et ressources locales et nationales vers lesquelles orienter les patient•es.
Je salue l’initiative géniale de Justine, future médecin généraliste, et du Clit, de créer des formations et des brochures pour former les étudiant·es à ces sujets. Mais cela ne fait que pallier localement un énorme déficit dans notre enseignement : ce sont des sujets de santé publique, qui nécessiteraient de vraies formations dans toutes les facultés.
Myriam Dergham est interne de médecine générale à Saint-Étienne
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