LE QUOTIDIEN : Pouvez-vous décrire votre exercice actuel ?
ZLATA CHKOLNAIA : Je suis interne en hépato-gastroentérologie à Paris, j’ai fini le sixième semestre et suis actuellement en master de recherche en immunologie : je travaille sur l’immunité humorale dans la maladie de Crohn.
Dr DIDIER RIEDER : Je suis pour ma part retraité depuis trois ans après trente-huit ans à l’hôpital public, mais je continue d’exercer à temps partiel dans une clinique privée à Céret, à la frontière espagnole. Cela rend service aux gens de la région, car on y manque de médecins en général et de gastroentérologues en particulier, et de toute façon je ne peux pas m’arrêter !
Comment vous êtes-vous orientés vers la médecine en général, et vers la gastroentérologie en particulier ?
Z. C. : Je ne vais pas remonter à ce qu’on dit vouloir quand on a trois ou cinq ans, mais quand j'étais encore enfant, il me semblait que la médecine était un domaine qui allait me convenir. Je suis parisienne et je suis restée à Paris pour mes études. Pour ce qui est du choix de la spécialité, je n’étais pas spécialement orientée vers la gastroentérologie, et il est d’ailleurs rare qu’on commence la médecine en se disant que ce sera la spécialité de notre vie. Mais je l’ai découverte lors d’un stage, et une fois qu’on y est, on se rend compte qu’on peut tout y faire : du cancer, de l’interventionnel, du libéral, de l’hôpital…
Dr D. R. : Je me suis pour ma part orienté vers la médecine par admiration pour mon généraliste, qui était un grand homme : il était médecin, maire, député… Je voulais être comme lui, et je me suis longtemps demandé si j’allais faire de la médecine ou de la politique. Puis j’ai voulu faire du sport en compétition, j’étais en sport-étude à Bar-le-Duc [dans la Meuse, ndlr] et je faisais du 100 m, mais je me suis blessé en terminale… Je me suis donc inscrit en médecine à Nancy, c’était un domaine qui m’intéressait, et j’ai compris que c’était tout à fait ma voie, je me serais ennuyé ailleurs. Je me suis par la suite retrouvé dans un stage de médecine interne à orientation gastroentérologie, et l’aspect imagerie m’a fortement attiré. À l’époque, il n’y avait ni IRM, ni échographie, ni scanner, ni endoscopie, mais cela se développait, et j’hésitais entre la radiologie et la gastroentérologie… J’ai choisi cette dernière, mais j’ai pu assister au développement de toutes les techniques d’imagerie dont nous disposons maintenant. J’ai exercé toute ma carrière au CH de Verdun, où j’ai presque toujours été le seul gastroentérologue, et le moins que l’on puisse dire est que je ne me suis pas ennuyé.
On dit souvent que l’hépato-gastroentérologie est une spécialité assez difficile émotionnellement, qu’en pensez-vous ?
Z. C. : Lors de mon premier stage, j’ai fait de la gastroentérologie générale : hémorragie digestive, inflammation pancréatique… Je n’avais pas encore touché aux aspects les plus durs de la spécialité, et j’y suis allée un peu naïvement. Mais j’ai réalisé par la suite qu’il faut parfois s’accrocher, nous sommes amenés à voir des choses assez dures. Certes, il y a des pathologies bénignes, des douleurs abdominales, des syndromes de l’intestin irritable, mais il y a aussi des cirrhoses, des cancers digestifs dont le pronostic a parfois quelque chose d’effroyable… À l’hôpital, alors qu’on est très jeune et qu’on est venus pour soigner des patients, on est très vite amenés à les accompagner vers une issue dont on sait qu’elle ne sera pas positive.
Dr D. R. : C’est effectivement un aspect important de la spécialité. Quand on accompagne un patient en chimiothérapie, on sait souvent qu’on l’accompagne à la mort, et on tisse des liens avec ses proches, sa famille… C’est très usant, cela représente un poids psychologique important, et cela entraîne souvent une importante réflexion éthique. C’est passionnant, mais il est vrai que lorsque j’ai arrêté de faire de la cancérologie pour faire de la gastroentérologie plus simple, cela m’a soulagé.
Quel regard portez-vous sur les progrès qui ont marqué votre spécialité au cours des dernières années ?
Dr D. R. : Comme je le disais, des progrès considérables ont été accomplis depuis l’époque où j’ai commencé à exercer. On recevait alors des patients qui étaient tout jaunes, ils avaient un cancer métastatique dont on ne connaissait pas l’origine, et on n’avait aucun traitement. Pour les Mici [Maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, ndlr], nous n’avions que la cortisone. J’ai vu les choses progresser, avec les scanners, les IRM, etc., nous avons pu faire de plus en plus de diagnostics. Nous avons maintenant les biothérapies, les immunothérapies, ce sont des avancées considérables même si elles ne concernent pas tous les cancers.
Z. C. : Je n’ai pas connu tous ces changements, mais je trouve ce qui a été accompli d’autant plus impressionnant que cela continue : on va aujourd'hui vers des sleeves par voie endoscopique, et donc désormais sans incision, par exemple. Pour les Mici, au cours des cinq à dix dernières années, une dizaine de nouveaux traitements sont apparus pour mettre en veille la maladie inflammatoire. Je sais que je verrai se développer de nombreuses opportunités qui vont nous permettre d’apporter des améliorations.
On a parfois l’impression que le progrès technique a supplanté le progrès humain
Dr Didier Rieder
Dr D. R. : On peut cependant ajouter que malgré tous ces progrès, les prises en charge deviennent de plus en plus difficiles. On a parfois l’impression que le progrès technique a supplanté le progrès humain, en quelque sorte. En dehors de Paris et des villes où on trouve un CHU, les gens ont du mal à accéder aux soins. Cela commence par l’accès au médecin généraliste, qui était un point d’ancrage et qui est de plus en plus rare, et c’est encore plus vrai pour les spécialités comme la gastroentérologie. Aujourd'hui, si vous voulez une consultation de dermatologie dans les Pyrénées-Orientales, il faut attendre un an et demi ! Pour obtenir n’importe quel rendez-vous chez un confrère pour un patient, je dois me battre au téléphone : si vous n’avez pas de réseau, c’est rendez-vous dans trois mois. Quand on demande une IRM, c’est la croix et la bannière pour l’obtenir…
Le grand avantage quand on choisit l’hépato-gastroentérologie, c’est qu’on peut faire des carrières toutes aussi incroyables les unes que les autres
Zlata Chkolnaia
Diriez-vous que l’un des attraits de votre spécialité réside dans la richesse et la diversité des activités qui y sont possibles ?
Z. C. : Oui, le grand avantage quand on choisit l’hépato-gastroentérologie, c’est qu’on peut faire des carrières toutes aussi incroyables les unes que les autres. On peut rester toute sa carrière à l’hôpital, mais on peut aussi être amené à changer d’exercice et à aller vers le privé, ou à combiner les deux. Je connais de nombreuses personnes qui sont en partie à l’hôpital et en partie dans le privé, dans des proportions variables. On peut donc moduler son exercice, c’est très malléable.
Dr D. R. : Je suis tout à fait d’accord, même si la possibilité de combiner exercice public, privé et même universitaire n’est pas propre à l’hépato-gastroentérologie. Ce qui est vrai en revanche, c’est que nous avons une spécialité très variée, très riche, qui se rapproche de la médecine interne. Même si les maladies que nous traitons sont localisées dans l’appareil digestif, cette localisation n’est pas une limite comme elle peut l’être dans des spécialités telles que l’ophtalmologie… De plus, des aspects aussi variés que le diabète, la nutrition peuvent entrer en ligne de compte.
Z. C. : C’est vrai que nous sommes une spécialité d’organe, mais avec une approche globale, et je suis d’accord pour dire que des aspects tels que la nutrition ont une grande importance : on ne peut pas se contenter de se concentrer sur une pathologie en particulier.
Dr D. R. : L’une des conséquences, c’est qu’on doit se former en permanence : j’ai par exemple passé des diplômes en cancérologie, en soins palliatifs, en consultation d’annonce, en diabétologie, en nutrition, en échographie…
Que diriez-vous à un externe qui hésiterait à choisir l’hépato-gastroentérologie ? Lui conseilleriez-vous de s’engager dans cette voie ?
Z. C. : Je pense que c’est une spécialité dans laquelle il faut vraiment aimer la médecine dans sa globalité, qu’il s’agisse du côté diagnostic, de la recherche, des aspects manuels et pratiques. Il faut être polyvalent, et savoir que c’est une spécialité où l’on peut être amené à prendre en charge des patients qui se trouvent dans des situations très difficiles.
Dr D. R. : Je dirais que pour faire de la médecine en général, et de l’hépato-gastroentérologie en particulier, il faut aimer les gens. Si on est altruiste, si on aime la polyvalence, si on ne veut pas être concentré sur un seul organe, on trouvera là une très belle spécialité. Et la preuve, c’est que je continue et que je n’ai pas envie d’arrêter.
Dr Didier Rieder
1989 : Docteur en médecine à l’université de Nancy
1991 : PH aux CH de Verdun et de Saint-Mihiel (Meuse)
1994 : Président du Comité de liaison alimentation et nutrition (Clan) du CH de Verdun
2011 : Vice-président de la Commission médicale d’établissement (CME) du CH de Verdun
2019 : Gastroentérologue libéral à la clinique du Vallespir de Céret
Zlata Chkolnaia
2015 : Paces à l’université Paris-Descartes
2021 : ECN et choix de l’hépato-gastroentérologie en Île-de-France
2024 : Master 2 recherche en immunologie
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