Une mesure louable sur le fond, mais impossible à appliquer sur la forme : les représentants de la communauté psychiatrique s'élèvent de nouveau contre les nouvelles modalités d'encadrement de l'isolement et la contention, redéfinies en décembre dernier à travers le Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) et qui doivent être précisées dans un décret d'application en cours d'élaboration.
Après des communiqués des psychiatres publics et des familles et proches, cette fois, c'est dans un courrier adressé au ministre de la Santé Olivier Véran qu'une quinzaine de professionnels* demande l'ouverture d'une « large concertation » autour du décret à venir. Et plus largement, réclame une réflexion globale sur le processus de soin en psychiatrie.
Pour rappel, l’article 84 de la loi du 14 décembre 2020 de financement de la Sécurité sociale pour 2021, élaboré après une décision du Conseil constitutionnel, introduit des durées maximales pour les mesures d'isolement et de contention, inspirées des recommandations de la Haute Autorité de santé : 12 heures pour la première, 6 heures pour la seconde, renouvelable dans la limite de 48 heures pour la première, 24 heures pour la seconde. Il prévoit aussi que le médecin puisse dépasser ces limites, dans certaines conditions et avec l'obligation d'en informer le Juge des libertés et de la détention (JLD). Ce dernier a alors 24 heures pour se prononcer, selon une procédure écrite, sauf si le patient (ou sa personne de confiance ou son avocat) le demande.
« Notre démarche vise la forme et aucunement le fond », précisent les psychiatres signataires de la lettre à Olivier Véran, qui souscrivent à l'objectif de réduire les pratiques d'isolement et de contention, reconnaissant que ces « situations extrêmes peuvent entraîner un traumatisme psychique aux conséquences durables ».
Insuffisance des moyens de la psychiatrie
Mais ils jugent la mise en œuvre de cette loi (telle que précisée dans le projet de décret d'application) « difficile si ce n'est impossible en raison notamment des moyens actuels de la psychiatrie publique ». En particulier, ils rappellent que le recours à l'isolement et à la contention dépend essentiellement de facteurs intervenant avant la crise. « C'est la constitution d'une capacité suffisante d'accueil par les psychiatres libéraux, les structures ambulatoires et hospitalières de secteur, ainsi que les autres structures de psychiatrie privées et publiques, qui raréfiera la constitution de situations cliniques dégradées imposant des mesures de contrainte », font-ils valoir.
Ils alertent aussi le ministre sur les effets contre-productifs d'une telle mesure. L'alourdissement des procédures bureaucratiques réduit l'attractivité de la psychiatrie publique et diminue le temps clinique, redoutent-ils. Sur un autre plan, il pourrait y avoir un risque de rupture du secret médical dans le cadre des éléments à fournir au JLD et aux intervenants impliqués dans la procédure envisagée. Le médecin doit en effet informer d'une mesure d'isolement ou de contention toute une série de personnes (des parents ou tuteurs au procureur de la République en passant par le conjoint ou toute personne ayant formulé la demande de soins, etc.).
« Les organisations signataires de cette lettre ne souhaitent pas que soit publié dans la précipitation un décret inapplicable », concluent-elles.
*Dr Maurice Bensoussan, Président du Syndicat des Psychiatres Français, Pr Amine Benyamina, Président de la Fédération Française d’Addictologie, Dr Marc Betrémieux Président du Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux, Pr Emmanuelle Corruble, Présidente du Collège National pour la Qualité des Soins en Psychiatrie, Pr Olivier Cottencin, Président du Collège National Universitaire des Enseignants d’Addictologie, Julie Devictor, Présidente du Conseil National Professionnel des Infirmiers en Pratique Avancée, Marine Gilsanz, Présidente de l’Association Française Fédérative des Étudiants en Psychiatrie, Pr Bernard Granger, Président du Syndicat Universitaire de Psychiatrie, Pascal Mariotti, Président de l’Association des directeurs d'établissements participant au service public de santé mentale, Dr Bernard Odier, Président du Conseil National Professionnel de Psychiatrie, Dr Norbert Skurnik, Président par intérim de l’Intersyndicale de Défense de la Psychiatrie Publique, Dr Michel Triantafyllou, Président du Syndicat des Psychiatres d’Exercice Public, Pr Pierre Vidailhet, Président du Collège National des Universitaires de Psychiatrie, Dr Elie Winter, Secrétaire général de l’Association Française des Psychiatres d’Exercice Privé - Syndicat National des Psychiatres d’Exercice Privé