Comment les hôpitaux européens combattent la pénurie médicale

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Publié le 10/01/2025
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Le manque de médecins et d’infirmières à l’hôpital frappe tous les pays européens, illustre un rapport du cabinet BearingPoint. IA pour alléger la charge administrative, aménagements horaires, management décentralisé : partout, les établissements se retroussent les manches pour innover et se démarquer.

À l’hôpital de Valenciennes, les pôles et services médicaux sont notamment impliqués dans l’achat des nouveaux équipements

À l’hôpital de Valenciennes, les pôles et services médicaux sont notamment impliqués dans l’achat des nouveaux équipements

Les chiffres donnent le vertige : les 53 pays européens souffrent, à des degrés divers, d’une pénurie de professionnels de santé – médecins et paramédicaux – estimée à 1,8 million de blouses blanches, selon des statistiques de l’OMS. Preuve de la gravité de la situation, 60 % des professionnels de santé en Europe sont convaincus que les effectifs actuels de praticiens, d’infirmiers et d’aides-soignants sont insuffisants pour fournir des soins de qualité, illustre une enquête publiée par le cabinet BearingPoint à l’échelle de six pays (Allemagne, France, Irlande, Norvège, Royaume-Uni et Suède). Le panel de cette enquête (300 répondants) était constitué pour moitié de médecins (principalement spécialistes) et pour l’autre moitié d’infirmiers et d’aides-soignants – 70 % des sondés exerçant dans le public, 21 % dans le privé lucratif et 9 % dans le privé non lucratif.

Le rapport de BearingPoint permet à la fois de zoomer sur les situations dégradées, sources d’épuisement et d’insatisfaction, mais aussi d’examiner les solutions trouvées par les hôpitaux européens pour améliorer leur attractivité et fidéliser leurs ressources humaines.

Quatre jeunes médecins sur dix prêts à quitter le NHS

Le malaise se mesure d’abord dans la volonté de jeter l’éponge. Au Royaume-Uni, quatre jeunes médecins sur dix envisagent de quitter le NHS, service public de santé en souffrance, pourtant longtemps fierté nationale. En Irlande, sept praticiens sur dix « présentent un risque élevé » pour leur santé, les docteurs juniors étant les plus exposés. Les pays scandinaves ne sont pas épargnés. En Norvège, un médecin sur deux n’a pas l’intention de rester dans son établissement ou se déclare hésitant sur son avenir à l’horizon de deux ans. Même en Suède, un médecin sur cinq prévoit de quitter le corps médical en raison d’une surcharge de travail.

En France aussi, plusieurs indicateurs sont alarmants : environ 30 % des postes de PH sont vacants. Aux urgences, le mode dégradé est devenu une habitude : 163 services d’urgence (20 % du total) ont fermé au moins une fois en 2023 en raison d’une pénurie de personnels. Et 10 % des 460 maternités connaissent des fermetures partielles.

Les promesses des hôpitaux employeurs

Pour recruter et fidéliser, les établissements publics ne restent pas les bras croisés.

Premier axe : ils proposent de plus en plus à leurs soignants des mesures « à la carte », grâce à une « promesse employeur » qui se veut « claire et attractive », à l’instar des pratiques du privé, souligne BearingPoint. En contrepartie d’un engagement à travailler à l’hôpital pendant une période d’un à trois ans, les CHU de Norvège du Nord proposent aux infirmiers des postes taillés « sur-mesure » pour combiner travail clinique et formation continue, voire spécialisation dans de nouveaux domaines, tout en leur permettant d’accumuler de l’ancienneté salariale. En Allemagne, à Osnabrück, certains agents sont inclus dans un programme de flexibilité horaire, permettant aux salariés de l’hôpital d’organiser leur temps de travail selon leurs besoins. La semaine de quatre jours est en phase d’expérimentation dans l’unité AVC.

Dans les CHU de Norvège du Nord, les infirmiers peuvent combiner travail clinique et formation continue, tout en accumulant de l’ancienneté salariale

Le recrutement reste un enjeu clé. Au Royaume-Uni, plusieurs établissements misent sur une filière intégrée d’apprentissage et de reconversion pour faciliter l’embauche d’aides-soignants avec des passerelles et la qualification vers des postes d’infirmier ou d’assistant praticien. En France, les Hospices Civils de Lyon (HCL) ont mis en place une campagne de recrutement intitulée « Ici je peux » s’appuyant sur les témoignages du personnel. Les soignants y partagent leur parcours, leur équilibre entre vie professionnelle et personnelle, ainsi que la diversité des métiers, des compétences et des aspirations de carrière au sein de l’établissement. Au CHU de Nantes, le job dating fait ses preuves. Les candidats participent à des entretiens courts et individuels, ce qui permet une réduction considérable du délai entre l’entretien et l’offre d’emploi finale.

Les outils numériques sont par ailleurs des leviers d’attractivité. Le centre hospitalier intercommunal de Créteil propose aux internes une appli mobile afin de faciliter leur intégration et simplifier leur quotidien, comprenant des outils de calcul pour leur pratique et un annuaire des services hospitaliers. Et, de plus en plus, l’IA est utilisée pour… alléger la charge administrative : en Norvège, le Volvat Medical Center utilise un dossier patient centralisé dopé aux algorithmes, facilitant la coordination des soins. À Montpellier, le CHU expérimente une solution d’IA pour analyser les données issues des échanges patient-médecin en consultation. Les données vocales sont structurées pour générer un compte-rendu en quelques secondes.

Management et bien-être 

Le management est un autre défi permanent. En Suisse, les Hôpitaux universitaires de Genève ont instauré un cursus de formation au leadership soignant. Le CHU de Bordeaux a lancé une formation en management médical, en partenariat avec Sciences Po Bordeaux. À plus grande échelle, sur le modèle du label « Magnet hospitals » des hôpitaux américains, plus de 60 établissements dans six pays participent au programme européen de gouvernance partagée Magnet4Europe, lancé en janvier 2020. Objectif, inciter les hôpitaux à adopter des modèles de gestion axés sur le bien-être des soignants. Ce programme « transforme la culture des hôpitaux en intégrant les soignants dans les décisions stratégiques », insiste BearingPoint. Directement inspiré de ce concept, l’hôpital de Valenciennes a adopté un modèle managérial décentralisé, qui implique les pôles et services médicaux dans 90 % des processus de gestion, dont le recrutement du personnel et l’achat de nouveaux équipements. De quoi faire des émules ?


Source : Le Quotidien du Médecin