C’est dans un restaurant de Chamalières, près de Clermont-Ferrand, que nous rencontrons pour la première fois Bruno Lesourd. Autour de la table, une dizaine de membres de l’association auvergnate Aide et Répit que l’ancien responsable du département de gériatrie du CHU de Clermont-Ferrand copréside depuis 2019. Au menu, bonne chair et bonne humeur. Pas facile, pourtant, de faire bonne figure quand son conjoint est atteint de la maladie d’Alzheimer, ce qui est le cas de la plupart des personnes présentes. À se demander d’ailleurs si la convivialité ne figure pas en première intention dans les statuts de l’association, dont la mission consiste à apporter conseils, soutien et temps aux proches de malades d’Alzheimer.
Le plaisir de servir
De fait, la convivialité, tout comme la solidarité, sont des valeurs chères à Bruno Lesourd qui, peu avant la retraite, a rejoint Aide et Répit. C’était en 2014. « Mon plaisir, c’est de servir, de partager mes connaissances, en tant que gériatre-nutritionniste, et mon vécu, en tant que père d’un enfant handicapé. » Fort de cette double expérience et d’un long parcours associatif, il a acquis la conviction qu’il faut s’adapter aux besoins des gens. En 2015, l’École de formation pratique des aidants polyvalents (Efpap) ouvre ses portes, au sein d’un EHPAD situé dans l’agglomération clermontoise. Son originalité ? L’enseignement associe systématiquement un professionnel de santé, pour la théorie, et un aidant, pour le témoignage. Les cours sont gratuits, ainsi que l’accueil de jour, sur place, pour le proche malade.
En 2020, l’école se déploiera dans les Combrailles, une région isolée qui culmine à 1 000 m d’altitude, au nord-ouest de Clermont-Ferrand. « Cette délocalisation rurale, inédite, prendra la forme d’une équipe mobile qui se rendra deux fois par an dans quatre à sept lieux pour trois à quatre personnes à chaque fois. Mais elles ont aussi besoin d’informations. » À 71 ans, le natif du Beaujolais, mais Auvergnat de cœur, n’a rien perdu de cet esprit pionnier qui l’a conduit, dans les années 1980, à prendre fait et cause pour ceux que l’on appelle encore les vieux. Par le plus grand des hasards, il est vrai.
De l’immunologie à la nutrition
« J’ai eu un parcours chaotique », admet-il. Tout commence, durant l’enfance, avec le vieux médecin de famille, le Dr Montange. « C’était l’accoucheur de tout le village de Belleville-sur-Saône où nous habitions, un homme d’une grande humanité. Gamin, je discutais avec lui, je l’admirais beaucoup. Il m’a d’ailleurs légué le squelette qui lui avait servi pour ses études médicales, et que j’ai toujours. » En 1966, le bac en poche, il s’inscrit pourtant « en prépa » au lycée Henri IV, à Paris. Au bout de trois semaines, il claque la porte, « dégoûté par un enseignement qui interdit de penser par soi-même ». Le Dr Montange se rappelle à son bon souvenir : ce sera médecine. Mais il déchante à nouveau. « J’ai terminé mes études, mais je n’ai jamais été un médecin soignant. Je me suis rapidement orienté vers la biologie et, particulièrement, la recherche en immunologie dans un laboratoire de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. »
En travaillant sur le vieillissement du système immunitaire, il s’aperçoit que l’état nutritionnel joue un rôle fondamental. Nutrition, immunité et vieillissement : un nouveau champ d’exploration vient de s’ouvrir, qui reste à défricher. À l’époque, rappelle-t-il, les plus de 70 ans n’intéressaient personne.
Les mousquetaires du grand âge
« En 1987, au congrès international de gériatrie de Brighton, nous étions quatre pour parler de la nutrition du sujet âgé ! » Outre Bruno Lesourd, ces mousquetaires du grand âge s’appellent Charles-Henri Rapin, des hôpitaux universitaires de Genève, Emmanuel Alix, du CH du Mans, et Monique Ferry, du CH de Valence. Ils fondent le Club Francophone Gériatrie et Nutrition, un lieu d’échanges, multiplient les études, publient, ensemble ou séparément. « On était plus que des défricheurs, se souvient Monique Ferry, ancien médecin des hôpitaux en gériatrie et chercheur Inserm-Paris 13. Avec Bruno, nous avons successivement travaillé sur Euronut-Seneca, la première étude européenne sur le rapport entre nutrition et état de santé des seniors, puis, dans les années 1990, sur SUVIMAX 2, volet consacré à la longévité. Au final, nos travaux ont permis de dégager les recommandations pour le sujet âgé dans le cadre du premier plan du Programme National Nutrition Santé, en 2001. »
Ministère de la Santé, Afssaps, Anses, HAS, etc., les anciens « guérilleros » se sont mués en experts du bien-vieillir. Devenu professeur, Bruno Lesourd est sollicité pour créer un département et une chaire de gériatrie au CHU de Clermont-Ferrand. L’heure est venue de quitter Paris. Il a 52 ans.
Son fils avant tout
« J’avais toujours dit que le jour où mon fils, devenu handicapé à la suite d’une encéphalite post-vaccinale, serait en institution, je m’occuperais de ma carrière, précise-t-il. En 2000, c’est devenu possible. Une institution belge a accepté de le prendre en tant qu’adulte. » En poste, il monte des tas de projets, auprès des médecins généralistes de la région qu’il forme à la gériatrie, auprès des restaurateurs de maisons de retraite à qui il prodigue des conseils en nutrition, etc. En 2004, l’élan est stoppé net. La direction de la structure qui a la charge de son fils, en Belgique, change. Les méthodes aussi. « En quinze jours, j’ai acheté une maison à la campagne, embauché deux personnes à plein temps pour s’occuper de mon fils et laissé tomber toutes mes activités en dehors de l’hôpital et de l’enseignement. » Deux ans après, son fils retrouvait un lieu d’accueil, à Poitiers.
Quant à Bruno Lesourd, il a désormais l’âge de ceux qui ont été durant quarante ans son principal sujet d’étude. Alors, cette vieillesse : détresse ou providence ? « Ce matin, j’étais avec ma compagne en Sologne où nous avons ramassé 7 kg de champignons. Sur le chemin du retour, nous nous sommes arrêtés chez une vieille dame de 96 ans, dont je m’occupe, à Châteauroux. Je lui ai donné quelques cèpes de Bordeaux. Elle était ravie, cela faisait dix ans qu’elle n’en avait pas mangé. » Pas de doute, ça valait le coup d’attendre !